Pourquoi j’ai été licencié

J’ai été licencié en août 2014 d’un poste de titulaire de l’université de l’Illinois à Urbana-Champaign. Ce licenciement a fait de moi une coqueluche de la liberté de parole –ou….

J’ai été licencié en août 2014 d’un poste de titulaire de l’université de l’Illinois à Urbana-Champaign. Ce licenciement a fait de moi une coqueluche de la liberté de parole –ou la personne la plus violente du monde depuis Staline, selon les points de vue. Il a aussi déclenché un débat sur la liberté académique, la gestion du corps enseignant, le conflit Israël-Palestine et le rôle des réseaux sociaux à l’université. Ce débat fait rage sans solution en vue.

L’histoire de ma notoriété commence le 21 juillet 2014 lorsque le Daily Caller publie un article sur moi intitulé « Un professeur de l’université d’Illinois rend les Juifs responsables de l’antisémitisme ». Avec le brio et la sagesse pour lesquels les sites internet d’extrême droite sont connus, le texte commence ainsi : « l’Université d’Illinois à Urbana-Champaign a continué bizarrement à chercher à employer autant d’ordures répugnantes que possible et s’adjoignant les services de Steven Salaita, une lumière guidant le mouvement de boycott d’Israël avec de tout aussi obscurs universitaires ».

L’article et la couverture médiatique qui s’est ensuivie, se sont focalisés sur plusieurs tweets que j’ai écrits au cours de l’été 2014. L’un d’eux disait : « Au point où on en est, si Netanyahou paraissait à la télé en portant un collier fait de dents d’enfants palestiniens, quelqu’un serait-il surpris ? » Dans un autre, j’écrivais : « Vous êtes peut-être trop raffinés pour le dire, mais moi non : je souhaite que tous les putains de colons de Cisjordanie disparaissent ».

Il est, depuis, devenu de bon ton de me traiter d’incivil. Ou d’intempérant. Ou d’inadéquat. Ou d’en colère. Ou d’agressif. Il est malséant de me décrire, mais puisque « malséant » rehausse le niveau auquel beaucoup de gens me décrivent désormais, pourquoi pas ? Je suis un mari dévoué et un père aimant. Je ne parle jamais quand ce n’est pas mon tour. Je réfléchis longuement avant de prendre des décisions importantes. Comme il est d’usage pour quelqu’un qui est né et a été élevé dans les Apalaches du Sud, j’appelle chacun « monsieur » ou « madame ». Je n’élève la voix sur personne. Je suis profondément timide et constamment respectueux. C’est à dire que je suis civil à l’excès.

Cette exégèse sur mes dispositions personnelles peut sembler inutile, mais il est important de faire la distinction entre le personnage public de quelqu’un et sa personnalité, bien que dans la plupart des cas l’un renseigne sur l’autre. Voici quel est mon sentiment sur ce sujet : c’est précisément parce que je suis un homme aimant que je déplore aussi inflexiblement le comportement d’Israël.

Mes tweets ont pu paraître incivils, mais un tel jugement n’a pas sa place dans un tel vide idéologique et théorique. Dans la mesure où « incivil » est une notion profondément racialisée et a une longue histoire d’exigence de conformité, je choisis fréquemment l’incivisme comme forme de communication. Ce choix est à la fois moral et théorique.

La piété et le moralisme de ceux qui me critiquent sont on ne peut plus évidents dans leur déploration de mon vocabulaire blasphématoire. Tandis que je suis fier d’avoir quelque chose en commun avec Richard Pryor, J.D. Salinger, George Carlin, S.E. Hinton, Maya Angelou, Judy Blum et d’innombrables autres qui ont offensé des moralisateurs, j’avoue être perplexe sur le fait que l’obscénité soit un tel problème pour ceux qui sont supposés consacrer leur vie à analyser les nuances infinies de l’expression publique. Les universitaires sont généralement prompts à contester la censure et à déconstruire les vagues accusations de vulgarité. Quand il s’agit de défendre Israël, cependant, tout peut passer. S’il n’y a pas d’argument politique ou moral sérieux en réponse aux critiques d’Israël, alors condamnez celui qui les exprime pour « faute de ton » ou pour « inadéquation ». En mettant l’accent sur celui qui parle et non sur Israël. Un mot devient plus significatif qu’un ensemble de crimes de guerre.

Même selon les normes tendancieuses du « civisme », mes commentaires sur Twitter (et ailleurs) sont plus défendables que les accusations utilisées pour me diffamer. Les actes les plus déplorables de violence sont en germe dans la haute société. De nombreux génocides ont été glorifiés (ou préparés) dans des dîners autour de tables parées de fourchettes et de couteaux en argent véritable, sans qu’un seul acte de langage inadéquat ne se soit produit.

