Comment quelques lycées arabes sont devenus des établissements phare en Israël ?

Une nouvelle recherche montre que des établissements scolaires arabes ont fait des progrès significatifs pour combler le fossé qui les séparait de leurs homologues juifs. Mais certains experts disent que cela s’est fait malgré la politique israélienne et non grâce à elle.

La meilleure école d’Israël n’est pas située dans un quartier riche de Jérusalem, Tel Aviv ou Haïfa, mais dans un petit village druze de Galilée, selon un classement récemment publié.

L’école secondaire druze Darca pour la science et l’encadrement de Yarka a eu l’an dernier la plus forte proportion d’élèves du pays, 75%, reconnus pour leurs résultats remarquables au certificat de fin d’études secondaires.

Juste derrière elle se trouvait l’école secondaire Al-Qasem de Baka al-Garbiyeh, la ville arabe israélienne du nord, où à peine un peu moins de 60% des diplômés ont atteint le même niveau (la moyenne nationale des lycéens remarquables est de 7,5%).

Depuis plusieurs années maintenant, les écoles arabes et druzes (que le ministère de l’éducation nationale met dans une catégorie à part bien que les Druzes soient souvent considérés comme une partie de la minorité arabe d’Israël) ont approché le niveau supérieur dans le classement des écoles secondaires du pays. Ces grilles sont basées non seulement sur le pourcentage d’élèves reconnus pour leurs résultats remarquables, mais aussi pour la proportion d’élèves qui obtiennent leur certificat de fin d’études secondaires et sur ceux qui passent des examens de haut niveau sur des sujets comme les maths et la science. Les certificats de fin d’études secondaires sont un prérequis pour accéder à l’université en Israël.

Alors, n’est-ce qu’un mythe de dire que les écoles arabes souffrent de discrimination et sont dramatiquement non concurrentielles parce qu’Israël privilégie sa majorité juive ? Une nouvelle étude du Centre Taub pour les études de politique sociale en Israël montre que les écoles arabes ont effectivement fait des progrès significatifs au cours des années récentes pour combler le fossé qui les sépare de leurs homologues juives.

« Considérant que la plupart des enfants Arabes de ce pays démarrent dans des conditions socioéconomiques nettement désavantageuses, je dirais que ces nouvelles découvertes sont absolument étonnantes », dit Nahoum Blass, un chercheur en éducation, du centre situé à Jérusalem.

Combler le fossé

L’étude, conduite par Blass, a montré que le pourcentage d’élèves arabes israéliens qui se présentent aux examens de fin d’études secondaires est presque à égalité avec la proportion d’élèves juifs, après une longue période au cours de laquelle les enfants arabes étaient loin derrière.

Bien qu’un fossé existe encore en ce qui concerne tous ceux qui obtiennent effectivement le certificat de fin d’études secondaires, les découvertes de Blass montrent que l’écart a diminué au cours des années. En 2000, seuls 28% des élèves arabes obtenaient leur certificat de fin d’études secondaires, comparés à 45% d’élèves juifs. En 2015, ces chiffres dépassent respectivement 50% et 62%.

L’étude du Centre Taub a aussi montré que le ministère de l’éducation continue à investir moins pour les élèves arabes que pour les élèves juifs (16 000 shekels par an – 3 700 € – contre 20 000 shekels – 4 800 € – par élève), mais l’écart a diminué au cours des dernières années. De plus, les salles de classe dans les écoles arabes sont moins chargées.

L’étude a aussi trouvé que la qualité des enseignants dans les écoles arabes s’était améliorée ces dernières années, avec un pourcentage croissant de titulaires de licences et de masters.

Blass attribue ce progrès à plusieurs facteurs, parmi lesquels la baisse du taux de natalité chez les femmes arabes, une meilleure éducation des parents, notamment des mères, et une aide budgétaire spéciale du ministère de l’éducation. « Le gouvernement en est venu à réaliser qu’il est dans l’intérêt économique du pays d’investir dans l’éducation à la fois de la minorité arabe et des ultra orthodoxes », dit Blass.

Pour autant, des différences significatives demeurent entre les communautés juive et arabe, en particulier sur les notes obtenues aux certificats de fin d’études secondaires et aux épreuves internationales.

« La principale raison, à mon avis, est que les élèves arabes, en gros, démarrent avec un désavantage socioéconomique » dit Blass. « Si nous voulons vraiment combler ces fossés, alors il faut des programmes de discrimination positive ».

En fait, plusieurs écoles dans les communautés arabes et druzes qui ont obtenu des notes élevées au certificat de fin d’études secondaires sont en mesure de fournir une meilleure éducation à leurs élèves parce qu’elles jouissent de financements externes. L’école Darca de Yarka, par exemple, fait partie d’un réseau qui reçoit des dons de la Fondation Rachi, une organisation dédiée aux défavorisés en Israël, souvent dans les périphéries du pays.

Mais ces écoles les plus performantes, dit le Dr Ayman Agbaria, expert en éducation arabe de l’université de Haïfa, sont les exceptions plutôt que la règle.

