Un cessez-le-feu permanent, la circulation libre et sûre de l’aide, et la levée du blocus sont maintenant nécessaires – on pourrait y parvenir avec une volonté politique.
* Nick Maynard est chirurgien bénévole à l’hôpital Nasser.
J’écris ceci de l’hôpital Nasser au sud de Gaza, où je viens juste de finir d’opérer un autre jeune adolescent gravement dénutri. Un bébé fille de sept mois est couchée dans notre unité de soins intensifs pédiatriques, si minuscule et dénutrie que je l’ai d’abord prise pour un nouveau-né. L’expression « la peau sur les os » ne rend pas justice à la façon dont son corps a été ravagé. Elle dépérit littéralement sous nos yeux et, en dépit de tous nos efforts, nous sommes là impuissants à la sauver. Nous sommes maintenant témoins à Gaza d’un affamement délibéré.
C’est la troisième fois depuis décembre 2023 que je suis à Gaza en tant que chirurgien volontaire avec l’Aide Médicale aux Palestiniens. J’ai été amené à vivre des événements avec des victimes en masse et j’ai sonné l’alarme sur la malnutrition dès janvier 2024. Mais rien ne m’a préparé à l’horreur absolue dont je suis maintenant témoin : l’utilisation de la famine comme une arme contre une population tout entière.
Les membres des familles font de leur mieux pour essayer de rapporter ce qu’ils peuvent, mais il n’y a tout simplement pas assez de nourriture disponible à Gaza. Pour les nouveaux-nés nous n’avons pratiquement pas de lait maternisé. On donne aux enfants 10 % de dextrose (eau sucrée), qui n’a aucune valeur nutritive, et leurs mères sont trop mal nourries pour allaiter. Quand un collègue international a essayé de faire entrer du lait maternisé à Gaza, les autorités israéliennes l’ont confisqué.
La démarche de Benjamin Netanyahou est double : empêcher la nourriture d’entrer à Gaza tout en ne laissant aux civils désespérés d’autre choix que d’aller jusqu’aux points de distribution militarisés pour obtenir quelques provisions limitées. Jusqu’au mois de mai, Gaza avait plus de 400 sites de distribution de l’aide où les gens pouvaient avoir accès sans risque à de la nourriture. Maintenant, il n’y a plus que quatre de ces zones militarisées dans le Sud où les familles affamées risquent constamment une attaque.
On m’a parlé de dizaines de victimes de traumatisme qui affluent quotidiennement dans les services d’urgence de Gaza – dont beaucoup sont blessées par balles aux points de distribution militarisés. J’ai pratiqué des opérations sur des garçons âgés de 12 à 15 ans, dont les parents disent qu’ils ont été atteints par balles alors qu’ils essayaient d’obtenir de la nourriture pour leur famille. La semaine dernière, un enfant de 12 ans est mort sur la table d’opération, atteint au ventre dans ce que l’on ne peut décrire que comme un piège mortel pour ceux qui cherchent de quoi survivre.
Mes collègues du service d’urgence ont également fait état d’une tendance inquiétante : des blessures concentrées pendant différentes journées sur des parties spécifiques du corps – la tête, les jambes, les parties génitales – suggérant le ciblage délibéré de ces parties du corps.
Ces derniers jours, j’ai opéré deux femmes frappées par balles depuis des quadcopters alors qu’elles s’abritaient sous leurs tentes près d’un des lieux de distribution, d’après ce qu’ont dit les gens qui les ont transportées. L’une était en train d’allaiter son enfant quand elle a été frappée ; la deuxième était enceinte. Dieu merci, toutes deux ont survécu jusqu’ici à leurs blessures. Ces femmes n’étaient même pas en train de chercher de l’aide – elles s’abritaient simplement dans des zones prétendument « sures », mais exposées aux tirs aveugles des FDI et de leur régime de famine utilisée comme arme.
Il n’y a pas que les patients ici qui sont mal nourris, mais aussi les travailleurs de santé. Lorsque je suis arrivé, c’est à peine si j’ai reconnu les collègues avec qui j’avais travaillé l’année dernière – certains avaient perdu 30 kg. A l’heure du déjeuner, certains médecins et infirmiers se dirigent vers les sites de distribution, sachant qu‘ils risquent la mort, mais qu’ils n’ont pas le choix s’ils veulent nourrir leur famille.
L’hôpital Nasser est le dernier grand hôpital en fonction au sud de Gaza, mais nous travaillons à la limite de nos capacités, tirant les leçons des attaques précédentes et submergés par la quantité des victimes, tout en faisant face à la pénurie générale. La destruction systématique du système de santé de Gaza par Netanyahou a concentré les besoins médicaux criants dans ce seul établissement, tout en ciblant directement les travailleurs de santé et les patients. Rien que cette semaine, l’un de nos chers infirmiers sur le terrain a été tué sous sa tente avec ses trois jeunes enfants.
Je veux qu’on me comprenne bien – ce qui est fait aux Palestiniens de Gaza est barbare et peut être entièrement évité. Je ne peux croire que nous en sommes arrivés au point où le monde regarde alors que les gens de Gaza sont obligés de subir la famine et les tirs, tout ceci alors que l’aide alimentaire et médicale attend de l’autre côté de la frontière, à quelques kilomètres d’eux.
La malnutrition et les attaques imposées aux civils en tueront des milliers de plus si on n’y met pas fin immédiatement. Chaque jour sans agir signifie davantage d’enfants qui mourront, pas seulement à cause des balles et des bombes, mais de la faim. Un cessez-le-feu permanent, le flux libre et sûr de l’aide grâce au système dirigé par l’ONU, et la levée du blocus sont maintenant nécessaires – et on peut y parvenir avec une volonté politique.
La constante complicité du gouvernement britannique avec les atrocités israéliennes est inacceptable, et je ne veux pas passer un jour de plus à opérer des enfants qui ont été frappés par balles et affamés par une armée que soutient notre gouvernement. L’histoire ne jugera pas seulement ceux qui ont commis ces crimes, mais ceux qui sont restés là à regarder.
De l’intérieur de l’hôpital Nasser, je vous dis : Ceci est délibéré. Ceci est évitable. Et ceci doit cesser maintenant.
* Pr. Nick Maynard est un chirurgien conseil à l’hôpital universitaire d’Oxford qui est allé régulièrement à Gaza depuis 15 ans. Il est bénévole à l’Aide Médicale aux Palestiniens à l’hôpital Nasser de Gaza.