Rien qu’en juillet, l’armée israélienne a conduit plus de 1300 attaques dans des quartiers palestiniens. Les habitants endurent un harcèlement constant, sachant que chaque soldat agit impunément et que personne n’interviendra. Nous voyons que chaque soldat se comporte comme un commandant et fait ce qu’il veut, sans crainte des niveaux hiérarchiques supérieurs.

Hind et Abir (noms d’emprunt), deux femmes de différentes parties de la Cisjordanie, ne se sont jamais rencontrées. Au début de juillet, des soldats ont attaqué la maison de Hind ; au début de juin, ils ont attaqué celle d’Abir. Ils ont pris 10 000 shekels (2500 €) chez Hind et lui ont laissé un document officiel faisant référence aux règles de la défense d’urgence du temps du mandat britannique en 1945 et d’un ordre des FDI (2009) sur des dispositions sécuritaires, en guise de justification. Ils n’ont fourni aucune preuve de leur allégation selon laquelle l’argent était lié à une association illégale.
Dans la maison d’Abir, ils ont pris des bijoux en or et de l’argent liquide, sans laisser aucun document. Des témoignages de multiples sources indiquent que ces incidents ne sont pas isolés .
Les deux femmes ont des fils qui ont perçu ou perçoivent des salaires de l’Autorité Palestinienne ; l’un était employé, l’autre travaille dans les services de sécurité de l’AP. Les deux femmes ont refusé d’être interviewées ou de livrer des témoignages détaillés pour la même raison que nous entendons sans arrêt de la part de chercheurs de terrain des organisations de défense des droits humains telles que la Jerusalem Legal Aid et le Human Rights Center (JLAC de Ramallah) ou l’ONG israélienne Yesh Din – Volontaires pour les Droits Humains ; crainte de représailles de la part des soldats une fois que leurs noms sont publics.
Les représailles, pensent-elles, pourraient être une nouvelle attaque, une violence plus forte ou du harcèlement sur elles et sur leur famille au passage des checkpoints. Certains disent qu’ils « savent que c’est arrivé » à un voisin ou à de la famille. Même si ces récits sont non-vérifiés, les rumeurs ont par elles-mêmes un effet paralysant.
La peur est enracinée dans une perception palestinienne répandue du comportement des soldats, surtout depuis le 7 octobre 2023 : ils agissent comme ils veulent, sans restriction. L’armée a intensifié les raids sur les agglomérations et les maisons, tandis que le nombre de checkpoints surveillés a augmenté. Les longues attentes dans les queues de véhicules se sont faites plus habituelles, ce qui expose davantage les gens à l’humeur et à l’hostilité des soldats.
Ces attaques sont au bas de l’échelle de l’attention du public – israélien et palestinien, éclipsées qu’elles sont par le désastre en cours à Gaza et par les destructions et l’expulsion des camps de réfugiés de Jénine et de Tulkarem . Pourtant, ces raids demeurent l’essentiel de la réalité quotidienne du régime israélien de domination. Chacun d’eux, qu’il soit considéré seul ou avec d’autres, est lié à des décisions politiques et militaires plus larges, prises par les autorités israéliennes.
Un habitant de la ville de Ya’bad, âgé de 60 ans a donné une description de deux journées de la fin du mois de juin lorsque des soldats ont occupé plusieurs bâtiments d’habitation, ont fait irruption dans 113 maisons et, selon ce témoignage, ont volé de l’argent liquide et des biens, sans laisser le « reçu » que les Palestiniens reçoivent parfois.
« Par le passé, tous les soldats écoutaient l’officier et agissaient selon ses ordres » a dit un habitant de 60 ans de Ya’bad après les deux jours de la fin juin pendant lesquels les soldats ont occupé plusieurs bâtiments d’habitation, fait irruption dans 113 maisons et, selon ce témoignage, ont volé de l’argent liquide et des biens, sans laisser le « reçu » que les Palestiniens reçoivent parfois. « Aujourd’hui », a-t-il poursuivi, nous voyons que chaque soldat se comporte comme un commandant et fait tout ce qu’il veut, sans crainte des niveaux hiérarchiques supérieurs. Avant, nous pouvions plus ou moins dialoguer en quelque sorte avec l’officier. Aujourd’hui, c’est impossible ».
D’anciens habitants du camp de réfugiés de Balata ont tiré une conclusion similaire. Leur impression est en phase avec ce qu’a établi Yesh Din qui dit qu’aujourd’hui, « il n’y a personne à appeler » dans l’armée quand est rapporté le comportement d’un soldat, qui serait considéré inacceptable même dans les propres normes des FDI. « Il n’y a personne vers qui se tourner sur place – seulement après coup. Personne ne considère qu’il est de son devoir d’arrêter quelque chose ou d’intervenir en temps réel » dit l’avocat Roni Pelli de Yesh Din.
