Je pensais m’engager dans une mission d’aide. Mais ce dont j’ai été témoin à Gaza est horrible.
Note de la rédaction : Compte tenu de la valeur de ces informations et de ce point de vue, Zeteo a accédé à la demande d’anonymat de l’auteur afin qu’il puisse s’exprimer librement, sans intimidation ni crainte de représailles.

Je fais partie des centaines d’agents de sécurité qui sont allés à Gaza pour faciliter l’acheminement de l’aide dans le cadre du nouveau projet de la Gaza Humanitarian Foundation, soutenu par les Etats-Unis.
Et ce ne sont que des conneries.
J’ai rejoint ce qui semblait être une bonne mission, bien rémunérée, par l’intermédiaire d’une société appelée UG Solutions. On nous a donné peu d’informations.
On m’a dit que j’avais obtenu le poste quelques jours avant notre départ. C’était vraiment à la dernière minute.
Après notre arrivée à Washington, le 16 mai, nous avons reçu des informations un peu plus détaillées. Nous allions assurer la sécurité des sites d’aide à Gaza. On nous l’a répété à maintes reprises : « Si vous êtes ici pour dégainer, faites vos valises et rentrez chez vous, car nous ne sommes pas là pour ça. Nous sommes là pour aider. » Cette idée m’a plu.
Le lendemain, nous sommes partis pour le Moyen-Orient. Notre groupe comprenait environ 300 personnes d’horizons divers, y compris des personnes ayant servi dans des unités militaires d’opérations spéciales, d’anciens fantassins, des personnes ayant servi dans l’armée mais n’ayant jamais été déployées, et d’autres n’ayant jamais servi dans l’armée, mais ayant travaillé dans le maintien de l’ordre public. Certaines personnes semblaient beaucoup trop âgées. Il semble que la compagnie était tellement à court de personnel qu’elle n’était pas très regardante sur les personnes qu’elle autorisait à participer à l’opération.
Il était difficile d’obtenir des tenues et de l’équipement. Il n’y avait pas assez d’uniformes pour tout le monde. Ils ne fournissaient pas d’optiques ou de lunettes de visée pour nos armes (comme les points rouges qui vous aident à viser). Les armes elles-mêmes étaient une autre paire de manches. Nous avons fini par recevoir chacun une sorte de fusil d’assaut ainsi qu’un pistolet. Mais personne n’a été testé pour s’assurer qu’il avait reçu une formation adéquate.
Certains d’entre nous ont également reçu des mitrailleuses. Plus tard, on nous a donné des options moins meurtrières : spray au poivre, grenades assourdissantes. Vous l’avez deviné : personne n’a été testé pour savoir s’il savait les utiliser correctement. À quelle distance des gens peut-on lancer une grenade assourdissante ? Si vous devez asperger quelqu’un de gaz poivré, où aspergez-vous ? Pendant combien de temps ? Personne ne le sait parce que personne ne nous l’a dit. Nous parlons de personnes qui n’ont pas accès à l’eau et nous sommes prêts à les asperger de gaz poivré. Pourquoi ferions-nous cela ? Ils essaient simplement d’obtenir l’aide que nous sommes là pour leur donner. C’est insensé.

Ce n’était pas qu’un manque d’entraînement au maniement des armes. Ceux d’entre nous qui ont participé à des engagements militaires ont aussi une formation à la sensibilisation culturelle, ce qui est important lorsqu’on essaie d’entrer en contact avec une population civile. Mais cette formation ne nous a pas été proposée, y compris à ceux qui n’avaient jamais été déployés, avant que nous nous rendions à Gaza.
Et je ne parle même pas du fait que ces hommes manquaient de sommeil. Avant notre déploiement, on nous a dit que nous travaillerions par périodes de 12 heures – quatre jours ouvrés, deux jours de repos. En réalité, nous avons parfois travaillé jusqu’à 20 heures par jour. Pas de jours de repos. On nous a dit que nous agissions dans le cadre du droit international. Mais ils n’ont jamais précisé quelles étaient ces lois ou ces lignes directrices. La seule indication distincte était que si vous ou ceux qui vous entourent vous sentez menacés, vous avez le droit de vous défendre. Mais cela laissait beaucoup de zones d’ombre.
Vous avez donc des hommes qui ne connaissent pratiquement pas la culture, pas d’expérience en matière de déploiement et qui ne sont pas nécessairement qualifiés pour utiliser les armes dont ils disposent pour assurer la sécurité des sites d’aide dans un endroit où nous savons que des millions de personnes ont désespérément besoin d’aide. Qu’est-ce qui pouvait mal tourner ?
Beaucoup de choses ont mal tourné.
Chaos à l’état pur
Le premier jour, le deuxième jour officiel de la mission, nous avons été débordés ; c’était le chaos le plus total. Aux portes d’entrée du site d’aide, les gens attendaient dans cinq couloirs séparés par des clôtures métalliques. Une voie était réservée aux femmes et aux enfants. Les quatre autres étaient réservées aux hommes, et ils laissaient entrer les gens, cinq, dix, vingt à la fois – tout ce que nous pouvions supporter. Ce n’était pas organisé et les gens se faisaient écraser et piétiner. Finalement, il y a eu tant de monde dans les couloirs que les portes ont éclaté.

