Les soldats israéliens détiennent un garçon palestinien de 6 ans pendant cinq heures parce qu’il avait lancé des pierres

L’armée israélienne affirme que le jeune Ashraf, qui a du mal à dormir, participait à une agitation violente et qu’il n’a pas été arrêté, mais simplement éloigné de la scène.

Il y a une semaine samedi, les sites d’informations palestiniens débordaient. Les soldats des Forces de défense israéliennes (FDI) avaient arrêté un garçon de 6 ans du camp de réfugiés de Jalazun en Cisjordanie, rapportaient-ils. Il n’y a aucune limite à leur malfaisance, se déchaînaient les surfeurs.

Le coordinateur des FDI pour les activités gouvernementales dans les territoires, le général Yoav Mordechai, s’est empressé d’intervenir sur sa page Facebook. Dans un envoi à 8 h du matin, il écrit, en arabe, que l’enfant avait pris part à une confrontation violente et qu’il avait même lancé des pierres.

« Contrairement à ce qui a été écrit dans les médias palestiniens, le garçon n’a pas été arrêté mais remis aux agents du bureau de la Coordination du district, à Ramallah, qui ont appelé ses parents et leur ont fait part du comportement dangereux et violent de leur fils, parmi d’autres enfants » écrit Mordechai.

Mordechai y joint une vidéo en noir et blanc, montrant les silhouettes plutôt floues de deux enfants – l’un étant sur une terrasse en hauteur. Un cercle rouge entoure l’enfant qui est sur une autre terrasse plus bas et qui tient les deux bouts d’un lance-pierres qu’il agite. L’autre enfant agite lui aussi, plus habilement, une fronde similaire, qui contient probablement une pierre. La cible des pierres n’est pas dans leur ligne de tir, mais il est raisonnable de supposer que c’est la position de l’armée régulière, à environ 200 mètres et plus bas, à la périphérie de la colonie de Beit El.

Si l’affrontement, pour reprendre la terminologie de Mordechai, a été vraiment plus houleux que le montrent ces deux enfants balançant leurs bras et lançant des pierres, alors, ce n’est pas dans la vidéo diffusée que l’on peut en trouver la preuve.

La colonie de Beit El est nettement visible, dans toute sa splendeur, depuis l’école du camp de réfugiés de Jalazun, située sur la grande route.

Un mur élevé a été récemment érigé le long du tronçon de route qui sépare la communauté juive de la communauté palestinienne. Mais ceux qui sortent du camp surpeuplé avec ses ruelles étroites en se dirigeant vers le sud ne peuvent pas ne pas remarquer l’abondance de verdure qui environne les pavillons spacieux et les rues bien ordonnées de la colonie. Très proche, et très inaccessible.

Des bandes de vergers, des champs et des terres non cultivées séparent la position militaire des élèves de Jalazun. L’un d’eux s’appelle Ashraf, il n’aura en fait que six ans le mois prochain.

Lundi dernier, il était difficile d’obtenir de lui des détails sur les évènements du samedi. Nous nous sommes rencontrés dans l’appartement de sa grand-mère, au cœur du camp de réfugiés. Les yeux d’Ashraf, entourés de longs cils, exprimaient la curiosité, mais pendant les trente premières minutes il n’a pas prononcé un mot. Il bondissait d’une chaise à un canapé, et puis sur un autre fauteuil, il rampait sous une table basse et se recouvrait le visage de ses mains minuscules, tout en écoutant/ou n’écoutant pas, la conversation des adultes.

Il a peur encore, explique son père. Il se réveille la nuit, refuse d’aller à l’école où il est en première année, il parle très peu. Sa non-arrestation l’a beaucoup effrayé.

Son père, qui me dit que sa famille est originaire du village d’Al-Abbasiyya, raconte l’histoire : n’ayant pas d’école samedi, Ashraf est venu à son petit magasin sur la grande route qui sépare le camp de réfugiés de Beit El. Soudain, aux environs de midi, il s’aperçoit que son fils a disparu. Il n’a même pas le temps de s’inquiéter que quelques enfants arrivent en courant et lui disent que les soldats ont pris Ashraf.

Alors qu’il quitte le magasin, il arrive à voir un soldat armé qui porte son fils sur son dos – « comme un sac de farine », comme cela a été décrit par la suite sur les médias sociaux. Les enfants plus âgés avaient réussi en courant à échapper aux soldats armés qui les poursuivaient ; il n’y a que Ashraf qui, lui, n’a pas réussi à s’enfuir, et qui a été attrapé.

Au début, son père m’a dit qu’il était impossible que son fils ait pu jeter des pierres – il est trop petit. Mais il m’a montré lui-même la vidéo sur la page Facebook de Mordechai, avec la silhouette, dans le capuchon clair, balançant le lance-pierre. Il a identifié la silhouette floue comme étant son fils.

Selon Ashraf, le soldat l’a attrapé en le frappant au cou, et il lui a aussi donné un coup de pied, mais sans le toucher.

