Des experts juridiques internationaux demandent à l’UE de décréter un embargo sur les produits des colonies

Plusieurs dizaines d’éminents experts juridiques du monde entier ont adressé une lettre à l’UE et à ses États membres leur demandant instamment de se conformer à leurs obligations juridiques fondamentales résultant du devoir de non-reconnaissance et de non-assistance aux colonies israéliennes et à leurs activités économiques et, par conséquent, d’imposer un embargo à l’importation aux produits en provenance des colonies.

Lettre aux décideurs politiques de l’Union européenne et de ses états membres leur demandant de se conformer aux obligations juridiques internationales visant à empêcher le commerce en provenance ou à destination des colonies israéliennes

Nous demandons aux législateurs de l’Union européenne et de ses États membres de reconnaître et de respecter leurs obligations juridiques fondamentales résultant du devoir de non-reconnaissance et de non-assistance concernant les colonies israéliennes et leurs activités économiques.

En notre qualité d’experts juridiques, nous demandons à l’Union européenne de s’abstenir de tout commerce à destination et en provenance des colonies, conformément au devoir de non-reconnaissance. Les États membres de l’UE, à titre individuel, ont non seulement le droit, mais l’obligation juridique de respecter le devoir de non-reconnaissance si l’autorité centrale en charge du commerce (la Commission européenne) ne s’y conforme pas.

Toute politique relative à l’étiquetage de produits et de services, même établie dans la législation de l’UE, reste une mesure totalement inappropriée en cela qu’elle ne reconnaît pas les obligations juridiques internationales d’États tiers. Le seule mesure juridiquement correcte consiste à rectifier l’erreur dans les relations commerciales internationales en s’abstenant de faire du commerce avec les colonies. Faire du commerce avec les colonies constitue une reconnaissance implicite et une violation du droit international. C’est également contraire aux positions de l’UE et des États membres de l’UE en matière de politique publique, ainsi qu’à leur obligation juridique nationale de garantir la cohérence entre de telles positions et la conduite de leur gouvernement.

Nous faisons remarquer que l’Union européenne a été très rapide quand il s’est agi d’imposer un embargo sur les importations en provenance de la Crimée, suite à l’annexion de ce territoire par la Russie. Elle a explicitement confirmé cet embargo comme faisant partie intégrante de sa politique de non-reconnaissance. Nous demandons uniquement que l’Union européenne fasse preuve de cohérence dans l’application de sa politique de non-reconnaissance.

Nous demandons à l’Union européenne et à ses États membres à titre individuel, de se conformer à cette obligation, non seulement afin de faciliter le processus de paix au Moyen-Orient, mais aussi de respecter les normes juridiques fondamentales qui constituent les seuls moyens de sauvegarder la paix et la sécurité internationales ainsi que le pouvoir des lois internationales.

Signataires [[Les institutions n’ont été ajoutées qu’à des fins d’identification. Tous les signataires ont signé la lettre à titre personnel.]]

Mr. Tom Moerenhout, Geneva Graduate Institute of International and Development Studies (Initiator, coordinator)

Pauline Malek LL.M., Leiden University (Coordinator)

Dr. Jeff Handmaker, International Institute of Social Studies of Erasmus University Rotterdam (based in The Hague)

Prof. Dr. Richard Falk, Albert G. Milbank Professor of International Law Emeritus, Princeton University

Prof. Dr. John Dugard, Chair in Public International Law, Leiden University

Prof. Dr. Georges Abi-Saab, Emeritus Professor of International Law, Graduate Institute of International and Development Studies, Geneva, Former Judge on the ICTY

Dr. John Reynolds, Department of Law, National University of Ireland, Maynooth

Prof. Dr. Eric David, Professor of International Law Emeritus, President of the Centre de droit international de l’Université Libre de Bruxelles

Prof. Liesbeth Zegveld, Human Rights Lawyer, Prakken d’Oliveira; Professor ‘War Reparations’, Universiteit van Amsterdam; Member, The Netherlands Committee at Human Rights Watch

Prof. Paul de Waart, Emeritus Professor of International Law, Vrije Universiteit Amsterdam