L’esprit du commandant Bezalel Smotrich
Le comportement de soldats et de jeunes officiers est étroitement lié à une politique globale, disent les Palestiniens qui surveillent la conduite de l’armée. Issam Aruri, le directeur général de JLAC, établit un lien entre les multiples rapports de soldats supposés avoir confisqué et volé de l’argent dans des maisons palestiniennes, et l’intention déclarée du ministre des Finances Bezalel Smotrich d’affaiblir l’économie de l’Autorité Palestinienne jusqu’à ce qu’elle s’effondre. Dans un tel climat, « l’esprit du commandant » suffit. Aucun ordre écrit n’est nécessaire.
Depuis octobre 2023, la plupart des Palestiniens qui travaillaient en Israël ont perdu leur emploi à cause du resserrement des restrictions de sortie des territoires. Cela a accru la dépendance vis-à-vis d’un soutien de famille travaillant en Cisjordanie – que ce soit dans le secteur privé sérieusement affaibli ou dans le secteur public. Depuis avril de cette année, Israël n’a transféré au Trésor palestinien aucune part des rentrées douanières et fiscales qu’il collecte dans ses ports, sur des marchandises destinées au marché palestinien.
« Il n’y a personne vers qui se tourner sur place – seulement après coup. Personne ne considère qu’il est de son devoir d’arrêter quelque chose ou d’intervenir en temps réel » dit l’avocat Roni Pelli de Yesh Din.
Ces rentrées financières sont un élément-clé du budget de l’AP. Depuis 2019, Israël n’a pas transféré l’entièreté du montant stipulé dans le Protocole de Paris et dans les Accords d’Oslo, ce qui ne laisse que des salaires partiels aux employés du secteur public. Selon la mise à jour économique de MAS, l’Institut de recherche en économie politique de Palestine, les salaires d’avril et de mai n’ont atteint que 35% de leur niveau d’origine – un taux encore plus bas que d’habitude.
La principale raison du retrait des fonds réside dans les indemnités que l’AP verse aux familles des prisonniers et aux prisonniers libérés, sous l’égide d’une loi que Mahmoud Abbas a abrogée en février de cette année. Une autre raison est l’argent que l’AP verse aux habitants de Gaza, pour lequel Smotrich a ordonné de prélever un montant équivalent es recettes douanières.
De nombreux Palestiniens, en particulier dans les villages, conservent encore des liquidités chez eux, d’après ceux dont l’argent a été confisqué par des soldats. Cette pratique a des racines culturelles et sociales : la méfiance vis-à-vis des banques et des transactions numériques, l’emploi payé à la journée, la pratique d’employeurs israéliens qui paient en espèces, un marché ouvert aux Palestiniens d’Israël et la peur de mesures israéliennes qui pourraient menacer l’épargne.
Un autre facteur est le refus de la Banque d’Israël d’accepter un surplus de pièces de la part des banques palestiniennes et de les convertir en devises étrangères, au-delà d’un quota établi par le Protocole de Paris, qui est obsolète. Les banques n’ont littéralement pas de place pour emmagasiner les billets et pièces, donc elles limitent le montant de shekels que les Palestiniens peuvent déposer sur leurs comptes.
Par conséquent, la politique de la Banque d’Israël – qui obéit au programme du ministre des Finances – permet aux soldats qui attaquent des maisons palestiniennes de rechercher et de saisir des montants substantiels d’argent liquide. Étant donné que les soldats ne sont pas tenus de présenter la preuve que l’argent est lié à une « association illégale », les Palestiniens concluent que le seul véritable prétexte est qu’un membre de la famille a été ou est encore un prisonnier ayant droit à une indemnité.
Certains habitants disent que les soldats ont insinué qu’il s’agissait de cela lorsqu’ils ont confisqué de l’argent chez eux. Si c’est vrai, les Palestiniens sont effectivement punis doublement pour ces indemnités : une première fois sur la saisie des fonds publics et encore lorsque de l’argent gardé à la maison est pris. Certains ont perdu leur emploi à la suite de l’installation de nouveaux checkpoints sur des routes proches de leur lieu de travail – généralement lorsque des colonies et des avant-postes sont construits dans la zone. La confiscation d’économies familiales constitue une punition supplémentaire sans autre forme de procès.
Pourtant, Ziyad Rustum du village de Kafr Malik à l’est de Ramallah – ancien prisonnier qui dit que des soldats ont pris de l’argent et des objets de valeur chez lui sans laisser de documents – a dit à Haaretz que de telles prises ne sont « rien comparées à notre terre que des colons saisissent violemment et que l’armée ne nous permet pas de cultiver ».
