Les FDI construisent une barrière à travers la Vallée du Jourdain, privant les Palestiniens de 4 500  hectares de leur terre

Afin de construire une ‘barrière’ de 22 km de long, les FDI vont démolir, d’après un document militaire, les maisons, les bergeries et les infrastructures, ce qui ‘constitue une vulnérabilité fonctionnelle’. L’un des villages sera entièrement cerné par la barrière. Les résidents de cette zone n’ont eu que quelques jours pour faire opposition.

L’armée est dans des étapes avancées de construction d’une nouvelle barrière de séparation profondément inscrite dans la Vallée du Jourdain, à au moins 12 kilomètres à l’ouest de la frontière jordanienne. La barrière coupera les villages de paysans et les communautés de bergers palestiniens de leurs terres et séparera ces communautés palestiniennes les unes des autres, suivant le modèle de la barrière de séparation de la Cisjordanie occidentale.

A ce stade, le segment septentrional prévu dans la Vallée du Jourdain est de 22 kilomètres de long et de 50 mètres de large, et l’armée a l’intention de détruire toutes les structures et infrastructures à l’intérieur de sa zone de couverture – maisons, bergeries, serres, bâtiments de stockage, pipelines, citernes d’eau, végétation et autres. D’après une source de la sécurité, il s’agit de la troisième section de la totalité de la barrière. Les questions d’Haaretz sur la totalité de la route prévue n’avaient pas reçu de réponse au moment de cette publication.

Carte de la route de la barrière : Kerem Navot

Dimanche de cette semaine – 10 jours exactement après que les résidents aient appris que l’armée avait l’intention de s’emparer de leur terre dans un but militaire – les représentants de l’Administration Civile ont ordonné à cinq familles de démolir et de démonter d’ici une semaine les structures et les serres le long de la partie méridionale du segment planifié, entre Ein Shibli et Khirbet Atouf.

Il est également planifié que le segment prévu encercle, dans une boucle, la communauté de bergers de Khirbet Yarza, zone d’environ 4 km² où 70 personnes vivent de l’élevage de plusieurs milliers de moutons. Cet encerclement inquiète gravement les résidents, qui ne savent pas quelles autres restrictions de circulation l’armée a l’intention de leur imposer, ni quels arrangements elle prévoit pour leur accès aux écoles, aux cliniques, aux marchés et autres services dans les villes voisines, ou pour emmener leurs troupeaux pâturer.

Une « barrière naturelle » qui n’est pas naturelle

Dans un document du mois d’août dernier signé par le chef du Commandement Central, le général de division Avi Bluth, la nouvelle barrière de séparation est présentée comme faisant partie d’un projet militaire appelé « Hut Hashani » (« Fil Pourpre »). D’après ce document, qui est parvenu à Haaretz, elle consistera  en une route de patrouille goudronnée, assortie dans certaines parties d’une « barrière naturelle » et, dans d’autres, de talus de terre et de tranchées. Une source de la sécurité a dit à Haaretz que la barrière « naturelle » était en réalité une clôture que devait construire le ministère de la Défense.

Khirbet Yarza, cette semaine. Les résidents ne savent pas si et comment ils pourront contourner la barrière, qui va entièrement clôturer leur village. Crédit : le Conseil de Khirbet Yarza

La largeur de la barrière et de la route de patrouille elle même sera de 10 mètres, avec 20 mètres de plus en tant qu’« espace de sécurité » de chaque côté tout au long de la totalité de la route. La barrière, écrit Bluth, est prévue pour empêcher la contrebande d’armes et protéger les colons dans cette zone. « Afin d’établir un contrôle opérationnel sur la route de patrouille, les cadres supérieurs opérationnels du Commandement Central ont pensé qu’il était nécessaire de retirer les structures à proximité », puisque, d’après Bluth, «  les groupes de constructions à proximité immédiate de la barrière prévue représentent une vulnérabilité opérationnelle. »

Du point de vue de Bluth, ces tentes, baraquements et bergeries « augmentent significativement la possibilité de mener une activité hostile » contre les forces qui passeront le long de la route de sécurité à côté de la barrière et, par conséquent, « leur suppression représente une nécessité de sécurité opérationnelle évidente ». La source de la sécurité, qui a demandé l’anonymat, a dit à Haaretz que cela faisait référence à « environ 60 éléments de construction, dont des constructions légères, des tentes, des serres et des parcelles agricoles », et que « le BLC (Bureau de Liaison et de Coordination qui fait partie de l’Administration semi-militaire semi-civile israélienne) avait fourni une analyse des dommages potentiels après une analyse professionnelle ».