Prof. Dr. Michael Bothe, Professor Emeritus of public law, J.W. Goethe University, Frankfurt am Main

Prof. Alain Pellet, Emeritus Professor, Université Paris-Ouest, Nanterre-La Défense; former Chairperson, UN International Law Commission; Member, Institut de Droit international

Prof. Dr. M. Cherif Bassiouni, Professor of International Law and President Emeritus, the International Human Rights Law Institute

Prof. Dr.George Bisharat, Professor of Law, UC Hastings College of Law

Prof. Dr. John Quigley, Emeritus Professor of Law, Ohio State University

Prof. Dr. Ian Scobbie, Professor of Public International Law, University of Manchester

Prof. Dr. Jeanne M. Woods, Ted & Louana Frois Distinguished Professor of International Law, Loyola New Orleans College of Law

Prof. Bill Bowring, Barrister at Field Court Chambers, Grays Inn; Professor of Law at Birkbeck, University of London; President, European Lawyers for Democracy and Human Rights

Prof. Dr. Marcel Brus, Professor of Public International Law, University of Groningen

Prof. Dr. Mansoob Murshed, Professor of the economics of conflict and peace, International Institute of Social Studies of Erasmus University Rotterdam (based in The Hague)

Prof. Dr. Karin Arts, Professor of International Law and Development, International Institute of Social Studies of Erasmus University Rotterdam (based in The Hague)

Prof. Dr. Lauri Hannikainen, Emeritus Professor of International Law, University of Turku; Member European Commission against Racism and Intolerance (ECRI) 2000-2014

Dr. Michael Kearney, Senior Lecturer in Law, University of Sussex

Daniel Machover, Head of the Civil Litigation Department, Hickman & Rose; co-founder Lawyers for Palestinian Human Rights

Michael Mansfield, Haldane Society of Socialist Lawyers

Tareq Shrourou, Director, Lawyers for Palestinian Human Rights

Dr. Gearóid Ó Cuinn, Law School, Lancaster University

Véronique van der Plancke, Collaboratrice scientifique au sein de l’Institut pour la recherche interdisciplinaire en sciences juridiques, JURI, UCL

William Bourdon, Lawyer and founding partner, Bourdon & Forestier Avocats

Susan Akram, Clinical Professor and supervising attorney, International Human Rights Program, Boston University School of Law

Prof. Vinodh Jaichand, Professor and Dean of Law School, University of the Witwatersrand, South Africa

Dr. Chantal Meloni, International Criminal Law, University of Milan

Valentina Azarov, Lecturer in Human Rights and International Law, Birzeit University, Palestine​

Fabio Marcelli, Lawyer at International Association of Democratic Lawyers

Domenico Gallo, Judge in the Supreme Court of Italy

Fausto Gianelli, Lawyer, Association of Democratic Jurists

Sir Geoffrey Bindman QC, Solicitor specializing in human rights law; Founder of the human rights law firm Bindmans LLP

Luigi Daniele, Doctoral Researcher and Lecturer, Nottingham Law School

Prof. Dr. Vera Gowlland-Debbas, Emeritus Professor of International Law, Graduate Institute of International and Development Studies, Geneva (22 September 1943 – 29 September 2015)

ANNEXE : DISPOSITIONS LÉGALES

Sur les violations israéliennes du droit international relatif au commerce avec les colonies

L’occupation du territoire palestinien et les colonies israéliennes violent de multiples règles du droit international, parmi lesquelles :

  1. L’entrave au droit fondamental à l’autodétermination palestinienne [[Avis Consultatif, Conséquences légales de la construction d’un Mur dans le territoire palestinien occupé, CPI, 9 juillet 2004]]
  2. L’annexion de fait [[J. Dugard et J. Reynolds, Apartheid, Droit International et le Territoire Palestinien Occupé, in « The European Journal of International Law, Vol. 24, n°3 (2013) 900,908.]]
  3. Le transfert illégal de populations civiles dans des territoires occupés [[Convention de Genève de 1949 (IV) relative à la Protection des Civils en temps de guerre, Art. 59(5).]]
  4. L’exploitation illégale de la propriété au bénéfice de l’économie de l’État occupant [[Convention de La Haye de 1907 (IV) Respect des Lois et des Coutumes de la Guerre sur Terre et ses Annexes: Règles Concernant les Lois et Coutumes de la Guerre sur Terre (Règlement de La Haye) Art. 55. ; Y. Arai-Takahashi, Le droit de l’occupation (2009) at 169. ; S. Koury, Le devoir de non reconnaissance de la Communauté européenne et des États membres selon les accords d’association CE-Maroc : responsabilité de l’État et droit coutumier international in Karin Arts et Pedro Pinto Leite (eds.), Le droit international et la question du Sahara occidental (2007) at 165.]].

