Selon son éditeur, le ministère britannique de l’Intérieur a empêché une auteure de s’exprimer lors d’un festival au Royaume-Uni

À la suite de plusieurs refus de visas, la Palestinienne Nayrouz Qarmout ne participera sans doute pas au festival du Livre d’Edimbourg

L’éditeur d’une auteure palestinienne qui s’est vu refuser un visa lui permettant de se rendre cette année au festival du Livre d’Edimbourg affirme que le ministère britannique de l’Intérieur l’a de fait empêchée de prendre la parole, même s’il est revenu sur cette décision.

Nayrouz Qarmout, également journaliste de télévision, figurait parmi la dizaine d’écrivains et d’illustrateurs originaires du Moyen-Orient ou d’Afrique dont la demande de visa a été rejetée, parfois à plusieurs reprises, dans la période préalable à ce festival qui a débuté samedi (11 août).

Alors que toutes ces personnes, à l’exception de trois d’entre elles, avaient reçu leur visa, Nayrouz Qarmout, qui avait déposé trois demandes depuis avril, a finalement obtenu le sien à la suite d’une décision de dernière minute.

Un porte-parole du ministère de l’Intérieur a déclaré : « Nous avons décidé d’accorder un visa à Mme Qarmout sur la base de nouveaux renseignements qui ont été fournis. En lien avec elle, nous nous efforçons de faire en sorte qu’elle reçoive son visa et ses documents de voyage le plus vite possible. »

Il est cependant peu probable que Nayrouz Qarmout réussisse à faire le nécessaire dans les délais pour se présenter mercredi (15 août), date à laquelle elle devait intervenir à propos de son livre The Sea Cloak and Other Stories dans le cadre d’une rencontre à guichets fermés.

Résidente de Gaza, elle doit obtenir l’accord de la Jordanie pour prendre l’avion entre Amman et le Royaume-Uni, ainsi qu’une autorisation de sortie d’Israël pour franchir le point de passage frontalier d’Erez. On l’a informée qu’il faudrait quatre à cinq jours pour que son passeport arrive à Gaza.

Nick Barley, directeur du festival, indique qu’un nouvel évènement sera organisé le 23 août en son honneur. « Si elle peut y assister, ce sera une célébration de la liberté d’expression », souligne-t-il. « Sinon, nous attirerons l’attention sur son cas. »

Selon Ra Page, fondateur de Comma Press, l’éditeur britannique de Nayrouz Qarmout, « Malgré sa volte-face de dernière minute, le ministère de l’Intérieur a, de fait, empêché Nayrouz de venir ici en ne lui accordant pas de visa en réponse à ses deux dernières demandes, lorsqu’il restait encore du temps. Il est impossible qu’elle soit ici d’ici mercredi, et on ne peut garantir qu’elle sera ici le 23. Rien n’est avéré, rien n’est certain. »

Ra Page estime que le nombre de refus va croissant et que « des directives internes ont été transmises aux consulats britanniques pour que les rejets soient plus nombreux ».

« On a l’impression que nous entrons comme des somnambules dans une nouvelle ère de nativisme », ajoute l’éditeur. « Il ne s’agit pas seulement du racisme institutionnel classique, qu’il est difficile de mettre en évidence. Il s’agit d’une censure culturelle discrète et efficace. En réalité, le ministère de l’Intérieur dit ceci : lors de nos festivals du livre, les lecteurs britanniques ne devraient pas être exposés à des façons de voir différentes ; ces voix-là ont moins de valeur ; les voix britanniques sont prioritaires. »

Nayrouz Qarmout, s’exprimant avant que la décision ait été prise, a indiqué avoir eu le sentiment que le processus de demande de visa était « intrusif » et que les raisons fournies pour justifier le refus étaient « humiliantes » – une lettre du ministère de l’Intérieur donnait pour raison son statut de célibataire.
Quant aux versements irréguliers figurant dans ses relevés bancaires, elle les attribue à des problèmes bureaucratiques entre les autorités rivales de Ramallah et de Gaza. « Je suis censée m’expliquer dans le contexte de la situation terrible de tous les Palestiniens alors que je fais une simple demande de visa ? Même si je voyage en tant qu’ambassadrice culturelle de mon peuple, cela me met mal à l’aise … Je ne suis pas une terroriste et je ne représente pas une menace », affirme-t-elle.

Deux illustrateurs iraniens, Ehsan Abdollahi et Marjan Vafaeian, attendent encore des nouvelles de leur visa un mois après le dépôt de leur demande. Le ministère de l’Intérieur les a informés l’un et l’autre que leur dossier présentait des complications.

L’un comme l’autre ont vu leur demande de visa rejetée lors d’autres éditions du festival. Ehsan Abdollahi – qui devait être illustrateur en résidence lors du présent festival – avait subi en 2017 un refus annulé à la suite d’une campagne très médiatisée.

Delaram Ghanimifard, cofondatrice de Tiny Owl, maison d’édition qui publie les ouvrages illustrés d’Ehsan Abdollahi et de Marjan Vafaeian, se dit peinée par le nombre croissant de refus. « Je connais beaucoup d’Iraniens qui présentent une demande de visite, des personnes parfois apparentées à des citoyens britanniques, et qui essuient aujourd’hui un refus. C’est très difficile et d’année en année, cela devient plus difficile. Mais quand un éditeur assume tous les frais, qu’il garantit que votre séjour ne durera qu’une semaine, que vous avez fait la même chose auparavant et que vous êtes rentré chez vous, si vous vous heurtez pourtant à un refus – là, cela montre à quel point le processus est devenu difficile de manière générale. »

Delaram Ghanimifard pense que de nombreux auteurs étrangers ont renoncé à assister à des festivals au Royaume-Uni à cause de ces obstacles. « Quand vous subissez sans cesse ce genre de stress en demandant des visas pour vos artistes, vous commencez à vous dire que ça n’est pas la peine », explique-t-elle. « J’espère que nous arriverons à combattre cette tendance. Mais je vois bien ce qui arrive … J’espère que la situation globale va changer, parce que c’est pénible et absurde. »