Smotrich a achevé l’annexion de la Cisjordanie par Israël

Il y a quelques jours, la révolution constitutionnelle a été achevée ; mais non, pas en Israël. Peu de monde en a été conscient, mais le gouvernement Ben-Gvir-Smotrich-Netanyahu a conspiré pour réaliser deux coups d’État — un en Israël et l’autre en Cisjordanie.

Le premier vise à éliminer la séparation des pouvoirs et l’indépendance du pouvoir judiciaire et à créer une dictature en Israël ; le deuxième cherche à annexer la Cisjordanie et à y perpétuer une suprématie juive comme principe directeur. Pour empêcher que le premier ne se produise, des centaines de milliers d’Israéliens sont descendus dans les rues. Mais personne n’a fait de même pour arrêter le deuxième — parce que qu’est-ce qu’il y a de mal avec un peu plus de suprématie juive ?

Le changement de régime en Cisjordanie est mené conformément aux engagements que le Premier Ministre Benjamin Netanyahou a pris envers le dirigeant du sionisme religieux Bezalel Smotrich dans le cadre de l’accord de coalition. Son essence est le transfert de tous les pouvoirs de gouvernement en Cisjordanie, sauf ceux directement reliés à la sécurité, de l’armée à un appareil dirigé par Smotrich lui-même.

À la fin de mai, c’est arrivé. Discrètement, sans aucune cérémonie ni communiqué de presse, Yehuda Fuchs, chef du Commandement central de l’armée (et commandant des forces israéliennes en Cisjordanie), a signé une ordonnance créant une nouvelle position dans l’Administration civile de l’armée, « directeur adjoint pour les affaires civiles » et le directeur de l’Administration civile a signé un document déléguant les pouvoirs au détenteur de cette nouvelle position.

Mais l’« adjoint » est en fait un civil nommé par Smotrich et il n’est en aucun cas un adjoint parce qu’il n’est pas subordonné au directeur de l’Administration civile. Il n’a besoin d’aucune approbation pour ses actions, il n’est pas obligé de le consulter ou de lui faire un rapport. Il n’est subordonné qu’à Smotrich et à lui seul.

L’ordonnance et la lettre de délégation de pouvoir ont transféré la plupart des pouvoirs détenus par le directeur de l’Administration civile — en fait presque tous —au nouvel adjoint. Gestion des terres, planification et construction, application des lois contre les constructions sans permis, supervision et gestion des autorités locales, accréditation professionnelle, commerce et économie, gestion des réserves naturelles et des sites archéologiques.

Smotrich a appliqué un lavement administratif (pardonnez-moi l’image) à la direction de l’Administration civile, la dépouillant de tous ses pouvoirs et les transférant à Smotrich lui-même via l’adjoint qu’il a lui-même nommé.

Si nous décrivons les choses d’une manière graphique : depuis que l’ordonnance a été signée, un officier se balade dans le siège de la division à Beit El en se vantant du titre de « directeur de l’Administration civile », mais étant donné les changements, il est de fait sans emploi et peut consacrer son temps à organiser des activités culturelles ou de loisir pour ses subordonnés. Quelqu’un devrait lui dire qu’il est peut-être un « chef », mais un chef sans corps.

Cependant, transférer l’autorité d’un officier, qui était subordonné au commandant des Forces de défense israéliennes en Cisjordanie, à un civil qui est subordonné à l’avant-poste établi par Smotrich au ministère de la Défense a une importance qui transcende de loin des questions comme les équipes et les horaires de travail. C’est un changement dramatique dans l’appareil de gouvernement du territoire occupé : d’un appareil géré par une administration militaire, qui est soumise à un droit international qui réclame de prendre soin de la population occupée, il devient un territoire directement géré par des responsables de l’administration civile et des responsables israéliens élus par le public, dont la loyauté et les devoirs sont par définition donnés aux citoyens israéliens en général, et aux citoyens israéliens vivant dans ce territoire occupé en particulier. Pour comprendre à quel point ce changement est dramatique, il faut se rendre compte de ce que le droit international essayait de mettre en œuvre quand il a déterminé que le territoire occupé devrait être géré par un gouvernement militaire.

 Le droit international règlemente un état d’occupation comme la gestion temporaire d’un territoire par un occupant et il interdit catégoriquement son annexion unilatérale. Ce n’est pas seulement une interdiction de plus, c’est un principe clé destiné à cimenter l’exclusion de l’utilisation de la force dans les relations internationales, sauf dans des cas d’auto-défense. S’il est clair que la souveraineté ne peut être acquise par la force, il y aura moins de motivation pour s’embarquer dans une guerre d’aggression. En d’autres termes, ce principe d’interdiction de l’annexion unilatérale d’un territoire occupé est au coeur de l’ordre international fondé sur des règles, établi après la Deuxième Guerre mondiale, ordre au coeur duquel se trouve le désir d’éradiquer les guerres. L’objectif en déterminant qu’un territoire occupé serait géré par une administration militaire temporaire, et pas directement par le gouvernement occupant, était de créer un tampon entre les citoyens du pays occupant, qui sont son souverain, et l’appareil de gouvernement dans le territoire occupé.

Cet ordre est basé sur l’idée que l’armée est moins engagée dans des considérations politiques, alors que les ministères d’un gouvernement élu sont par définition engagés à suivre ces considérations. Le transfert des pouvoirs administratifs à des fonctionnaires du gouvernement occupant et à ses responsables élus crée une domination directe des citoyens du pays occupant sur le territoire occupé, étendant ainsi la souveraineté des occupants sur le territoire occupé. En d’autres termes : annexation. C’est ce que Smotrich a réussi à faire. Il a complètement éliminé l’armée (y compris le conseil juridique de l’armée) du processus de prise de décision en Cisjordanie, concernant tout ce qui n’est pas directement lié à la sécurité, et en pratique il a imposé la souveraineté israélienne sur la région.

Et cela aura des implications désastreuses sur les droits des Palestiniens. Les rares restrictions que l’armée a placées tant bien que mal à la dépossession et à la violation des droits palestiniens seront maintenant éliminées. Des membres de l’ONG Regavim, le Forum Kobelet et l’organisation Honenu, à qui Smotrich a confié tous les postes pertinents dans la nouvelle administration civile de Cisjordanie, principalement en tant que conseillers juridiques, enlèveront les restrictions restantes. Ils se jetteront sur le proverbial mouton du pauvre [palestinien], le massacrant, arrachant sa viande et suçant sa moelle. C’est déjà en train de se produire. De nouvelles colonies seront érigées ; de nouveaux quartiers seront construits à une cadence que nous n’avons pas encore vue ; de larges pans de terres seront alloués à des Israéliens violents pour y installer des fermes ; des structures palestiniennes bâties sans permis seront démolies à un rythme effréné, tandis que les constructions illégales des colons seront légalisées. Un apartheid sans peur et sans honte. L’apartheid comme plan de travail.

Ce qui est vraiment honteux, c’est que personne ne s’est dressé pour objecter, ni en Israël ni dans le monde. Le même monde qui a imposé de lourdes sanctions sur la Russie quand elle a annexé de manière criminelle la Péninsule de Crimée et plus tard le territoire qu’elle a conquis après l’invasion de l’Ukraine, ce monde même, est resté silencieux, car il ne pipe mot quand il s’agit d’Israël. De fait, le monde utilise un autre instrument de mesure quand il s’agit d’Israël. Mais à l’opposé du caquetage de la diplomatie publique d’Israël, cela est une discrimination positive, qui exempte Israël de toute loi. La seule chose que les criminels annexionnistes doivent être en train de se dire maintenant est : pourquoi avons-nous attendu 57 ans ? C’est si facile.

L’auteur, avocat des droits humains, a déposé cette semaine un recours au nom de Yesh Din et d’ACRI au ministre de la Défense et au commandant des Forces de défense israéliennes en Cisjordanie, réclamant la révocation de l’ordonnance mentionnée dans cet article.

  • Photo: Bezalel Smotrich et Orit Strock participant à une marche dans la colonie Evyatar, en avril Credit: Moti Milrod