« Un tel succès de la part d’écoles arabes a été obtenu malgré, et non grâce au système éducatif israélien » dit-il. De plus, ces institutions tendent à être sélectives et à exiger des examens d’entrée ou, autrement, elles sont privées ou semi-privées et, par définition, prennent en charge des élèves de milieux socioéconomiques plus élevés, ajoute Agbaria.

« La plupart des écoles arabes en Israël sont toujours au niveau du tiers-monde » dit-il. Et si vous regardez les performances des élèves de ces écoles à des examens internationaux, vous verrez qu’lis sont loin derrière, non seulement les élèves israéliens mais aussi des élèves d’autres pays arabes comme le Liban, Bahreïn et la Jordanie ».

Muhammad Amara, coprésident de Sikkuy, une ONG qui plaide pour l’égalité de la communauté arabe israélienne, considère aussi ces écoles comme une aberration. « Elles ne reflètent vraiment pas la norme de la société arabe », dit-il. « Il reste de gros écarts entre les pourcentages de Juifs et d’Arabes qui réussissent au certificat de fin d’études secondaires, et si vous tenez compte du niveau de leurs examens, ce que nous considérons comme la qualité de leurs certificats de fin d’études secondaires, alors les écarts sont énormes ».

La conséquence, note Amara, est qu’un pourcentage significatif de diplômés d’écoles secondaires arabes israéliennes ne sont pas admissibles en université.

De leur côté, les écoles chrétiennes des communautés arabes sont en tête de la réussite dans le pays et dépassent constamment les écoles juives. Mais elles sont presque exclusivement privées. Comme les Druzes, les Chrétiens représentent une toute petite part de la population arabe d’Israël.

Possédants et non-possédants

Dalia Fadila, fondatrice et directrice d’un nouveau réseau d’écoles privées anglophones de la minorité arabe d’Israël, croit que la tendance à la privatisation va se renforcer parce qu’elle affiche des résultats probants. Quand on lui demande si cela pourrait créer de nouvelles catégories de possédants et de non-possédants, voici ce qu’elle dit : « De mon point de vue, il s’agit de créer une alternative et non de creuser le fossé. Mon rôle est d’offrir une alternative à ceux qui veulent quelque chose de différent ».

Le réseau scolaire « Q » de Fadila fonctionne désormais dans une douzaine de lieux en Israël mais ne comporte pas encore d‘école secondaire.

Pour autant, l’explication d’écarts entre écoles juives et arabes en Israël ne réside pas toujours dans l’agent ou la sélection. L’école secondaire publique dans le village druze de Beit Jann dans le nord d’Israël, dont les élèves sont excellents en permanence ces dernières années, en est un bon exemple.

Dans des localités comme Beit Jann, remarque Agbaria de l’université de Haïfa, une nouvelle génération en est venue à considérer l’éducation comme la clef du changement du sort des minorités en Israël. Comme il le dit, « cette éthique libérale ou néo-libérale qui s’est imposée dans la société arabe a pour effet que beaucoup croient qu’ils peuvent vaincre le système s’ils sont simplement mieux éduqués ».

Dans le cas de Beit Jann, un village pas du tout fortuné, une énorme énergie a été investie dans l’amélioration de la qualité de l’éducation à l’école locale, avec des résultats presque inimaginables. Il y a d’autres exemples aussi, en particulier dans la communauté druze.

La nouvelle étude du centre Taub montre qu’en 2000, moins de 30% des élèves druzes d’Israël obtenaient leur certificat de fin d‘études secondaires. En 2015, plus des deux tiers ont eu des résultats dépassant toutes les autres communautés du pays. La proportion d’élèves druzes qui se présentent au certificat de fin d’études secondaires est aussi plus élevée que toutes les autres.

Le début de ce siècle a marqué un tournant pour la communauté à cet égard, dit Amir Khnifess, le directeur de l’Institut d’études druzes d’Isfiya près de Haïfa.

«La génération précédente croyait que pour s’intégrer dans la société, le moyen était de s’engager dans l’armée, dit Khnifess, se référant au fait que les Druzes, contrairement à la plupart des Arabes ont tendance à s’engager dans l’armée israélienne. « La nouvelle génération a fini par réaliser que cela ne suffit pas, et ce que nous commençons à observer, ce sont des investissements de plus en plus importants dans l’éducation. Je crois que c’est vrai pour tous les Arabes en Israël et c’est pourquoi nous en voyons de plus en plus qui entrent à l’université ces dernières années ».

Ils ne devraient cependant pas se leurrer, prévient Agbaria, parce que le succès scolaire ne garantit pas nécessairement le succès dans la vie.

« Ces écoles d’élite sont un encouragement parce qu’elles prouvent qu’il pourrait en aller autrement » dit-il.

« Une fois que leurs diplômés sortent sur le marché du travail, ils verront néanmoins qu’il y a toujours une discrimination considérable dans ce pays ».