Le statut de ces obligations est de la plus haute valeur en droit international. Le droit à l’autodétermination a été reconnu en tant que jus cogens (connu également comme norme impérative du droit international) [[Commission de Droit International, Annuaire de la Commission de Droit International 1966-Volume II (1966), at 248.]]. Quant aux obligations humanitaires essentielles, la Cour Pénale Internationale a confirmé qu’elles « devaient être observées par tous les États » parce qu’elles «constituent des principes intransgressibles du droit coutumier international » et parce qu’elles sont « fondamentales au respect de l’humanité » et constituent des « considérations élémentaires d’humanité » [[Avis Consultatif, Légalité du Traité sur les armes nucléaires, CPI, 8 juillet 1996, at para. 79, 83. ; Merits, Royaume Uni de Grande Bretagne et d’Irlande du Nord vs. La République Populaire d’Albanie (Affaire du détroit de Corfou), CPI, 9 avril 1949, at 22.]].

Des juristes et des juges de la CPI ont explicitement fait savoir que ces règles fondamentales du droit humanitaire telle que l’interdiction du transfert de civils dans des territoires occupés, relèvent soit du jus cogens in statu nascendi soit du jus cogens [[Déclaration du Président Bedjaoui, Légalité de la menace ou de l’usage d’armes nucléaires, CPI, 8 Juillet 1996, at para. 21. ; Opinion divergente du Juge Weeramantry, Légalité de la menace ou de l’usage d’armes nucléaires, CPI, 8 Juillet 1996, at para 10. ; Opinion divergente du Jude Koroma, Légalité de la menace ou de l’usage d’armes nucléaires, CPI, 8 Juillet 1996, at 574. ; A. Cassese, Droit International (2005) at 203. ; V. Chetail, La Contribution de la Cour Pénale Internationale au droit humanitaire international, in Bernard et al (eds.), IRRC 235 (2003) at 251.]]. Dans les deux cas, des tierces parties ont des obligations particulières si une règle est violée.

Nous en concluons qu’Israël continue à violer le droit international.

À propos de l’activité économique des colonies israéliennes des territoires occupés

Les règles fondamentales du droit humanitaire international élaborées à partir de la Convention de La Haye de 1970 (IV) et de la Convention de Genève de 1949 (IV) ont confirmé sans ambiguïté que l’interdiction fondamentale du transfert de population civile implique ipso facto une aussi forte interdiction de l’activité économique des civils transférés au bénéfice de l’État occupant.

Au plan légal, il n’y a que deux conditions sous lesquelles un usage restreint de propriétés publiques et privées ainsi qu’une activité économique sont permis à l’État occupant : (1) s’ils sont justifiés par des besoins militaires ou (2) s’ils sont bénéfiques à la population occupée. L’activité économique de colonies civiles au bénéfice de l’occupant n’est en aucune autre circonstance permise en droit international. Cette interdiction est non seulement reconnue en droit international, mais également dans le droit israélien. Dans l’affaire Beth El, (9) la Cour Suprême a estimé que les colonies étaient acceptables si elles étaient temporaires et servaient des besoins militaires et de sécurité de l’État d’Israël. Dans l’affaire Elon Moreh / Société Coopérative, (10) la Cour Suprême a jugé que les besoins de sécurité de l’armée en occupation (qui est la principale légitimation de l’existence des colonies) ne pourraient jamais comprendre des intérêts nationaux, économiques ou sociaux.

Nous en concluons que les activités économiques au sein des colonies civiles bénéficient presque exclusivement à l’occupant et qu’en conséquence, Israël continue à violer les règles fondamentales du droit international.

