Les militants juifs pro Palestiniens sur les campus américains

À leurs yeux, soutenir la cause palestinienne n’est pas une trahison mais bien plutôt une affirmation de leurs valeurs juives.

Tandis que des groupes pro et anti Israël bataillent sur les campus des États Unis, une grande attention s’est portée sur les efforts couronnés de succès des organisations palestiniennes de défense des droits pour gagner d’autres groupes à leur cause – dont des Noirs, des Latinos, des LGBT et des militants syndicaux. La prépondérance de Juifs dans leurs rangs a été moins remarquée.

Une tournée récente des campus de Californie – repaires de l’activité anti israélienne – montre que les étudiants juifs en sont venus à assurer des rôles clef dans le mouvement de solidarité avec la Palestine.

Nombre d’entre eux sont des membres fondateurs ou font partie des instances dirigeantes des groupes locaux des Étudiants pour la Justice en Palestine. D’autres ont joué un rôle primordial pour faire passer des motions dans des assemblées étudiantes, recommandant que leurs universités désinvestissent des compagnies qui « profitent de l’occupation israélienne ».

D’autres ont apporté leur soutien à leurs alliés palestiniens sur les campus via des antennes étudiantes locales de Jewish Voices for Peace, une organisation qui soutient le boycott, le désinvestissement et les sanctions de même que le droit au retour des Palestiniens (une idée considérée comme un anathème par la plupart des sionistes de gauche). En fait, JVP et SVP organisent souvent ensemble des activités sur des campus.

Certains de ces étudiants juifs viennent de familles qui ont des racines en Israël et ils apportent à leur militantisme une connaissance profonde du conflit. D’autres n’ont jamais mis le pied dans le pays. Certains ont trouvé leur voie vers la gauche antisioniste à partir d’un attrait initial pour J Street U, une organisation sioniste progressiste qui s’oppose à l’occupation.

Les deux dernières guerres d’Israël à Gaza, au cours desquelles des milliers de civils Palestiniens ont été tués, ont été l’élément déclencheur de la radicalisation pour un bon nombre. Au total, ces militants sont relativement évasifs s’il est question de se prononcer pour une solution particulière au conflit israélo-palestinien, mais ils sont tous d’accord sur un point : soutenir la cause palestinienne n’est pas une trahison à leurs yeux mais plutôt une affirmation de leurs valeurs juives.

Qui sont ces activistes juifs qui ont pris les armes dans la lutte pro-palestinienne sur les campus des États Unis ? Voici quelques uns de leurs parcours, tels que racontés à Haaretz :

Eitan Peled

Étudiant de deuxième cycle de UCLA en sciences économiques et affaires publiques.

Eitan Peled, qui a grandi à San Diego, vient d’une famille israélienne de gauche connue. Feu son grand père, Matti Peled, qui était général pendant la guerre des six jours, a été membre de la Knesset et a été l’un des membres fondateurs de la Liste Progressiste pour la Paix, un parti politique judéo-arabe qui a été parmi les premiers a plaider pour le dialogue avec l’Organisation de Libération de la Palestine. Son père, Miko Peled est aussi un ardent militant pour la paix.

Le jeune Peled est actuellement un membre dirigeant du SJP (Students for Justice in Palestine – Étudiants pour la Paix en Palestine ndlt) de l’Université de Californie à Los Angeles, où il est également actif dans JVP (Jewish Voices for Peace – Voix Juives pour la Paix ndlt). Il raconte que lors de voyages en Israël quand il était enfant, il se rendait avec sa famille chez des amis palestiniens en Cisjordanie.

« Le déséquilibre me frappait » dit-il. « Il n’y avait pas de piscines ni de parcs là-bas comme à Tel Aviv et mes amis palestiniens n’étaient jamais allés à une plage parce qu’ils n’en avaient pas le droit ; c’est ce qui a nourri mon militantisme ».

À la question de savoir s’il s’est jamais senti méprisé par d’autres juifs sur le campus à cause de sa forme particulière de militantisme, Peled répond : « je ne sais pas trop. Mais en tous les cas, je suis fier de mon militantisme ».

Sarah et Elizabeth Schmitt

Sarah Schmitt, étudiante de premier cycle en histoire à UCLA est, comme Peled, active à la fois dans SJP et dans JVP. Sa sœur aînée est maintenant de la même tendance.

