La Haye: Les raisons de la jubilation des Palestiniens et des craintes d’Israël

Le nouveau soutien du Conseil de sécurité pourrait faire que la procédure à la Cour Pénale Internationale ose faire le pas d’un examen préliminaire à une enquête sur les colonies.

Jeudi, après que l’Égypte a repoussé la présentation de sa proposition de résolution au sujet des colonies, le Président palestinien Mahmoud Abbas a appelé le Président égyptien Abdel-Fatah al-Sissi et lui a dit : « Nous irons de l’avant, même sans vous », a rapporté un représentant de l’OLP à Haaretz.

Et bien sûr la délégation palestinienne aux Nations Unies conduite par Riyad Mansour n’a pas laissé le choc de la volte-face égyptienne paralyser le processus mais a plutôt commencé immédiatement à agir avec d’autres pays membres qui ont signé la proposition et leurs ministres des affaires étrangères, en vue d’assurer qu’elle soit rapidement soumise au vote du Conseil de sécurité.

La dernière fois que le Conseil de Sécurité a voté une résolution condamnant les colonies israéliennes (dans tous les territoires occupés en 1967, dont le Golan syrien) et que le vote fut unanime, USA inclus, c’était en mars 1980, la résolution 465. Ensuite il a continué à appeler au démantèlement des colonies et à exhorter à la fois le gouvernement israélien et le peuple d’Israël à révoquer les dispositions prises pour la création de nouvelles colonies. La demande de démantèlement des colonies n’apparaît pas dans la résolution 2334 de vendredi, qui ne s’adresse pas au peuple d’Israël, mais seulement au gouvernement.

Dans la résolution de 1980, une référence est faite à « une grave diminution des ressources naturelles, en particulier des ressources en eau dans les territoires occupés ». La résolution actuelle ne mentionne pas ce phénomène, qui n’a fait qu’empirer. Elle mentionne en revanche « la construction et l’expansion des colonies, le transfert de colons israéliens, la confiscation de terres, la démolition de maisons et le déplacement de civils palestiniens, en violation du droit humanitaire international ».

Les 26 ans écoulés et les différences entre les deux résolutions mettent l’accent sur ce qui est bien connu : ces résolutions, particulièrement, dans le contexte israélien, n’ont aucun poids ; pour autant, les Palestiniens jubilent et Israël est furieux.

La raison de la satisfaction d’un côté et de la fureur de l’autre est la même : la Cour Pénale Internationale de la Haye. Il y a deux ans, le 1er janvier 2015, Abbas a signé une déclaration au nom de « L’État de Palestine » stipulant qu’il accepte la compétence de la Cour sur les activités menées dans ses territoires depuis le 13 juin 2014 (c’est à dire qu’il s’adressait à la Cour pour qu’elle examine la suspicion de crimes de guerre commis dans ses territoires). La veille, le 31 décembre 2014, Abbas avait signé une requête pour adhérer au Statut de Rome (sur la base duquel la Cour a été fondée).

Il fit cela en grande partie sous la pression de la base palestinienne parce qu’il ne pouvait pas continuer à nier la conclusion de toute la Palestine qui était qu’Israël ne voulait pas la paix. Le document présenté à la Cour de La Haye contient des informations quant aux suspicions de crimes de guerre commis par Israël à Gaza à l’été 2014 et dans les colonies. La poursuite à La Haye en est toujours à l’examen initial visant à statuer sur l’opportunité d’enquêter sur les suspicions de crimes de guerre à partir du 13 juin 2014.

L’Autorité Palestinienne (« l’État de Palestine »), laquelle par sa nature-même agit lentement, n’est pas seule à pouvoir proposer que la suspicion de crimes de guerre soit examinée. Des organisations non gouvernementales peuvent aussi le faire, comme quatre organisations palestiniennes de défense des droits humains l’ont fait le 22 novembre en présentant au parquet de La Haye un document de 145 pages qui détaille la base factuelle et juridique pour l’examen de la suspicion que le blocus de la bande de Gaza est un crime de guerre.

Malgré tout cela, des spécialistes en droit international et d’autres recommandent aux Palestiniens de se concentrer sur les colonies et de transmettre à La Haye des informations sur des crimes de guerre commis dans le cadre de leur installation et de leur expansion. Contrairement à la guerre à Gaza, il n’y a pas à craindre que l’enquête, et peut-être la condamnation, concerne aussi des Palestiniens. D’un point de vue émotionnel, il est difficile pour des Palestiniens de renoncer à déclarer que l’attaque sur Gaza était un crime de guerre et un crime contre l’humanité.

Les représentants de l’Autorité Palestinienne se concentrent néanmoins sur les colonies – à propos desquelles l’information ouverte non sujette à interprétation ou à débat abonde. Le nouveau soutien des 14 pays membres du Conseil de Sécurité à la décision qui établit explicitement que les colonies (ainsi que les actes de démolition et de déplacements qui y sont liés) violent le droit humanitaire international – et l’explication de l’abstention américaine – pourrait conduire le parquet de La Haye à décider d’avancer d’un examen préliminaire à une enquête.

La résolution donne un encouragement décisif aux représentants palestiniens à fournir la procédure à La Haye en information détaillée (et tout à fait disponible) et en preuves juridiques sur la poursuite de la construction dans les colonies. Contrairement à la Haute Cour de Justice israélienne, le droit international humanitaire et le Statut de Rome ne font pas de distinction entre la construction de colonies sur des terres privées ou publiques : la première les considère comme une infraction, la seconde comme un crime de guerre.

Abbas avait besoin de cette décision, non seulement pour la Palestine mais aussi pour des raisons de politique interne. À peine un jour plus tôt, il semblait qu’Abbas était au plus bas (dans une enquête d’opinion publique, deux tiers des répondants souhaitaient sa démission) et que sa stratégie ait échoué. Et les réactions de joie permettent certes de conclure qu’en ce moment la situation a été inversée.

Le conseiller stratégique d’Abbas, Houssam Zomlut a dit à l’agence de presse palestinienne Ma’an que la résolution est une victoire pour la politique de la présidence palestinienne. Parmi ceux qui ont adressé des félicitations pour le résultat du vote figurent des porte-parole du Hamas et du Front Populaire, même si la résolution condamne le terrorisme et appelle à la coopération sécuritaire entre l’AP et Israël. Le Front Populaire, de façon indirecte traduit la disposition sur le terrorisme en disant, dans ses propos de félicitations, que ce sont les Palestiniens qui sont victimes du terrorisme et que leur lutte contre l’occupation est fondée sur le droit international. Pour autant, les félicitations envoyées à Abbas par ses rivaux, et la satisfaction d’organisations de défense des droits humains qui sont très critiques vis-à-vis de son régime dictatorial, sont aussi une façon de reconnaître la logique qui sous-tend sa tactique diplomatique.