Amjad Atatra, le maire de Ya’bad à l’ouest de Jénine, a établi le même lien entre les vols découverts par des habitants après le retrait des soldats, fin juin, et l’accès à la terre. « Il y a toujours eu des confiscations, du pillage et des violences au cours des attaques », dit-il, « mais maintenant c’est fait à une bien plus grande échelle ».
Au cours des deux dernières années, a-t-il ajouté, l’armée s’est concentrée sur le blocage de l’accès à la terre. « Nous avons 22 000 dounams (2 200 hectares) d’oliviers et des parcelles d’agriculture saisonnière. Depuis deux ans, nous n’avons pas été autorisés à entrer dans nos oliveraies ».
L’impression qu’a eue Atatra des deux jours pendant lesquels sa ville a été envahie en juin est que « les objectifs des incursions militaires ont changé. Avant, on pouvait dire qu’ils avaient des raisons de sécurité militaire pour lesquelles ils arrêtaient une ou deux personnes. Aujourd’hui, l’armée vient souvent sans raison, non pour arrêter mais pour détruire .”
Les statistiques des attaques sous-estiment ce point : en juin il y a eu 2 177 incidents ; en juillet, 1 348. Au cours des mêmes mois en 2023, il y en a eu respectivement 705 et 673 ; en 2022, 537 et 410.
Chaque attaque est bien plus importante que le rapport stérile qui en est fait. De jour comme de nuit, des soldats peuvent faire irruption dans des maisons ou « seulement » faire un trajet de dominant le long d’une voie principale, avec des tirs ou en lançant des grenades assourdissantes et des gaz – ou pas ; des soldats peuvent frapper des membres des familles, ou pas ; des enfants se réveillent en pleurant à la vue d’un fusil chargé, ou ayant été réveillés auparavant par leurs parents. Dans tous les cas, c’est toujours pénible et cela trouble la vie quotidienne.
Le caractère voyant de nombreuses attaques (dont se saisir de maisons et hisser des drapeaux israéliens sur elles ou à proximité) frappe le directeur général de Breaking The Silence, Nadav Weiman, comme l’affichage de la domination, un message du genre « vous feriez mieux d’être vigilants ». La présence militaire prolongée dans des quartiers et maisons palestiniens pendant des heures de suite, a-t-il dit, est faite pour « mettre les tensions de leur côté, du côté des Palestiniens.
« Il y a toujours eu des confiscations, du pillage et des violences au cours des attaques », dit-il, « mais maintenant c’est fait à une bien plus grande échelle ». Amjad Atatra, maire de Ya’bad
Les soldats ne sont pas seulement positionnés sur des routes empruntées par les colons, pour surveiller les colonies ou se tenir à proximité ; ils sont envoyés dans des villages et quartiers palestiniens pour créer un potentiel de confrontation. Le but ultime, dit Weiman, est de mettre les colons aussi à l’aise que possible.
Statistiques écrites dans le sang
Le groupe de contrôle palestinien qui fait partie du département de l’OLP pour les affaires en négociation, tient un registre quotidien et mensuel des attaques. Il repose principalement sur les rapports des services de sécurité palestiniens et de comptes rendus des médias. Les catégories concernées sont les meurtres, les blessures, les arrestations, les tirs, les checkpoints et les barrages surprise, les confiscations de terres, la destruction de propriétés, les attaques d’équipes médicales, les dommages portés aux sites religieux, les expulsions, les saisies, les interférences avec les forces de sécurité palestiniennes, la construction de colonies et les attaques de colons.
En juin 2022, le groupe a recensé 2 162 incidents liés à des occupations à Gaza et en Cisjordanie ; en juillet, 1 772. Depuis la fin de 2023, pour des raisons évidentes, les données ont été décomptées séparément en Cisjordanie et à Gaza. Le mois de juin de cette année a vu 3 549 incidents dans la seuls Cisjordanie et 3 797 en juillet.
Contrairement aux données de l’ONU, le groupe de surveillance de l’OLP inclut aussi dans ses statistiques les attaques de colons n’ayant pas abouti à des blessures ou à des dommages sur les biens. En juin 2022, il a compté 93 incidents (avec ou sans blessures) ; en juillet, 74. Un an plus tard, les chiffres ont bondi à 184 et 156. En juin de cette année, le groupe a listé 235 attaques de colons et en juillet 369 incidents de ce type.
Pris ensemble, le nombre d’incidents – et les modèles liant leurs types et leur gravité – a révélé l’échelle implacable de l’invasion israélienne dans la vie palestinienne, heure par heure, jour après jour.