Pourquoi les étudiants palestiniens de Gaza ne peuvent-ils occuper leurs places à l’université en Grande-Bretagne ?

Si le Royaume-Uni n’accélère pas le transfert sécurisé des Palestiniens disposant d’offres des universités britanniques, son gouvernement sera complice de l’effacement de la formation des étudiants de Gaza, dit Avi….

Si le Royaume-Uni n’accélère pas le transfert sécurisé des Palestiniens disposant d’offres des universités britanniques, son gouvernement sera complice de l’effacement de la formation des étudiants de Gaza, dit Avi Shlaim, professeur émérite à Oxford

Il y a actuellement 76 étudiants palestiniens à Gaza qui, envers et contre tout, ont obtenu des places pour étudier dans 31 des meilleures universités du Royaume-Uni. Plus de 35 de ces étudiants ont des bourses complètes, huit autres attendant de récupérer un internet fonctionnel pour pouvoir accepter formellement leurs offres fermes. Pourtant, malgré leurs succès, tous ces étudiants sont actuellement dans l’incapacité d’occuper ces places durement gagnées, parce qu’ils ne peuvent pas quitter Gaza. Pour bon nombre d’entre eux, ces places ont déjà été reportées de la précédente année universitaire, faute de routes de sortie sécurisées.

Parmi ces étudiants, comme The Independent l’a indiqué auparavant, se trouve Dalya Ibrahim Shehada Qeshta, 22 ans. On lui a offert une place pour étudier la pharmacie à l’université de Manchester, tandis que sa soeur, Dalal, a obtenu une place à l’université de Bristol pour un cours d’ingénierie aérospatiale. Toutes les deux ont de la famille au Royaume-Uni, mais aucune des deux ne peut quitter Gaza, à cause d’obstacles physiques et d’un manque de soutien financier.

En réponse à cette situation, le Centre international de la justice pour les Palestiniens — une organisation indépendante d’avocats, de politiciens et d’universitaires qui a pour objectif de protéger leurs droits grâce à la loi — a signé une lettre ouverte avec des groupes militants de travailleurs de santé et d’avocats, appelant le gouvernement britannique à prendre des mesures immédiates.

Et la semaine dernière, près de 5000 universitaires, dont moi-même, avons aussi fait campagne auprès de l’administration Starmer pour faciliter un transfert sécurisé de ces étudiants, de Gaza au Royaume-Uni. Parmi les signataires figurent 600 professeurs, quatre vice-chanceliers et vice-chanceliers adjoints, 12 doyens, huit membres de la British Academy et huit officiers ou membres de l’Ordre de l’Empire britannique (OBE et MBE).

Le problème technique est double. Le Royaume-Uni exige des demandeurs d’inscrire leurs données biométriques pour que leur demande puisse être traitée, mais le Centre d’enregistrement biométrique de Gaza autorisé par le Royaume-Uni a fermé en octobre 2023. Alors qu’un protocole de report biométrique a été mis en place en 2023 pour les Ukrainiens, les requêtes palestiniennes pour un tel report ont fait face à un mur de pierre bureaucratique. Bien que le gouvernement dise qu’il y a des voies ouvertes pour ces demandes, pas une seule n’a été acceptée, même pour des universitaires dotés de financements émis par le gouvernement lui-même.

De plus, si les étudiants obtiennent ces reports biométriques qui leur permettraient de faire leur enregistrement biométrique dans un pays tiers (par exemple, la Jordanie ou l’Égypte), ils ne peuvent quitter Gaza. Par conséquent, le gouvernement doit rendre possibles à la fois un report biométrique et un chemin de sortie praticable. Le 6 août, une autre lettre signée par plus de 100 membres du Parlement a été envoyée au Premier ministre Keir Starmer, appelant à une action urgente sur ce problème.

Il est remarquable que les gouvernements d’Irlande, d’Italie, de France, d’Allemagne et de Belgique ont tous évacué des étudiants disposant d’offres pour des formations universitaires, dans le cadre d’initiatives plus vastes d’évacuations afin de fournir des soins médicaux urgents, particulièrement pour les enfants palestiniens. Il n’y a aucune raison plausible pour que le gouvernement britannique ne suive pas leur exemple.

Les profils et les aspirations d’un bon nombre de ces étudiants ont déjà été largement décrits. Des étudiants qui ont pris des tests de langue anglaise, ont écrit des essais de motivation pour leur admission et ont fait des interviews en ligne dans les conditions les plus horribles – beaucoup sous des tentes et avec des réseaux wifi de fortune – restent dans les limbes en attendant que le gouvernement britannique agisse.

Les forces de défense israéliennes ont bombardé les 11 universités de Gaza, laissant 88000 étudiants dans l’impossibilité de continuer leurs études. Quelques-unes de ces universités ont été entièrement détruites ; d’autres ont été occupées pour servir de bases militaires, ou de centres pour les interrogatoires et la torture des détenus. Permettre que l’éducation des étudiants continue n’est pas seulement vital pour la future reconstruction de l’espace académique de Gaza, mais aussi pour la reconstruction de la Bande de Gaza dans son ensemble.

Tout au long de mai et de juin, cette question a été discutée à plusieurs reprises au Parlement, mais jusqu’à présent, il n’y a eu aucun changement dans les exigences concernant les étudiants de Gaza, et il n’y a toujours pas de sortie. Et cela malgré l’annonce récente du gouvernement britannique qu’il avait l’intention de faciliter l’évacuation des enfants de Gaza pour des traitements médicaux urgents. Jusqu’à la semaine dernière, seuls trois enfants de Gaza étaient arrivés au Royaume-Uni pour y être soignés.

En 2024, un groupe d’universitaires et d’administrateurs des universités de Gaza a publié un appel à action. Le scolasticide — la destruction systématique des institutions éducatives, ainsi que l’assassinat ciblé des étudiants et des universitaires — continue à ravager ce qui reste de Gaza. Si le gouvernement britannique ne réussit pas à permettre un passage sécurisé de ces chercheurs prometteurs, il demeurera complice du crime de scolasticide.

Plus de 4800 universitaires du Royaume-Uni se sont engagés à soutenir l’appel. Ils partagent l’opinion de leurs collègues de Gaza selon laquelle l’éducation est un droit humain fondamental.

Ce sont des temps difficiles et la position du gouvernement sur cette question est une mesure de son engagement pour les valeurs universelles des droits humains, de la justice et de l’égalité des chances. Mettra-t-il en pratique ce qu’il prêche en facilitant l’entrée de ces jeunes universitaires héroïques ou continuera-t-il à les abandonner à la tendre miséricorde de la machine de guerre israélienne ?

Avi Shlaim est professeur émérite de relations internationales à l’université d’Oxford et l’auteur de Genocide in Gaza: Israel’s Long War on Palestine [Génocide à Gaza: la longue guerre d’Israël contre la Palestine]