Le père a immédiatement appelé son épouse et ensemble, ils sont descendus des terrasses pour aller à la position militaire en limite de Beit El. Les soldats leur ont lancé des grenades cataplexiantes mais le couple ne s’est pas arrêté, poursuivant leur marche dans leur direction. « Comment n’aurions-nous pas pu agir ainsi ? C’est notre fils », explique le père.

« Nous voulons notre fils » ont-ils déclaré aux quatre soldats qu’ils ont trouvés au poste. Son épouse leur a parlé en anglais.

« Débarrassez-vous d’abord de ces lanceurs de pierres là-haut » ont dit les soldats. « Ensuite, nous parlerons avec vous ». Tous s’exprimaient dans un mélange d’anglais, d’hébreu et d’arabe.

Le père a crié aux enfants de partir, et alors les soldats ont confirmé, toujours aussi aimables, que leur garçon était à l’intérieur de la jeep.

Les parents ont vu des enfants de colons en train de se rassembler autour de la jeep et ont craint qu’ils n’attaquent Ashraf. Mais les soldats ne leur ont pas permis de l’approcher. Le petit garçon ne savait même pas que ses parents étaient si près de lui.

Les soldats ont refusé de laisser partir le garçon. « Vous le récupérerez auprès du Comité de liaison palestinien » ont-ils dit. Les parents ont remonté la colline jusqu’à la route. De là, le père s’est rendu en voiture au bureau de la Coordination de district où il attendu que son fils revienne.

Un peu plus tard, une voiture appartenant au Comité palestinien est arrivée. Des agents israéliens du bureau de la Coordination du district ont remis le garçon aux agents palestiniens qui l’ont rendu à son père. « Dès que Ashraf m’a vu, il s’est mis à pleurer » raconte le père. Un agent israélien est venu près du père et lui a dit de dire à son fils qu’il devait arrêter de jeter des pierres. « Il est petit, il ne lance pas de pierres » a répliqué le père, mais l’agent lui a dit qu’il y avait des photos qui montraient son fils en train de le faire.

L’Unité du porte-parole des FDI a déclaré à Haaretz que « les allégations soulevées dans cet article ne sont pas conformes à la réalité. Il s’agit d’un garçon de 6 ans qui a participé à une agitation violente samedi dernier, à Jalazun. En plus, contrairement à ces allégations, à aucun moment il n’a subi de violence et été arrêté par les forces des FDI. Les soldats ont retiré le garçon de la manifestation et ont convoqué ses parents, qui sont venus reprendre leur enfant dans l’heure ».

Le père a été fort surpris d’entendre la version des évènements de l’armée. L’armée n’a pas « convoqué les parents » et elle ne leur a pas non plus rendu l’enfant dans l’heure qui a suivi. Il se souvient qu’il faisait déjà nuit quand son fils est revenu, et qu’il s’était passé au moins cinq heures avant qu’il ne revienne après sa non-arrestation.

Le père raconte que son fils a été gardé dans la jeep de l’armée pendant deux ou trois heures, et que lui, il a attendu à peu le même temps au bureau de la Coordination du district. Dès que ça concerne les Palestiniens, quand les soldats armés détiennent ou attrapent un enfant pendant plusieurs heures, il s’agit d’une arrestation, même si cela ne conduit pas à un acte d’accusation.

La dernière ligne de l’envoi de la COGAT sur Facebook adopte le ton du super-pédagogue : « Nous lançons un appel aux parents qui exposent leurs enfants au danger et les envoient provoquer les soldats israéliens – la place de vos enfants devrait être dans les terrains de jeu et à l’école, et non pas dans des manifestations violentes ».

Mais il est bien difficile de trouver un endroit pour un terrain de jeu à Jalazun. Le camp de réfugiés couvre 253 dunums (25,3 ha) et il accueille quelques 13 000 habitants venant de 36 villages qui ont été détruits, principalement autour de Lydda et de Ramle, ainsi que de Haïfa et Hébron ouest. La densité de la population est estimée à 51 000 personnes au km². Dans la colonie voisine de Beit El, la densité de population est de 4023 personnes au km². La colonie s’étend sur 1480 dunums et compte quelque 6500 résidents.

Le village détruit d’Al-Abbasiyya, d’où est originaire la famille du père, était d’environ 20 500 dunums dont 17 500 étaient la propriété d’Arabes, et 1135 de juifs. Le reste étant une terre publique. En 1944, 5650 habitants arabes et 150 juifs y vivaient. Aujourd’hui, le village s’appelle Yehud.

Ashraf n’aimait pas beaucoup parler, donc il ne servait à rien de chercher à savoir ce qu’il savait au-delà de la couleur verte qui caractérise la colonie voisine, et de la présence permanente des soldats qui la gardent, ou des jeeps militaires qui guettent les élèves quand ils sortent de l’école.

Il n’a donc pas été possible de découvrir quand il a senti les gaz lacrymogènes pour la première fois dans sa vie, ou quand il a été réveillé au bruit des grenades cataplexiantes, ou pourquoi il a lancé des pierres qui n’arrivaient pas jusqu’au soldat qui gardait les verts pâturages.

Ashraf est retourné à l’école, a dit son père jeudi, mais toutes les nuits, il se réveille effrayé.