Dans la plupart des discussions sur ma résiliation, les crimes de guerre d’Israël restent ignorés, alors qu’il est impossible de comprendre mes tweets hors de ce contexte. Mon langage musclé – et je devrais signaler que mon langage est essentiellement doux – apparaît en réponse à des actes de brutalité avérés qui, dans un monde meilleur, entraîneraient une rancœur largement répandue. À vous de me dire ce qui est pire : jurer pour condamner le meurtre d’enfants ou le justifier avec d’impeccables manières. Je ne veux pas plus être « respectable » selon l’épistémologie de la sagesse coloniale que je ne veux tuer des gens innocents de mes propres mains. Ce sont deux volets de la même pourriture.

En 11 ans d’enseignement universitaire, j’ai exactement engrangé zéro plainte sur ma pédagogie. Chaque évaluation de mon enseignement faite par des pairs – la norme d’or pour juger de l’efficacité de l’enseignement – a été exemplaire. Les évaluations par les étudiants ont dépassé la moyenne chaque fois que je les ai sollicitées. Pourtant, des gens appartenant à l’université d’Illinois à Urbana-Champaign ont contesté ma capacité à enseigner.

Les étudiants sont capables de discuter sérieusement, de formuler des réponses, de penser dans un contexte inconfortable. Ils aiment mon enseignement parce que je refuse de les infantiliser ; je les traite comme des adultes doués de pensée. Je n’ai jamais manqué de respect à un étudiant. Je n’ai jamais dit à un étudiant ce qu’il doit penser. Et je n’ai pas non plus empêché une opinion de s’exprimer. J’encourage les étudiants à débattre avec moi. Ils acceptent ma proposition. Il m’arrive de changer de point de vue dans ces débats. Ma philosophie est simple : leur enseigner les modalités et la pratique de la pensée critique et les laisser se faire leur idée eux-mêmes.

Cette lamentation sur les étudiants est un baratin pieux, précieux, un prétexte pour éradiquer la puanteur d’un argument éculé, brandi pour valider une décision injustifiable.

Des affirmations problématiques sont sous-jacentes aux accusations sur mon adaptation à l’enseignement. Il est impossible de séparer les questions sur mon « civisme » de récits plus généraux sur la violence inhérente aux Arabes. Ce type d’accusation a déjà servi à discréditer des gens de couleur (et d’autres minorités) dans le monde universitaire depuis des décennies. Les administrateurs et le public surveillent et passent au crible nos actions d’une façon dont nos collègues blancs sont rarement l’objet. Il est capital de nous former sur les voies du civisme de peur que nos émotions ne chassent l’ethos si cher à nos supérieurs.

S’agissant de l’opposition à la colonisation, il n’est pas besoin de dissimuler, ce qui est le vocabulaire préféré des cocktails et des réunions de comités. Je pourrais démontrer que la dissimulation est immorale. C’est sans doute ennuyeux. Quand je dis quelque chose, je n’ai pas le désir d’en cacher le sens dans des propos biaisés et insipides. C’est particulièrement le cas lorsque je réponds aux diverses horreurs de la violence d’État et à la dépravation de ceux qui la justifient. Sur le campus, une telle franchise est inconvenante.

Mais aucun principe de liberté académique ne considère le défaut d’adhésion aux conventions comme un délit valant licenciement.

Les professeurs sont cependant souvent punis pour manque de respect des conventions de façon informelle. Mon cas est intéressant parce que les administrateurs ignoraient les normes de fait qui régulent notre comportement et ont exercé directement leur pouvoir. Cela devrait préoccuper tout scientifique qui n’est pas un flatteur.

Des titulaires de doctorats qui avancent des affirmations démenties à l’évidence et qui répètent sans distance critique des mots tels que « incivilité » comme s’il décrivait autre chose que leurs propres préjugés émoussés, sont ceux qui sont le moins faits pour enseigner à l’université.

Etre appelé antisémite est profondément désagréable. Ceux qui lancent cette accusation devraient être tenus de fournir des preuves, et pourtant c’est moi qui ai été aux prises avec la tâche impossible de réfuter un cliché.

L’incohérence au plan théorique de ceux qui me critiquent est évidente dans leurs justifications en évolution permanente de mon licenciement. D’abord j’étais antisémite. Puis j’étais incivil. Ensuite j’étais un mauvais enseignant. Puis trop charismatique. Puis trop en colère. Puis trop profane. Puis trop radical. Puis pas assez patriote. Puis mon recrutement n’était pas effectif. Puis je n’étais pas qualifié dans le domaine des études indiennes américaines. Puis j’ai bénéficié du népotisme. Puis j’étais un mauvais scientifique. Puis les collègues étaient incompétents. Puis mes collègues étaient déloyaux. Puis mes collègues étaient ignorants. Puis le programme d’études indiennes américaines nécessitait des orientations particulières. Puis la décision de me recruter n’était fondée que sur des critères politiques. Puis les études indigènes n’avaient pas de légitimité. Puis ce fichu domaine devait être totalement supprimé.