À propos de la réaction multilatérale au commerce avec les colonies

La Résolution 465 du Conseil de Sécurité des Nations Unies signée le 1er mars 1980, « demande à tous les États de ne fournir à Israël aucune assistance qui serait utilisée spécifiquement en connexion (sic) avec les colonies de peuplement des territoires occupés ». Une interprétation bona fide du terme « assistance » fondée sur l’objectif de cette résolution de la fonction du commerce mise en avant dans les accords de l’OMC, met en évidence que faire du commerce avec les colonies est bien sûr un acte « d’assistance » à la viabilité du projet de colonisation.

Les résolutions des Nations Unies renvoyant au chapitre VII ou à l’article 15 de la Charte de l’ONU sont contraignantes par définition. L’absence d’une telle référence explicite n’annule pas le caractère contraignant d’une résolution comme la résolution 465 du Conseil de Sécurité de l’ONU. Dans ce cas, les règles d’interprétation des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU basées sur l’Avis sur la Namibie de la CPI en 1971 et sur les articles 31-33 de la Convention de Vienne sur le Droit des Traités, déterminent si une résolution est contraignante ou non. Une analyse bona fide de ces règles d’interprétation dans le cas de la résolution 465 du Conseil de Sécurité de l’ONU conclut à la haute probabilité de son caractère contraignant en droit international. (11)

Nous en concluons qu’en dépit de la résolution 465, des États ont continué à avoir des échanges commerciaux avec les colonies, en violation de leurs obligations au regard du droit international.

Sur l’obligation de non-reconnaissance liée au commerce avec les colonies.

Parce que le Conseil de Sécurité de l’ONU est une entité politique dans laquelle cinq membres permanents peuvent exercer une influence politique importante du fait de leur droit de veto, il est tout à fait dans l’intérêt du maintien de la paix et de la sécurité au niveau international, de respecter l’obligation de non-reconnaissance. Cette obligation est exprimée dans les Articles de la Commission Juridique Internationale sur la Responsabilité des États sur des Actes Illicites au niveau International. Le devoir de non-reconnaissance veut que les États ne reconnaissent pas la légalité d’une situation créée par une grave entrave à une règle péremptoire du droit international ni ne fournissent d’aide ou d’assistance en maintenant une situation créée par cette entrave.

La CPI et d’autres sources autorisées du droit international ont reconnu que le devoir de non-reconnaissance s’applique conséquemment à l’entrave au droit palestinien à l’auto-détermination. Ce devoir de non-reconnaissance et de non-assistance s’applique aussi aux colonies illégales des territoires occupés. Permettre le commerce avec les colonies est un acte comptable de l’obligation de non-reconnaissance et de non-assistance, si ce commerce bénéficie en priorité à l’occupant.

Se retirer du commerce avec les colonies ne constitue pas des représailles ni une sanction, mais plutôt un acte de rétorsion pacifique et justifié en droit. Le fait que ce commerce existe est une erreur au sein des relations commerciales internationales, au sens où ce commerce se pratique avec des colonies internationalement reconnues comme illégales. Pour commencer, ce commerce ne devrait avoir jamais existé et corriger cette erreur n’est qu’une question d’application du devoir de non-reconnaissance.

Ce devoir de non-reconnaissance a deux caractéristiques fondamentales :

  1. C’est une obligation traditionnelle pour tous les États
  2. C’est une obligation auto-applicable

Cela veut dire que (1) les États membres de l’UE sont soumis à cette obligation, même si la Commission Européenne détient la compétence exclusive de la politique commerciale et (2) qu’aucune action particulière du Conseil de Sécurité de l’ONU n’est requise pour appliquer l’obligation.

Nous en concluons que l’UE et ses États membres ne se conforment pas à leurs obligations légales de non-reconnaissance des colonies illégales dans des territoires occupés.

Notes

L’analyse juridique de cette lettre est expliquée en détails dans : T. Moerenhout, L’obligation de refuser de commercer de façon à ne pas reconnaître ni assister les colonies et leur activité économique dans les territoires occupés, in « Journal d’Études Juridiques Humanitaires Internationales », Vol.3 (2012) 1-42