Retour de l’électricité dans un village palestinien, trois mois après la confiscation par Israël de son système électrique

Chaque famille du village de Jubbet Adh-Dhib a droit à seulement trois kilowattheures par jour alors qu’une association israélo-palestinienne réinstalle un système à énergie solaire hybride que lui avait pris Israël.

L’électricité a été restituée dans les modestes maisons de pierre et de ciment du village palestinien de Jubbet Adh-Dhib, au sud-est de Bethléem. En juin dernier, l’Administration Civile avait confisqué l’installation électrique qui y fonctionnait depuis huit mois.

Comme cela a été dit à Haaretz le jour de la confiscation par un porte-parole du Coordinateur de l’Activité Gouvernementale dans les Territoires (COGAT), la raison en était que les panneaux solaires avaient été installés sans les permis exigés. Fin septembre, les panneaux confisqués ont été rendus. Et, comme l’a écrit le chef de l’Administration Civile, le Brigadier général Ahvat Ben Hur, aux avocats qui ont présenté en août une requête contre cette confiscation, la raison est : « Etant donné les circonstances de cette affaire – tout d’abord, la période passée entre leur installation et leur confiscation – j’ai décidé de restituer immédiatement les objets saisis. » Cette décision rendait la pétition inutile.

Le 3 octobre, une équipe de Comet-ME, qui avait construit le système hybride, a réinstallé les panneaux et les a reconnectés au reste du système, après qu’ils aient été sortis sans conditions des entrepôts de l’Administration Civile à Gush Etzion. Les circonstances de cette affaire, soit, tout d’abord, le fait que le village avait toujours besoin de ce système hybride, c’est que, depuis des dizaines d’années, l’Administration Civile avait repoussé ses demandes de connexion au réseau électrique. En 2009, l’Administration Civile avait même insisté pour que les huit réverbères à énergie solaire, installés autour de la mosquée par le conseil municipal du village avec l’aide du Programme de Développement des Nations Unies, soient enlevés.

Mercredi, Ahmed al-Masri de Comet-ME a travaillé à la connexion d’une autre maison au système électrique du village. La maison était restée inhabitée depuis longtemps. Un membre de la famille, qui va se marier vendredi, prévoit d’y revenir. Les difficultés de la vie sans électricité, pour les besoins même les plus basiques, ont eu de lourds effets sur tous les résidents. Quelques uns sont restés.

« Ce sont principalement les hommes jeunes qui sont partis », a dit mercredi Fatma Wahsh, connue de nous tous comme Umm Zaid. « Ils voulaient se marier avec des filles qui n’étaient pas du village et les familles des filles n’approuvaient pas – elles ne voulaient pas qu’elles vivent dans des conditions aussi rudes. »

Umm Zaid a dit aussi : « De nos jours, être illettré ne désigne pas quelqu’un qui ne peut ni lire ni écrire, mais quelqu’un qui ne sait pas se servir d’un ordinateur. Et nos enfants n’ont pas appris à se servir d’un ordinateur parce qu’ils ne pouvaient pas l’utiliser » par manque d’électricité. Son amie Fadya Wahsh explique : « Quand ils allaient à l’école (dans d’autres villages), les autres gamins se moquaient d’eux et disaient qu’ils vivaient à l’Age de Pierre. »

Les enfants étudiaient à la lueur des bougies, mais après qu’un feu ait pris dans une maison, certains parents ont interdit à leurs enfants de travailler de cette façon, a dit Fadya. « Nous voulons que nos fils et nos filles aillent à l’université, pour faire ce que nous n’avons pu réaliser. Mais ils ne peuvent pas étudier et faire des recherches comme les autres sans électricité », a-t-elle dit. Le jour le plus pénible de sa vie, a dit Umm Zaid, « c’est quand les inspecteurs de l’administration sont venus confisquer les panneaux. Le système fonctionnait depuis huit mois et c’était d’autant plus dur de s’habituer à vivre sans électricité après avoir fait l’expérience de la vie avec l’électricité. » Et Adam, petit garçon de 5 ans, a dit : « On aimait regarder des dessins animés. Et puis, tout d’un coup, un jour, la télévision ne marchait plus. » Le diesel très cher qui alimentait les générateurs bruyants et polluants ne pouvait pas fournir plus de trois heures par jour.