Une partie de notre mission d’éducateurs consiste à encourager les étudiants à trouver le mode d’expression qui puisse les aider à passer de l’instinct à la connaissance. C’est le genre de préparation dont nous avons tous besoin pour résister au marché capitaliste. Si l’anti autoritarisme peut être au début une attitude, celle-ci a des capacités infinies à devenir une éthique.

La méfiance vis-à-vis de la motivation des institutions et de leurs dirigeants conduit souvent à être rétrogradé et à récriminer. Mais il y a une raison de se méfier des autorités universitaires. Les universités sont des places rentables; rien de ce qui est rentable n’est exempt de corruption.

Ainsi que l’exprime Thomas Frank dans son essai Le Régulateur :

« L’avènement du « capitalisme académique » a été prévu et glorifié depuis des années ; maintenant il est là. À grands cris les universités réclament avidement des brevets pharmaceutiques et des parts dans des start-ups high tech ; elles se vantent d’être « entrepreneuriales » ; elles ont rationalisé et externalisé d’innombrables aspects de leurs opérations de recherche d’argent ; elles combattent leurs travailleurs aussi férocement qu’un baron du chemin de fer du 19ème siècle ; et les plus riches d’entre elles ont transformé leurs dotations en fonds spéculatifs maison ».

Frank met le doigt un peu plus loin sur les raisons de l’autoritarisme universitaire :

Par dessus tout, c’est pour eux-mêmes que les maîtres de l’université dépensent leur butin. En disant cela je ne me réfère pas seulement au nombre croissant de présidents d’universités qui empochent des « indemnités » annuelle au-dessus du million de dollars. C’est du gaspillage, bien sûr, une quantité scandaleuse de combustion d’argent emprunté à Wall Street dans une période où on devrait faire le contraire d’emprunter à Wall Street. Mais ce qui a réellement fait augmenter l’endettement des étudiants, ainsi que toute personne ayant un lien avec le monde universitaire peut en témoigner, c’est la prolifération insensée d’administrateurs universitaires.

Les observations de Frank sont validées par les chiffres. Benjamin Ginsberg remarque qu’au cours des 30 dernières années, le ratio administrateur / étudiant s’est élevé tandis que le ratio enseignant / étudiant a stagné. L’augmentation du nombre d’enseignants non titulaires ou sans titularisation conditionnelle exacerbe le problème ; une population académique significative manque de sécurité de l’emploi ou des conditions de travail qui lui permette de maximiser ses talents pédagogiques. Au cours des 10 années passées, les dépenses d’administration ont constamment dépassé les dépenses de formation. Il y a maintenant dans les universités américaines davantage d’administrateurs avec leurs équipes que d’enseignants à plein temps. Dans les dix dernières années, les salaires des administratifs ont constamment augmenté tandis que les gardiens et agents d’entretien endurent les inévitables coupures budgétaires – de même que les étudiants dont les frais de scolarité et autres viennent compléter ces largesses.

Quand autant d’argent est en jeu, ceux qui puisent dans le budget ont fortement intérêt à maintenir la réputation de l’institution. Leur privilège et l’état du label sont dans une relation de cause à effet. Le label prédomine donc. Sa prédominance est souvent au détriment du bien-être des étudiants.

Prenez par exemple les agressions sexuelles. Les données fournies montrent une récente hausse, mais toutes les versions de ces agression sexuelles restent dramatiquement non recensées. Les raisons sont nombreuses pour lesquelles une victime choisit de garder le silence. L’une d’elles est qu’elle peut s’attendre à une réponse totalement inadéquate, voire hostile, de la part de son université. En 2014, l’Université Columbia a essuyé 28 plaintes fédérales selon lesquelles l’université n’avait pas correctement mené les investigations sur des rapports d’agressions sexuelles. L’université d’État de Floride, avec l’aide du département de police de Tallahassee, a orchestré une couverture maladroite d’une accusation de viol pour protéger le célèbre quart-arrière Jameis Winston. Un autre type d’agression sexuelle, infâme, s’est produit à l’université d’État de Pennsylvanie, où on a découvert que celui qui avait été un temps le coordonnateur défensif de l’équipe de football, Jerry Sandusky, avait molesté plusieurs enfants, dont certains sur le campus. La complicité de l’université n’est qu’un exemple extrême d’un phénomène commun.

Dans ces temps de greffe néolibérale, les universités prétendent à peine se soucier des idéaux sur la base desquels l’enseignement supérieur a été fondé. Pour sûr, administrateurs et valets des relations publiques continuent à radoter sur le dialogue et l’amélioration personnelle et la vie de l’esprit, mais même des jeunes influençables de 18 ans ne croient pas ce baratin. Ils savent aussi bien que leurs supérieurs que le premier cycle de l’université est en fait destiné à leur permettre d’acquérir le statut mythique mais mesurable qui leur est conféré par une feuille de papier impeccable enrubannée de coton.

Tandis que les universités ressemblent de plus en plus à de grandes entreprises du point de vue de leur gouvernance, de leur langage et de leurs perspectives, les étudiants ont acquis une conscience aiguë du label. