Nous exhortons la communauté internationale et médicale à exiger un cessez-le-feu immédiat et permanent et de permettre l’accès à l’aide humanitaire si désespérément nécessaire.
Michael Berry est anesthésiste et médecin en soins intensifs. Suheal Khan est chirurgien orthopédique. Edward Brown est consultant en chirurgie vasculaire et générale. Ils sont récemment revenus d’une mission de volontaires dans l’une des équipes médicales d’urgence de l’Aide Médicale pour les Palestiniens et du Comité International de Secours.

Trois bruits sourds, suivis du hurlement des sirènes d’ambulances.
L’endroit désigné « zone sure » par l’armée israélienne et qui abritait des personnes déplacées en interne a été frappée. Et dans la demie heure qui suit, la salle des urgences sera pleine de patients brûlés, démembrés et éviscérés, dont beaucoup sont des enfants – exactement comme la dernière fois, et la fois précédente.
Tout ce que nous pouvons faire, c’est nous préparer par anticipation. Nous savons que nous serons bientôt submergés. Peu d’hôpitaux sont ici capables de faire face à un afflux soudain de centaines de patients blessés par explosion, surtout quand ils sont, comme c’est le cas, continuellement privés de fournitures médicales.
Au milieu du chaos, l’un de nos collègues locaux anesthésistes apprend que son cousin et voisin a été tué dans la dernière frappe aérienne, qui a atteint des centaines de personnes qui s’abritaient dans une école désaffectée. Il poursuit son travail, soulagé que sa femme et ses fils ne soient pas touchés. Ce n’est que plus tard qu’il reconnaît son cousin gisant dans la salle d’opération, mort pendant l’opération ; le corps trop mutilé pour qu’on l’ait d’emblée reconnu.
Un autre de ses cousins est tué deux jours plus tard dans la frappe aérienne suivante dans la « zone sure » humanitaire d’Al Mawasi, après avoir reçu l’ordre des forces israéliennes de l’évacuer. Peu après, une autre frappe aérienne frappe la maison mitoyenne de la sienne, détruisant des biens de valeur et un téléphone portable – son seul moyen de communication, acheté à un prix fou. Et deux jours plus tard, il est lui même obligé d’évacuer à cause de la dernière attaque sur Khan Younis. Il n’a nulle part où aller.
C’est sans répit.
On a beaucoup écrit sur Gaza ces derniers mois – des articles souvent techniques, parfois passionnés, qui décrivent la destruction à grande échelle des infrastructures et établissements de soins de santé, la famine, les horreurs de la guerre. Et tandis que la résilience de la population palestinienne est très largement révérée et admirée, ce que nous avons constaté, c’est une population profondément traumatisée et épuisée. Des gens sans cesse déplacés, sans abri, pourchassés à l’intérieur d’une parcelle de terre détruite où aucun endroit n’est vraiment sûr.
Ce que nous voyons à Gaza, c’est un triangle de mort : famine, déshydratation et maladie, avec la montée d’épidémies contagieuses – telles que l’Hépatite A et maintenant la Polio – à cause des mauvaises conditions sanitaires et du manque de vaccination pour les enfants.
Beaucoup de nos confrères palestiniens ont perdu des membres de leur famille au cours des bombardements, n’interrompant que brièvement leur travail pour reconnaître la perte. La plupart n’ont pas été payés depuis des mois et viennent cependant travailler ; certains ne s’arrêtent même pas pour quitter l’hôpital, tandis que leurs familles se battent pour survivre dans des bâtiments en ruines ou sous des tentes sans installations sanitaires, dans la chaleur et l’humidité oppressantes.
Tout cela, assorti de peurs constantes concernant la sécurité, et le besoin de s’organiser pour la nourriture, l’eau et le bois pour cuisiner, pousse beaucoup d’entre eux au bord du gouffre. Ces travailleurs des soins de santé, avec les 2 millions d’autres Palestiniens, ont besoin d’aide et en ont besoin d’urgence.
Les lois qui gouvernent la guerre sont dépourvues d’émotion, mais visent à sauvegarder un certain degré d’humanité – même dans un conflit. Nous sommes des médecins, pas des avocats, mais le principe juridique de proportionnalité semble absent de ces récentes attaques. Et la proportionnalité est essentielle pour déterminer la légalité d’un acte de guerre. Tuer 100 civils et en blesser de nombreuses centaines pour éliminer un agent présumé du Hamas semble excessif comparé au gain militaire, et cela donne une certaine indication de la valeur attribuée par l’armée israélienne à la vie des Palestiniens.

Les parties en conflit ont par défaut des points de vue différents, et nous n’avons pas l’intention de prendre parti. Cependant, il ne fait aucun doute que la population civile de Gaza est prise au piège et soumise à des souffrances inhumaines extraordinaires. Il ne fait aucun doute non plus que la plupart des blessés sont des civils – des femmes et des enfants. Dans un espace de temps très court, nous avons tous vu trop de corps brisés, brûlés, démembrés ; des familles détruites ; des enfants mutilés et orphelins ; des avenirs anéantis. La guerre pourrait étancher la soif de vengeance pour Israël, ou alimenter la flamme de la résistance pour le Hamas, elle n’apportera la sécurité à aucune des parties. Et pendant ce temps, la population de Gaza titube d’un massacre à un autre sans aucune fin en vue.
Le système des soins de santé dans la Bande de Gaza s’est effondré et est en chute libre. Il manque de fournitures, de médicaments et des équipements nécessaires pour être capable de traiter de multiples blessés en masse ainsi que des problèmes médicaux plus simples que l’on pourrait en fait traiter. Par exemple, de nombreux patients admis dans l’Unité de Soins Intensifs étaient dans le coma par manque d’insuline pour traiter leur diabète.
Par ailleurs, de nombreux médecins chevronnés ont été kidnappés par l’armée israélienne, maintenus dans des conditions inhumaines pendant des mois sur un temps indéfini, en violation du droit humanitaire international. Les membres du personnel qui restent sont souvent des cliniciens débutants et des étudiants en médecine volontaires.
Envisager l’avenir semble presque impossible ici. Les efforts de reconstruction exigés pour un endroit réduit à des décombres sera colossal. Et même chose pour les besoins en soins de santé : de nombreux survivants nécessiteront de multiples opérations par des spécialistes pour traiter les blessures complexes des membres et les brûlures ; les amputés auront besoin de physiothérapie et de prothèses. Le système de santé au quotidien – y compris les soins de base – devra être reconstruit en partant de zéro ; et le fardeau de la santé, souvent ignoré dans un conflit aigu, est vaste, de nombreux reportages faisant état de symptômes de désordre dû au stress post-traumatique, de deuil complexe et de dépression.
Précisément qui va s’occuper des besoins immenses en soins de santé de cette population assiégée, coupée du reste du monde – et comment – c’est imprévisible.
Alors que notre premier patient de l’attaque arrive moribond, avec une partie de sa jambe gauche qui ne tient que par la peau et des tendons, il murmure avant l’administration de son anesthésie : « Je suis fatigué. J’en ai assez de la guerre. S’il vous plaît, laissez moi mourir. »
Nous exhortons la communauté internationale et médicale à exiger un cessez-le-feu immédiat et permanent et de permettre l’accès à l’aide humanitaire si désespérément nécessaire à Gaza.
- Photo : Ce que nous voyons à Gaza, c’est un triangle de mort : famine, déshydratation et maladie. Omar Al-Qatta/Getty Images