Le village au pied de Herodion existe depuis 1929. Dans les négociations de l’intérim des accords d’Oslo, il a été localisé comme faisant partie de la zone C, sous contrôle civil israélien. Cette division artificielle de la Cisjordanie, et des localités qui s’y trouvaient, en zones A, B et C devait soi-disant devenir nulle et non avenue en 1999. Mais elle ne fut pas annulée et le village est encore soumis aux interdictions de construction et de développement imposées aux Palestiniens par Israël. Au Sud, il y a les colonies qui sont illégales selon le droit international. Les plus importantes dans cette zone sont celles de Tekoa et Nokdim, qui ont été construites respectivement en 1977 et 1982 et immédiatement branchées sur le réseau électrique. Dans un périmètre de trois kilomètres autour du village, six avant-postes non autorisés ont été construits ces quelques dernières années : Sde Bar, Ma’aleh Rehavam, Kfar Eldad et les avant-postes Tekoa B, Tekoa C et Tekoa D. A l’exception de Ma’aleh Rehavam, qui a fait l’objet d’un débat avec le conseil régional des colons, tous ont été connectés au réseau électrique contrôlé par Israël.

Dans les circonstances de cette affaire, il y a aussi le fait que le gouvernement néerlandais a financé le système électrique qui a été construit par Comet-ME ; il ne s’est pas contenté d’une protestation diplomatique contre cette confiscation. Le parlement néerlandais s’est réuni deux fois à ce sujet, comme l’a rapporté Haaretz. Au cours de ces séances, les députés ont été informés qu’à la fin juin, le premier ministre hollandais sortant, Mark Rutte, avait exprimé sa consternation au premier ministre Benjamin Netanyahu à propos de ces confiscations. Répondant aux questions des députés néerlandais à ce sujet, des ministres néerlandais ont raconté que Netanyahu avait promis par écrit de rendre les panneaux. ( Le Bureau du premier ministre n’a pas répondu à une question de Haaretz à ce sujet.)

En 2015, Fatma, Fadya, I’tidal – toutes de la grande famille Wahsh à laquelle appartiennent la plupart des habitants du village – plus Afaf Daoud ont constitué l’Association des Femmes de Jubbet Adh-Dhib. L’installation électrique est devenue la propriété de l’association qui, avec Comet-Me, est responsable de son fonctionnement et du paiement des factures qui sert à la maintenance et aux réparations.

Comet-ME est une organisation humanitaire enregistrée en Israël comme organisation à but non lucratif. Elle fournit des services d’énergie durable et d’eau potable aux communautés hors réseau. La connexion avec Jubbet Adh-Dhib s’est faite par hasard, lorsqu’un un des co-fondateurs de Comet-ME, le docteur Elad Orian, qui se baladait dans la région, a découvert un village qui n’était pas branché au réseau électrique. Les femmes de l’association furent d’abord très sceptiques : Tant de tentatives avaient précédemment échoué, et le processus technique et bureaucratique avec Comet-ME n’avait pas évolué non plus aussi vite qu’elles l’auraient souhaité. Mais en mai 2016, dans son rapport annuel au COGAT, Comet-ME déclarait qu’elle avait l’intention de fournir de l’énergie durable à un village de la région de Bethléem. La requête contre les confiscations qui a été enregistrée en août par les procureurs Michael Sfard et Michal Pasovsky dit qu’aucune demande pour information supplémentaire ou objections n’a été reçue de la part du bureau du COGAT.

Les quatre fondatrices de l’organisation des femmes sont toutes dans la trentaine avec enfants. Toutes ces femmes sont nées dans le village. Trois autres femmes les ont rejointes dans l’association. Elles maintiennent le contact avec Comet-ME et travaillent à définir les besoins du village étant donné les strictes restrictions imposées par l’Administration Civile. Elles reçoivent aussi les nombreuses délégations, dont des diplomates, qui viennent là pour savoir comment Israël gouverne les Palestiniens. « Avec tout le respect dû aux hommes, ils n’ont pas pu gérer le village ni faire face à tous les défis et toutes les difficultés », a dit Fadya l’autre jour. La plupart des hommes travaillent en dehors et ne réalisent pas, comme le font les femmes, combien il est difficile de se débrouiller sans électricité : devoir faire la lessive à la main, les pilules qui fondent et ne sont plus bonnes, à quel point les enfants et les personnes âgées ont peur d’aller à la salle de bains dans la nuit noire, combien il est difficile pour les enfants de faire leurs devoirs, l’alimentation qui s’abîme très vite et doit être jetée. Et ce n’est pas possible d’aller tous les jours à Za’atara ou Bethléem pour acheter de la nourriture fraîche.

Une route courte mais extrêmement raide conduit à Jubbet Adh-Dhib. Les chauffeurs de camion qui transportent le propane refusent d’aller jusqu’au village par peur de voir leurs camions basculer. Chaque famille transporte ses propres bouteilles de propane. Il y a simplement une semaine, dit Fadya, le jeune homme qui va se marier a transporté les meubles et autres objets dans sa maison. La camionnette a calé au milieu de la côte escarpée. D’autres membres de la famille ont déchargé les meubles et les ont tirés sur des dizaines de mètre jusqu’au haut de la colline. Le chauffeur d’une dépanneuse a refusé de venir récupérer la camionnette : « Je ne veux pas risquer ma vie », a-t-il dit. En été, les coupures d’eau sont routinières et l’alimentation qui se fait par la canalisation connectée à Za’atara est souvent coupée. Les camions citernes ne peuvent pas non plus grimper sur cette route. Les camions citernes avaient l’habitude d’arriver d’un autre côté, en bas d’Herodion, au sud. Une partie de cette route est très sommaire, mais au moins elle est beaucoup plus plate. Cependant, ce chemin passe par l’avant-poste Sde Bar. Et depuis environ deux ans, les colons ont interdit aux villageois d’y passer, disent les gens de Jubbet Adh-Dhib. Quiconque essaie de passer par là est arrêté pendant des heures par les colons et les soldats.

Au cours de l’été, lorsqu’il n’y a pas d’eau dans la canalisation, quelqu’un a osé faire passer un camion citerne par l’autre chemin d’accès. Les responsables de la sécurité de l’avant-poste et les soldats l’ont retenu pendant quatre heures et il n’a été libéré qu’après s’être engagé à ne plus prendre ce chemin. Une autre fois en été, deux femmes ont emprunté ce chemin pour aller ouvrir une canalisation d’eau près d’Herodion. « Mais le gars de la sécurité de la colonie nous a arrêtées et a demandé à voir notre carte d’identité », a dit l’une d’elles. « Nous ne les avions pas prises avec nous. C’était une journée affreusement chaude. Ils nous ont retenues là pendant trois heures. J’ai suggéré que mon fils nous apporte nos papiers, mais il a dit non. A la fin, il a accepté que mon fils lui lise les chiffres de notre carte par téléphone et il nous a enfin laissé partir. »

L’armée, l’Administration Civile et les colons photographient les villageois et le système électrique hybride, disent les femmes du village. Elles disent aussi qu’elles ont vu un drone de surveillance circuler un jour parmi les maisons. L’une des femmes dit qu’un responsable de l’Administration Civile nommé Oron lui a dit : « Pourquoi ne nous dîtes vous pas que vous voulez de l’électricité ? » Il parlait en Arabe, a-t-elle dit, bien qu’utilisant le mot hébreu pour électricité.

Chaque famille du village a droit à trois kilowattheures par jour (la consommation moyenne des Israéliens est de 15 par jour). Les réfrigérateurs sont petits. Les lave-linge fonctionnent sans chauffer l’eau. Il n’y a pas de bouilloires électriques, de grille-pain ou de fours, et pas d’air conditionné. Mais cela n’a pas chassé la joie. Comme le dit Umm Zaid : « Il ne s’agit pas d’une compétition, comme si nous gagnions et que l’Administration Civile perde. Tout le monde gagne ici. Nous somme au 21ème siècle et il n’est que naturel, juste et licite que nous ayons de l’électricité. »