Nous nous sommes mis en retrait, laissant les gens recevoir l’aide. Ils n’ont jamais été agressifs envers nous. Ils essayaient seulement d’obtenir de l’aide – de la farine, du riz, des lentilles, des sachets de thé et des nouilles ; des choses qui nécessitent de l’eau. Ils n’ont pas d’eau. Et nous ne distribuons pas d’eau.
Nous avons rapidement dû nous replier sur un deuxième périmètre. À ce moment-là, certains membres du personnel ont commencé à tirer des coups de semonce en l’air.
Nous nous sommes alors repliés une nouvelle fois. Comme nous étions envahis, on nous a demandé de pousser tout le monde dehors, même s’ils continuaient à ramasser des objets au sol.
Nous nous sommes tous mis en ligne et avons commencé à pousser les gens dehors. Nous avons dit à des femmes en pleurs qui essayaient de prendre de la nourriture pour leur famille qu’elles devaient partir. Elles regardaient cette nourriture par terre dont elles avaient désespérément besoin, et elles ne pouvaient pas la prendre. C’était absolument horrible.
Un des types, le premier à avoir tiré un coup de semonce, a également été le premier à entrer en contact physique avec un Palestinien. Quelqu’un était penché, en train de ramasser des provisions – et sans perdre une seconde, le contractant américain l’a jeté par terre.
On m’a dit plus tard que l’armée israélienne devait faire sortir ces gens parce qu’ils allaient passer. Ils sont rapidement arrivés avec des chars, comme une sorte de présence de sécurité, mais nous avions déjà poussé les gens dehors.
L’idée que l’armée israélienne n’est pas impliquée est une connerie. Ils sont très impliqués. Ils ont des bureaux dans nos enceintes. Nous partageons nos radiocommunications avec eux. Les hauts responsables affirment que l’armée israélienne n’est pas impliquée, mais on a l’impression qu’ils sont ceux qui tirent les ficelles. Certes, ils ne sont pas sur place avec nous, mais leurs tireurs d’élite et leurs chars ne sont qu’à quelques centaines de mètres. Vous pouvez les entendre tirer toute la journée.
Les suites de ce chaos ont été tout aussi remarquables. Pendant ces longues heures de travail, la nourriture n’était pas fournie. Nous recevions une allocation pour faire nos propres courses en Israël, mais nous n’avions pas beaucoup de temps pour cela, et encore moins pour dormir. Certains de nos hommes mangeaient l’aide éparpillée sur le site.
Le piège de l’aide ?
Un épisode reste gravé dans ma mémoire. Nous avons surveillé un site vide toute la journée ; peu après le crépuscule, des dizaines de camions à plate-forme ont finalement apporté de l’aide. L’armée israélienne a rapidement signalé par radio que 200 à 300 civils se trouvant à quelques kilomètres (moins de deux miles) au nord approchaient. Nous avons alors vu un drone israélien se rendre sur place.

Peu après, cette zone a commencé à être éclairée par l’artillerie.
L’interprétation généreuse ? Peut-être que les Israéliens tiraient entre notre position et les gens pour les empêcher d’avancer. Je ne pense pas que ce soit le cas. Après tout, les chars d’assaut tirent toute la journée près de ces sites d’aide. Des tireurs d’élite tirent depuis ce qui a été un hôpital. Les bombes et les balles volent toute la journée dans une seule direction : vers les Palestiniens.
Nous savons que l’armée israélienne a imposé des couvre-feux dans certaines parties de Gaza. Je ne serais pas surpris que l’aide ait été livrée la nuit délibérément, car cela aurait attiré les gens, qui auraient alors pu être visés comme des combattants, même s’ils ne l’étaient pas. Il est très clair que l’armée israélienne profitera de toutes les occasions pour tirer.
Ce que nous – ces entreprises américaines et leur personnel contractuel – faisons cause directement plus de douleur, de souffrance et de mort pour les Palestiniens de Gaza.
Les gens doivent parfois parcourir des kilomètres pour se rendre sur les sites, ce qui implique de passer par des zones contrôlées par Israël. L’armée prend toutes les excuses possibles pour dire que quelqu’un représente une menace. Il n’y a pas vraiment de médias internationaux dans ces régions, et l’Occident ne veut pas vraiment croire les médias palestiniens, alors vous en venez au point où la vérité elle-même est trouble. En même temps, pendant toute la journée, je n’ai entendu que des chars israéliens, des mitrailleuses, des tireurs d’élite et des bombes.
Mais jamais de tirs venant de la direction opposée.
Au début, lorsque nous avons commencé à distribuer de l’aide, c’était vraiment réconfortant. Je veux dire, je pouvais pleurer. Les Palestiniens disaient « Merci » et « J’aime l’Amérique ».
Mais cela n’a pas duré.
Je tiens à préciser que je suis arrivé là avec une grande ouverture d’esprit. Je n’ai pas de parti pris. Je méprise la souffrance humaine et je déteste qu’elle existe. J’espérais simplement être utile. Mais je ne pense pas que nous le soyons. Ce que nous – ces entreprises américaines et leur personnel contractuel – faisons conduit directement à plus de douleur, de souffrance et de mort pour les Palestiniens de Gaza.