La source a ajouté que l’idée de construire la barrière avait pris forme après l’attaque par balles au carrefour de Mehola en août 2024, dans laquelle Yonathan Deutsch de Beit She’an avait été tué.

La scène de l’attaque par balles l’année dernière au carrefour de Mehola. D’après une source militaire, l’idée d’installer la barrière est née après l’attaque. Crédit : Gil Eliyahu

La nouvelle barrière qui, en pratique, va couper plusieurs routes d’accès pour les Palestiniens, s’ajoute aux restrictions de circulation existantes : grilles de fer verrouillées sur les routes secondaires, le checkpoint fermé de Tayasir vers le nord, et le checkpoint de Hamra où les véhicules sont retenus pendant de longues heures. Dror Etkes de l’organisation Kerem Navot qui documente sur l’appropriation de terres par Israël en Cisjordanie, estime que le stade actuel du projet « Hut HaShani » déconnectera les paysans et les propriétaires terriens des secteurs des villes de Tammun, Tubas, Tayasir et Aqaba – de quelque 45 000 dunams (4 500 hectares) de leur terre qui seront piégés entre la Route Allon et la nouvelle barrière.

Les ordres de démolition donnés cette semaine aux familles ont été précédés de neuf ordres de saisie-de-terre que Bluth avait déjà signés le 28 août. Mais ils n’ont été portés à l’attention des résidents que les 20 et 21 novembre lorsqu’ils ont été accrochés à des poteaux et des arbres et déposés dans le bureau du BLC de Jénine – presque trois mois après qu’ils aient été émis. Plus tard, un message WhatsApp a également été envoyé au chef du comité de liaison palestinien de Tubas.

L’ordre de saisie de terre, qui a été affiché sur un poteau le mois dernier à Kkirbet Yarza. Les résidents n’ont pas été informés quand les ordres ont été signés en août dernier. Crédit : Conseil de Khirbet Yarza

On n’a donné que sept jours aux résidents – c’est-à-dire jusqu’à la fin de la semaine dernière –  pour présenter leurs objections. « Deux de ces jours étaient vendredi-samedi, et pendant quatre jours, nous étions sous couvre-feu [pendant un raid prolongé de l’armée dans la région] et nous ne pouvions préparer les copies des documents de propriété de la terre », dit Mukhlis Masa’id, résident de Khirbet Yarza.

Néanmoins, d’après la source de la sécurité, les sept jours alloués pour soumettre des objections seront décomptés à partir de l’étude que les propriétaires sont supposés mener avec l’armée aujourd’hui (mercredi).

Ruines dans le village d’Ein al-Hilweh au nord de la Vallée du Jourdain, au début de cette semaine. La nouvelle barrière est perçue comme une nouvelle étape dans la réalisation des intentions israéliennes de déplacer les communautés palestiniennes de la zone. Crédit : Gil Eliyahu

La zone totale de la saisie actuelle est de 109 hectares. D’après les calculs d’Etkes, la majeure partie est la propriété privée des Palestiniens de Tubas et de Tammun, excepté environ 11 hectares définis comme terrain public. Parce que chaque ordre se référait à une petite section de la barrière, cela a pris du temps pour avoir une image complète. L’avocat Tawfiq Jabareen, qui représente les résidents palestiniens de la Vallée du Jourdain, n’a eu connaissance des ordres et de toutes leurs implications que jeudi dernier, 27 novembre. Cela a eu lieu lors d’une audience concernant d’autres requêtes qu’il avait déposées auprès de la Haute Cour de Justice contre des ordres de démolition, émis pour des manques de permis de construire, dans des villages de cette zone. A sa grande surprise, la procureure générale Maya Zifin a demandé l’annulation de l’injonction provisoire qui gelait les ordres, que la Haute Cour avait émise l’année dernière,  prétendant que la raison de ces démolitions était maintenant une question de sécurité.