Ayant grandi dans une famille juive relativement détachée de la communauté dans le Comté conservateur d’Orange, Sarah Schmitt n’est jamais allée en Israël. Elle a commencé, à peine adolescente, à s’intéresser passionnément au conflit israélo-palestinien, pendant l’opération Plomb Durci, une offensive israélienne de 22 jours sur Gaza qui a démarré en décembre 2008. « Je ne pouvais tout simplement pas comprendre la disproportion de la tuerie et j’en étais captivée » dit-elle.

Ensuite, en tant qu’étudiante en histoire, Schmitt dit qu’elle a commencé à examiner le conflit au prisme de l’histoire juive et que son point de vue en a été ancré d’autant. « Cela m’a donné un sentiment de désillusion sur l’entité qui se présente comme l’État juif » dit-elle.

Schmitt n’est pas la seule de la famille à se sentir trahie par Israël. Sa sœur aînée, Elizabeth, étudiante avancée en histoire de l’Université de Californie à Santa Barbara, a montré le même penchant ces derniers temps. « J’ai récemment assisté à ma première réunion de SPJ sur le campus » explique-t-elle « et bien que je ne me considère pas comme une militante, je suis vraiment intéressée à m’impliquer davantage. Je pense que le fait que Sarah ait été tellement active m’a influencée, mais j’ai aussi beaucoup lu de mon côté, sur le conflit ».

Questionnée sur la réaction de ses parents, elle dit : « franchement, cela les a fait s’interroger aussi sur leurs croyances. Ma mère c’est sûr, mon père pas tant que ça ».

Melanie Malinas

Doctorante en biophysique de Stanford.

Melanie Malinas a grandi dans une famille de Ventura pratiquant le judaïsme réformé et elle est partie un an avant d’entreprendre ses études, pour enseigner dans une école hébraïque à Reno dans le Nevada. N’ayant jamais été en Israël, sa première relation avec le pays est venue d’un ami étudiant comme elle en premier cycle à Oberlin, qui était actif dans un mouvement de jeunesse sioniste.

« Il m’a amenée à m’intéresser, ce qui m’a incitée à faire mes propres recherches et j’ai commencé à élaborer mes propres conclusions » raconte-t-elle. Elle dit avoir eu sa première révélation à la lecture d’un essai critique sur Israël de Peter Beinart (aujourd’hui chroniqueur à Haaretz). « Ce fut ‘wow’ dit-elle et ça a vraiment enflammé mon intérêt ».

Son premier pas dans le militantisme a consisté à rejoindre J Street U, mais elle en a vite été déçue. « Je ressentais que ce n’était pas en phase avec ce que je ressentais » dit-elle. Aussi, en 2012 a-t-elle décidé d’assister au congrès annuel de SPJ.

« J’ai été soufflée » rappelle-t-elle, « non seulement par leur engagement sur la question palestinienne, mais aussi sur d’autres formes de justice sociale ». En tant que membre du noyau organisateur de la direction de SPJ à Stanford, elle a aidé à faire passer une motion de désinvestissement l’an dernier.

Sur la solution qu’elle soutient sur le conflit israélo-palestinien, Malinas dit : « je ne dirais pas que je suis en faveur d’une solution à un seul État ou à deux États, mais je soutiens le droit au retour des Palestiniens et, bien que je me considère antisioniste, je ne pense pas que les Juifs devraient être chassés d’Israël.

Michaela Ruth ben Izzy

Étudiante de deuxième année à Stanford et militante de SPJ sur le campus.

Michaela Ruth ben Izzy a grandi dans ce qu’elle appelle une maison « de culture juive » à Berkeley où ses parents étaient actifs dans le mouvement juif reconstructionniste.

Bien que ses grands parents vivent en Israël et qu’elle y soit allée plusieurs fois, « Izzy » comme on l’appelle, dit qu’elle n’a pas été bien informée sur le conflit jusqu’à ce qu’elle arrive à l’université. « Il y avait plein de choses que je ne savais tout simplement pas » dit-elle.

Tandis qu’elle commençait à se former et à se faire sa propre opinion, J Street U semblait pouvoir lui convenir. « Je voulais m’impliquer et cela semblait être un bon endroit » rappelle-t-elle.

Cela jusqu’à l’été dernier quand elle est allée voir ses grands parents en Israël et qu’elle a décidé de prendre quelques semaines pour aller en Cisjordanie. « Le fait de pouvoir voir les choses de l’autre côté a réellement modifié ma vision du monde » dit-elle. Quand je suis rentrée, la première chose que j’ai faite a été de rejoindre SPJ ».

« Je vois ça comme quelque chose de très juif » note-t-elle. « Lutter contre le statu quo a toujours été une valeur juive, et je pense qu’il fait partie de mon judaïsme de questionner ces choses ».

