« Lauréats de Pause, un programme français d’accueil, des chercheurs et artistes palestiniens sont toujours bloqués à Gaza »

Dans une tribune au « Monde », un collectif de plus de 300 universitaires, parmi lesquels Patrick Boucheron, Didier Fassin et Edith Heard, demande au gouvernement français d’intervenir pour évacuer douze chercheurs et artistes gazaouis sélectionnés par le programme national d’accueil en urgence des scientifiques et artistes en exil (Pause), et de créer un fonds d’urgence.

Le temps presse. Alors que l’armée israélienne intensifie son offensive sur Gaza, des dizaines de chercheurs et d’artistes gazaouis, lauréats du Programme national d’accueil en urgence des scientifiques et artistes en exil (Pause), ou susceptibles de l’être, n’ont toujours pas été évacués. Le 13 mai, nous avons appris la terrible nouvelle du décès de l’un des lauréats, Ahmed Shamia, un architecte de 42 ans, attendu à l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Paris-Val de Seine.

Il avait été grièvement blessé le 7 mai, lors des bombardements par l’armée israélienne de la rue Al-Wehda, dans la ville de Gaza, qui ont fait plusieurs dizaines de morts. Face à la dégradation de la situation humanitaire et sanitaire à Gaza, l’évacuation de nos collègues et des artistes lauréats de Pause ne peut plus attendre. Il est de la responsabilité morale et politique du gouvernement français de mobiliser tous les moyens pour permettre leur arrivée en France au plus vite sous peine de les exposer à périr sous les bombardements.

Le programme Pause a été créé, comme l’a solennellement souligné Emmanuel Macron lors de son discours à la Sorbonne le 5 mai, « au nom de cet universalisme scientifique, jumeau de l’universalisme européen ».

Des dysfonctionnements

Fondé en 2017 à l’initiative du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche et piloté par le Collège de France, Pause a pour but de favoriser l’accueil en France de chercheurs, enseignants-chercheurs et artistes étrangers en situation d’urgence dans des établissements d’enseignement supérieur et de recherche, des écoles d’art et des institutions culturelles, qui prennent en charge une partie de cet accueil, pour des périodes allant d’une à deux années.

Son utilité n’est plus à démontrer. Répondant à la multiplication des foyers de crises et de conflits dans le monde, le programme a permis en huit ans l’insertion académique et artistique de plus de 700 femmes et hommes venant de nombreux pays, de la Syrie à l’Afghanistan, en passant par la Turquie, l’Ukraine et la Russie.

Dès le mois de décembre 2023, à la demande d’universités et en lien avec le ministère des affaires étrangères et le consulat général de France à Jérusalem, le programme Pause a mis en place des mesures accélérées afin de répondre à l’urgence dictée par l’escalade de la violence à Gaza. Après plus d’un an d’attente, seize de ces chercheurs et artistes, accompagnés de leur famille, ont ainsi atterri à Orly le 25 avril, dans le cadre d’une évacuation organisée par la France. Ils avaient été précédés au fil de 2024 par vingt autres ayant quitté Gaza pour l’Egypte par leurs propres moyens.

Ces arrivées, dont il faut se réjouir, ne doivent pas faire oublier le travail qui reste à accomplir. Douze Palestiniens de Gaza attendus par Pause sont toujours bloqués à Gaza avec leur famille, dans un contexte de péril grandissant. Il paraît incompréhensible que le gouvernement français, à l’initiative de ce programme, ne mette pas tout en œuvre pour rendre possible cet accueil. Au-delà de la bonne volonté officiellement affichée, des dysfonctionnements sont hélas à déplorer. A titre d’exemple, un cancérologue, dont la candidature a pourtant été officiellement validée depuis six mois, ne peut toujours pas bénéficier d’une évacuation pour rejoindre l’Institut Curie. D’autres lauréats sont attendus à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, au Campus Condorcet ou encore à l’université de Tours.

Un signal d’espoir

A l’heure où la France s’émeut, à juste titre, des coupes budgétaires opérées par le président Donald Trump dans tous les secteurs de la recherche aux Etats-Unis, et lance la plateforme « Choose France for Science », avec un budget annoncé de 100 millions d’euros pour attirer notamment des chercheurs américains, il serait inconcevable de ne pas venir en aide aux lauréats du programme Pause, qui sont, avec leur famille, en danger de mort.

Aucun lieu dans la bande de Gaza n’est aujourd’hui à l’abri des bombardements et toutes les structures universitaires et de recherche ont été détruites. Pire encore, les universitaires, artistes, chercheurs, étudiants
ont été et sont toujours particulièrement visés par les frappes israéliennes, tout comme le personnel médical et les journalistes. L’urgence est là. Le président Macron doit intervenir afin d’honorer les engagements pris par l’Etat français vis-à-vis des lauréats du programme Pause bloqués à Gaza, sous peine de se dédire et de faire de« l’universalisme scientifique » qu’il défend un vœu pieux.

Il est en outre nécessaire de créer un fonds d’urgence – sur le modèle de celui qui a été mis en place pour les chercheurs et artistes ukrainiens -, afin que leurs homologues de Gaza puissent être accueillis dans de bonnes conditions et en plus grand nombre. Un accueil en France dans le cadre du programme Pause leur permettra de se reconstruire aux côtés de leur famille, et lancera un signal d’espoir pour donner un avenir à Gaza et à la Palestine en pariant sur la recherche et l’éducation.

Alors que la diplomatie semble impuissante à arrêter le massacre et le nettoyage ethnique de la population palestinienne, il en va de notre responsabilité collective et de notre humanité.

Premiers signataires : Annick Allaigre, professeure de littérature, présidente de la Fondation UP8, ancienne présidente de Paris-VIII; Catherine Belzung, professeure de neurosciences (université de Tours), titulaire de la chaire Unesco « Maltraitance infantile » ; Simone Bonnafous, ancienne présidente de l’université Paris-Est Créteil, référente insertion académique et professionnelle au MENS (Migrants dans l’enseignement supérieur) et au Jesuit Refugee Service; Patrick Boucheron, historien, professeur au Collège de France; Hélène Boulanger, présidente de l’université de Lorraine ; Didier Fassin, sociologue, professeur au Collège de France; Edith Heard, généticienne, professeure au Collège de France; Henry Laurens, historien, professeur au Collège de France; Philippe Roingeard, président de l’université de Tours; Thomas Römer, administrateur du Collège de France, président du comité de direction de Pause.

La liste complète des signataires est disponible ici