Le lendemain, Jabareen a soumis une objection initiale à la construction de la barrière. Entre autres arguments, il a dit que qu’il existait une frontière bien sécurisée entre le Jourdain et la vallée, et qu’il était improbable qu’une barrière additionnelle au cœur de la vallée permettrait d’empêcher la contrebande d’armes. Jabareen a également ajouté que les communautés qui avaient besoin de protection contre le terrorisme, c’était les Palestiniens, qui souffrent d’agressions répétées de la part des colons.

Ruines de la communauté d’Umm Jamal, qui a été entièrement déracinée, dans la Vallée du Jourdain. Ces deux dernières années, 500 Palestiniens du nord de la Vallée du Jourdain ont été obligés de se relocaliser à la suite d’attaques de colons. Crédit : Moti Milrod

Pousser les Palestiniens dans les enclaves A et B

Des villages agricoles palestiniens et des dizaines de communautés pastorales se sont répandus à travers la Vallée du Jourdain bien avant la création de l’État d’Israël. Beaucoup se sont développés progressivement comme des ramifications périphériques de gros villages à flanc de montagne. Avec l’accroissement de la population, les troupeaux de moutons avaient besoin de davantage de sources d’eau et de zones de pâturage et il a fallu étendre les terres cultivées. Des installations saisonnières sont devenues des villages permanents. Certains villages sont peuplés de Bédouins qui sont des réfugiés de 1948, et d’autres de bergers de Samu’a et de Yatta au sud de la Cisjordanie qui, après 1967, se sont retrouvés avec leurs aires de pâturage et les sources d’eau réduits par la construction de colonies, et qui ont migré vers le nord.

Mukhlis Masa’id de Khirbet Yarza, l’avocat Jabareen, Mu’ayyad Sha’ban – à la tête du comité palestinien de résistance à la barrière de séparation et des colonies – et Dror Etkes sont convaincus que la nouvelle barrière est une autre étape de la réalisation de l’intention d’Israël de chasser toutes les communautés palestiniennes de la fertile Vallée du Jourdain. D’après Sha’ban, la barrière renforcera le processus d’annexion de facto mis en place par Israël. Ces deux dernières années, à la suite d’attaques répétées par les colons, 500 Palestiniens du nord de la Vallée ont été obligés de quitter leurs maisons : quatre communautés entières comprenant en gros 300 personnes, et 240 autres personnes de cinq autres communautés, d’après les données de B’Tselem.

Le checkpoint de Beka’ot, cette semaine. Entre le checkpoint et le nord de la Vallée du Jourdain, il y a 16 avant-postes israéliens non autorisés. Six d’entre eux ont été construits ces deux dernières années. Crédit : Gil Eliyahu

Les communautés qui restent sur leurs sites ne peuvent plus faire pâturer leurs troupeaux : soit à cause du harcèlement direct par les Israéliens, soit parce que les colons ont clôturé de vastes zones de pâturage et ont accaparé les sources. Dans cette zone, les Israéliens ont également bloqué l’accès des fermiers à leur terre, et il y a des rapports quotidiens de dommages aux équipements agricoles tels que les tuyaux d’irrigation et les serres. En plus de sept colonies de longue date, il y a 16 avant-postes israéliens non autorisés dans la zone qui va du nord de la Vallée du Jourdain au checkpoint de Hamra/Beka’ot. Le premier s’est installé en 2012, neuf se sont installés entre 2016 et 2023, et six ces deux dernières années. D’après Etkes, la barrière et la poussée continue des Palestiniens hors de leurs terres facilitera l’installation de nouveaux avant-postes.