Kelsey Waxman

Étudiante avancée en histoire et littérature arabe à Berkeley

Kelsey Waxman a été élevé par des parents militants sociaux dans le centre de Chicago où « un fort accent était mis sur l’application de valeurs juives à la vie de tous les jours ».

« Grandir dans un quartier très mélangé m’a appris non seulement l’importance de la diversité mais aussi à aborder les gens avec respect, d’où qu’ils soient » dit-elle.

C’est par ses amis palestiniens à l’école publique, que Waxman a été informée sur l’autre côté du conflit et, des années après, lors d’un séjour deux mois en Jordanie dans le cadre d’un programme d’études à l’étranger où elle a vécu dans une famille de réfugiés palestiniens. Au début, dit Waxman, elle pensait que J Street pourrait être un bon point de chute pour ses options militantes, mais ayant assisté à une conférence de l’organisation, elle a été déçue.

Après un été passé en tant que volontaire au camp de réfugiés d’Aïda près de Bethléem, elle dit avoir réalisé de quel côté elle était. « Des membres de ma communauté juive à Chicago, m’avaient mise en contact avec des gens de JVP, mais il n’y avait pas de groupe JVP ici à Berkeley à ce moment-là » rappelle-t-elle. Aussi, en septembre 2015, avec un autre étudiant ici, j’ai fondé le groupe ».

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, tous les membres du groupe JVP de Berkeley ne sont pas juifs. « Nous avons aussi des membres palestiniens, musulmans, chrétiens et hindous » dit Waxman.

Pourquoi a-t-elle choisi JVP plutôt que SPJ, qui a déjà un groupe actif à Berkeley ? « Pour moi, il était important de parler de mon expérience en tant que juive parce que ce qui se passe en Palestine est justifié par les politiques qui ont la même identité religieuse que moi » dit-elle.

Tallie Ben Daniel

Doctorante à UC Davis

Tallie Ben Daniel, née et élevée à Los Angeles, est la fille d’une juive d’Irak et d’un Israélien. Aujourd’hui elle est la coordinatrice du conseil académique consultatif de JVP.

« J’ai grandi avec une grande connaissance d’Israël où je me suis rendue de nombreuses fois puisque j’ai beaucoup de famille là-bas » dit-elle « et j’ai toujours su que c’est un endroit très compliqué ».

Ce fut pendant ses premières années d’études à l’université de Californie à Santa Cruz, se rappelle Ben Daniel, qu’elle fit deux importantes découvertes. « J’avais toujours pensé que le conflit israélo-palestinien était un conflit entre deux égaux, mais j’ai soudain compris que les deux côtés n’étaient pas égaux parce qu’un côté était un occupant » relève-t-elle. « L’autre chose que j’ai découverte était qu’il y avait beaucoup de juifs américains qui ne voulaient pas parler de ça.

Parce que ce n’était pas le genre de débat que l’on pouvait avoir dans une organisation à dominante palestinienne tel le SPJ, elle et quelques amis qui étaient dans le même état d’esprit à ce moment-là, ont monté leur propre groupe appelé « Juifs troublés ».

« Cela a duré environ six mois » rappelle-t-elle, « mais cela m’a permis de réaliser à quel point nos conceptions variaient ». Ce n’est que lorsqu’elle a rejoint JVP, se rappelle Ben Daniel, qu’elle s’est finalement sentie chez elle. « J’ai réalisé que jusque là je n‘avais pas eu de communauté juive et je me suis sentie bien. J’ai particulièrement aimé le fait que JVP ait une telle ampleur.

Elly Oltersdorf

Étudiante en histoire à UC Davis

Elly Oltersdorf, fille d’une juive australienne et d’un père allemand non-juif, a grandi dans une famille très sioniste à San Diego. Quand on lui demande si ce qu’on entend dire sur un antisémitisme très répandu sur le campus, elle, qui est en début d’études à UC Davis, répond : « la seule fois où j’ai été mal à l’aise comme juive sur ce campus c’est lorsque je me suis présentée comme pro-BDS. En fait aujourd’hui il y a même des gens qui mettent en question ma judéité.

Pour information, son initiation au militantisme social a commencé ailleurs. « Quand je suis arrivée à l’université je me suis engagée dans le mouvement contre la hausse des frais de scolarité puis dans La vie des Noirs compte », relève-t-elle. C’est la guerre de 2014 à Gaza qui a éveillé son intérêt pour le conflit israélo-palestinien. « Ce fut un tournant décisif » dit-elle. « J’ai senti qu’il y avait quelque chose de gravement erroné et qu’il fallait intervenir ».

