Sous le couvert de la guerre, Israël démolit une par une des maisons de Silwan

Le gouvernement a accéléré les plans de dépopulation de ce quartier de Jérusalem-Est, déplaçant cette année des dizaines d’habitants palestiniens.

Younes Odeh et son petit-fils de 3 ans sont debout sur les ruines d’une maison de Silwan, un quartier palestinien à l’ombre de la Vieille Ville de Jérusalem. “C’est là qu’il dormait », dit Odeh, en indiquant une pile de gravats, pierre sèche brisée et béton en miettes— tout ce qui reste de la chambre de son petit-fils. 

Le 27 août, des bulldozers israéliens ont fracassé la maison que le fils d’Odeh, qui s’appelle lui aussi Younes, avait construite en 2015 à côté de la maison de son père. Le même jour, l’armée israélienne a démoli une autre maison à quelques portes de là. 

Situées dans une partie de Silwan appelée Al-Bustan, ces maisons sont depuis longtemps désignées comme cibles pour être démolies dans le cadre de plans municipaux de remplacement de ce quartier résidentiel par un parc archéologique. Des négociations entre les habitants et la municipalité afin de légaliser la construction dans ce secteur et de mettre en œuvre un plan de zonage pour Al-Bustan ont empêché dans une large mesure le déplacement des habitants, au nombre de plus de 1500. Cependant, comme l’attention internationale se tournait vers la guerre génocidaire d’Israël contre Gaza et la possibilité d’une escalade régionale amplifiée, les habitants pensent que le gouvernement israélien a considéré cette situation comme facilitant la poursuite des démolitions.

“Ils utilisent la guerre et le fait que tous les regards se tournent vers la sécurité nationale pour réaliser leur propre programme à Jérusalem — à savoir le déplacement, l’accroissement des colonies, et la transformation de Jérusalem-Est, qui était majoritairement palestinienne, en zone israélienne juive”, dit Fakhri Abu Diab, président du comité des habitants d’Al-Bustan, dont la propre maison a été démolie en février.

Younes Odeh sur les ruines de la maison de son fils. (Jessica Buxbaum)

Selon le Conseil norvégien des réfugiés, Israël a détruit 128 constructions palestiniennes  à Jérusalem-Est entre le 1er janvier et le 2 août cette année ; 19 de ces bâtiments étaient à Al-Bustan, entraînant le déplacement de 52 habitants de ce quartier. Pendant ce temps, depuis le 7 octobre, le gouvernement israélien a approuvé ou fait progresser la construction de milliers de logements dans des colonies juives de Jérusalem-Est.

Au début de juillet, la municipalité de Jérusalem et la police des frontières israélienne a émis 16 ordonnances de démolition concernant des maisons d’Al-Bustan, menaçant de transformer en sans-logis plus de 120 habitants. Les notifications prévenaient les habitants qu’ils avaient moins d’un mois pour quitter leur logement — et en effet, le 5 août, les autorités sont revenues démolir la maison du cousin d’Odeh, Muhammad Abed Odeh. Ils sont maintenant entassés, lui, son épouse et leurs cinq enfants, dans la maison de ses beaux-parents. Pendant ce temps, Younes Odeh, sa femme Shireen et leurs deux jeunes enfants vivent avec le père de Younes en cherchant sur internet un appartement abordable. 

Un des premiers objets pris hâtivement par Younes avant la démolition était le sac à dos Spiderman de son fils. L’enfant devait faire sa première rentrée scolaire en septembre, mais ses parents ont été forcés d’annuler son inscription car ils ne sont pas sûrs d’être encore à proximité de l’école. Maintenant, dit, Shireen, son fils se réveille la nuit trempé d’urine et demande si les policiers vont venir. 

“Une colonisation sous les apparences du tourisme”

L’ensemble de Jérusalem-Est est convoité par l’État israélien et les groupes de colons, mais la proximité de la Vieille Ville fait de SiIwan une priorité dans le plan de démolition. La municipalité de Jérusalem est alléchée par Al-Bustan depuis presque deux décennies, assurant que ce quartier est bâti sur le site où le roi David, monarque juif vénéré, a établi son royaume aux alentours de 1000 avant notre ère.

