Les médecins israéliens doivent condamner le traitement inhumain des détenus palestiniens hospitalisés

La déshumanisation de patients a conduit à faire croire que le soin médical est un privilège et non un droit humain fondamental – en contradiction directe avec le serment d’Hippocrate.

En travaillant comme médecin dans un hôpital public j’ai été témoin d’un activiste de droite qui, à plusieurs reprises, s’est introduit à l’intérieur de l’hôpital et a filmé ses actes. Il a ignoré le contrôle de sécurité à l’entrée, a déambulé dans différents services et est entré là où des prisonniers palestiniens recevaient des soins – tout cela en incitant « le peuple d’Israël » à se joindre à lui.

Ses vidéos visaient à rallier une opposition publique à l’hospitalisation de détenus de Gaza, mais elles ont aussi, involontairement, exposé les conditions inhumaines des soins à eux prodigués. Les détenus ont leurs quatre membres contraints – traitement connu sous le nom de contention à quatre points – avec souvent les yeux bandés, parfois pour plusieurs jours ou même semaines. Certains sont dans un état critique, tandis que d’autres sortent d’interventions chirurgicales. Des données sur d’autres hôpitaux indiquent que cette pratique est largement répandue dans tout le système de santé public israélien.

L’usage de la contention à quatre points sur des détenus a déjà été documenté dans des cas d’alimentation forcée. Aux États-Unis, le système carcéral autorise de tels traitements uniquement sur ordre direct d’un officier supérieur et seulement en cas de danger immédiat pour le personnel. Or, en Israël, le ministère de la santé a rendu obligatoire l’usage de la contention à quatre points et du bandage des yeux dans l’hôpital de campagne du centre de détention militaire de Sde Teiman  pour la totalité de la durée de détention d’un prisonnier. Parallèlement, les centres de soins des services carcéraux d’Israël ont ordonné la contention des prisonniers palestiniens pendant tous les traitements médicaux.

Faute de manifestations d’opposition, les hôpitaux publics ont adopté les pratiques normalisées de Sde Teiman et du système carcéral. Pour des patients dans des conditions médicales complexes, le bandage des yeux et la contention extrême non seulement portent atteinte à leur dignité mais mettent aussi leur santé en danger. Au-delà de la profonde souffrance psychologique, une immobilité prolongée et totale peut aussi conduire à de graves complications médicales.

La question des soins médicaux à des prisonniers palestiniens est souvent formulée comme un dilemme moral. Pour autant, en dépit des enjeux émotionnels et logistiques, il n’y a pas réellement de dilemme. L’éthique médicale présente un cadre clair aux médecins pour guider les traitements qu’ils administrent, centré sur le patient plus que sur la maladie. Autant les entités gouvernementales que les organisations de défense des droits humains ont clairement dit que la contention extrême et le bandage des yeux peuvent s’apparenter à de la torture. Cette distinction entre traitement et punition ne doit jamais être masquée.

Avant le  7 octobre certains efforts étaient encore faits pour encourager des approches alternatives. Le gavage, par exemple, n’a plus été pratiqué en Israël depuis des années, en raison, en grande partie, de l’opposition du personnel médical et de l’Association Médicale d’Israël (IMA). Il y a deux ans, un groupe de médecins, d’administrateurs d’hôpitaux et de représentants de l’IMA ont mis en avant l’usage excessif de la contention sur des prisonniers hospitalisés ou sur ceux en attente de soins. Ils ont même proposé un plan pour améliorer les conditions de contention et ont insisté sur le besoin d’identifier des alternatives viables.

Les hôpitaux publics et les médecins israéliens permettent des hospitalisations dans des conditions inhumaines.

Tout cela a néanmoins été mis de côté désormais. Dans certains cas le souci de la sécurité du patient a rendu difficile la demande d’adoucissement des conditions restrictives. Mais je pense qu’il y a d’autres raisons pour lesquelles la question n’est plus discutée.

En dépit des principes de neutralité médicale, nous sommes tous inévitablement influencés par la société dans laquelle nous vivons et reflétons son état d’esprit. Certains peuvent soutenir les directives du ministère de la santé qui, au début de la guerre, ont donné des instructions aux hôpitaux afin qu’ils n’accueillent pas de prisonniers de Gaza. D’autres ont argumenté que les conditions des détenus ne devraient être améliorées, après tout, qu’après la libération de tous les otages israéliens.

La déshumanisation de nos patients a conduit à estimer que les soins sont un privilège et non un droit humain fondamental – ce qui contredit directement le serment d’Hippocrate. La normalisation de pratiques médicales manifestement dénuées d’éthique nous entraîne à perdre de vue notre humanité.

Plusieurs collègues partagent cette préoccupation, mais le nombre de demandes de la part de médecins de retrait des contentions ou du bandage des yeux lors de procédures médicales a régulièrement diminué, les agents des services carcéraux en refusant la plupart. Je pense que la réticence à informer sur des incidents ou à agir sur cette question viennent aussi de la crainte de représailles. Les appels à la vengeance du “peuple d’Israël”, l’approbation de traitements dans des conditions non éthiques par le ministère de la santé et la croissance d’un discours public hostile amplifient toutes ces craintes.

La communauté médicale d’Israël, sous la conduite de l’IMA, doit agir. Elle doit s’engager à mettre fin à l’usage routinier de la contention à quatre points et du bandage des yeux pendant l’hospitalisation de prisonniers. La responsabilité éthique et humanitaire de chaque membre du personnel médical va au-delà de la simple fourniture de soins médicaux – il s’agit aussi de protéger les droits des patients. Certains peuvent tenir pour responsables l’administration carcérale ou l’armée, mais c’est une erreur. En tant que professionnels de la santé, nous devons assurer la dignité de tout patient et le protéger de la souffrance. Si nous échouons, nous sommes autant responsables que ceux qui leur imposent la contention ou le bandage des yeux.

Daniel Solomon est médecin ; il est membre du directoire des Médecins pour les Droits Humains-Israël.