En tant que présidente du groupe local de JVP, Oltersdorf dit que ses parents ont du mal à accepter ses positions. « Pour ma mère, Israël est quelque chose de tellement émotionnel qu’elle a des difficultés à y penser rationnellement » dit-elle.

Liz Jackson

Diplômée de la faculté de droit de Berkeley

Seule avocate juive de Palestine Legal, une association qui défend les militants pour la défense des droits des Palestiniens, Liz Jackson est diplômée de la faculté de droit de Berkeley. Son exploit peu glorieux – qui a pris un long chemin pour expliquer où elle en est aujourd’hui – est d’avoir participé au tout premier Birthright trip (voyage de droit) en Israël.

« Je ne savais pas grand chose de l’histoire d’Israël à ce moment-là, mais il était tellement évident que c’était un voyage de propagande » dit-elle. « Il ne s’agissait que de faire la fête et d’avoir des choses gratuitement et il m’a semblé que leur principal message était de trouver un mari juif. J’étais une enfant sérieuse et ça m’a complètement dégoûtée ».

Membre important de JVP, Jackson, via son employeur, représente aussi les militants étudiants de SPJ quand ils ont des démêlées avec la loi. Rien qu’au cours de l’année dernière, elle dit que son organisation a répondu à 240 incidents comprenant essentiellement de fausses accusations d’antisémitisme et de soutien au terrorisme.

Jackson, qui a 37 ans et a deux enfants, a grandi dans le Nord-est, où elle a fait le début de ses études à l’université Brown. Avant de s’inscrire en droit, elle s’est engagée dans le sens de la justice sociale et économique à Boston où elle dit que « pour la première fois de ma vie je ressentais que j’avais une communauté juive ».

L’opération Plomb Durci a commencé juste au moment où elle commençait ses études de droit et où elle était devenue active pour la défense des droits des immigrants et sur d’autres aspects concernant la justice économique. « J’ai été horrifiée et scotchée, je ne pouvais pas détourner mon regard » dit-elle.

Peu après, elle a participé à un voyage d’information en Israël et en Cisjordanie pour des militants américains pour la paix. À son retour à Berkeley, elle s’est engagée dans la campagne pour le désinvestissement à Berkeley, qui a donné le coup d’envoi des luttes pour BDS sur les campus.

Essayant d’expliquer ce qui l’a amenée à un engagement professionnel à plein temps pour la cause palestinienne, Jackson dit : « je pense que beaucoup de gens comme moi ressentent un lien à cause de notre appartenance juive. Nous nous identifions aux droits des réfugiés et des opprimés parce qu’une part tellement importante de notre judéité fait face à l’oppression. Cela peut sembler mou, mais pour moi c’est vraiment une réalité »

David McCleary

Doctorant en biologie moléculaire et cellulaire à Berkeley

David McCleary est le dirigeant du groupe SPJ du campus, dont il dit qu’environ un tiers du noyau est juif. Sa mère est juive et son père est athée issu d’une famille irlandaise catholique. McCleary, qui a grandi dans le Comté d’Orange, a été élevé comme juif et « symboliquement sioniste » comme il dit, sans avoir jamais été en Israël.

Militant syndical de longue date, il dit que c’est l’opération Plomb Durci qui « m’a ouvert les yeux » sur le conflit israélo-palestinien et sur « ce que cela voulait dire d’avoir un État juif ».

Cela m’a fait réaliser que quelque chose était faux et cela m’a fait questionner la narration sioniste selon laquelle les Juifs ont besoin de leur propre patrie » dit-il.

Non, dit-il, l’Holocauste n’a pas justifié le besoin d’un État juif parce que « la seule chose qui a sauvé les juifs pendant l’holocauste a été le fait que le monde s’est rassemblé et a dit :cela est injuste – et depuis, un système de droit international a été mis en place pour assurer que ça n’arrive plus ».

Mais il a fallu la guerre de Gaza de 2014 pour le faire devenir un militant pro-Palestinien pur et dur. « Ces images de la destruction de Shejaiya (un quartier de Gaza particulièrement durement touché pendant la guerre de Gaza de 2014), je me suis demandé si quoi que ce soit les justifie».

Quand on lui demande s’il est vrai que des étudiants pro-israéliens sont supposé se sentir mal à l’aise dans des organisations pour la justice sociale, il répond : « c’est tout à fait vrai. Vous êtes pour la justice ou contre la justice ».