Des ouvriers sur le chantier de fouilles du Parking de Givati près du Parc national de la Cité de David et du village palestinien of Silwan, à faible distance des murs de la Vieille Ville, Jérusalem, 28 juillet 2019. (Hadas Parush/Flash90)

La municipalité a émis ses premières ordonnances de démolition de bâtiments d’Al-Bustan en 2005, dans le cadre de plans visant à transformer le secteur en parc archéologique du “Jardin du Roi”. Ir Amim, une ONG israélienne qui suit les mesures politiques israéliennes concernant Jérusalem, a décrit ce projet comme “une colonisation sous les apparences du tourisme.”

Mais les racines de la crise du logement dans ce quartier sont plus profondes. Après qu’Israël a occupé et annexé illégalement Jérusalem-Est, il n’a jamais approuvé les plans de zonage pour la plus grande partie du territoire y compris Al-Bustan, que les autorités ont désigné comme “espace vert”. Sans un tel plan, les habitants ne peuvent pas obtenir de permis de construire, indispensables pour qu’une construction soit légale. En conséquence, toute nouvelle construction, même sur des terrains appartenant en privé à des habitants, est exposée à la démolition.

Les plans de la municipalité visant à raser tout le quartier pour créer un parc national ont galvanisé les habitants qui réclament une solution en termes de logement. La pression internationale, qui s’ajoute aux négociations des habitants avec la municipalité, est parvenue à obtenir un arrêt des démolitions à Al-Bustan qui a largement tenu depuis 2018

Mais maintenant, les choses changent. La municipalité a rejeté  le plan de zonage et a commencé à exercer des pressions pour leur faire signer la proposition de la municipalité elle-même — élaborée sans aucun apport local. Ce plan ne réserve que 8 pour cent des terrains à des bâtiments d’habitation, 85 pour cent étant dévolu au “Jardin du Roi”.

Des Palestiniens examinent les dégâts après que des ouvriers de la municipalité ont démoli une maison à Silwan, 17 mai 2023. (Jamal Awad/Flash90)

“Depuis le 7 octobre, la municipalité a cessé les négociations”, dit Younes Odeh à +972. “Avant, il y avait un comité qui parlait avec la municipalité. Maintenant, il n’y a rien.” Et quand il y a une forme de dialogue, il regorge d’hostilité. “Maintenant, ils nous parlent comme si nous étions des terroristes”, dit Muhammad Abed Odeh. 

Dans un communiqué de presse début août, Ir Amim affirmait : “Les démolitions de logements palestiniens ont atteint des niveaux sans précédent depuis que la guerre a éclaté. De telles pratiques constituent une forme de châtiment collectif [et de] représailles violentes exercées par l’État.” Le groupe de défense des droits lançait aussi une alarme : le rythme des démolitions risque de s’accélérer après que la Knesset aura transféré la division de contrôle des biens immobiliers, qui met en œuvre les démolitions à Jérusalem-Est, du ministère des Finances au ministère de la Sécurité nationale, dirigé par le parlementaire d’extrême-droite Itamar Ben Gvir.

Tandis qu’Al-Bustan affronte ce sombre avenir — qui menace son identité de quartier palestinien — la famille Odeh fait face quotidiennement à la perte subie. “Nous avons sous les yeux les ruines de notre maison  alors que nous vivons juste à côté”, dit Shireen Odeh, entourée par les meubles de son ancienne maison. 

Jessica Buxbaum est une journaliste américaine-israélienne basée à Jérusalem. Elle couvre les droits humains, les mouvements sociaux, l’environnement et la politique, en se centrant sur les collectivités palestiniennes et autochtones.

  • Photo : Les forces de sécurité israéliennes détruisent une maison à Silwan, 14 février 2024. (Jamal Awad/Flash90)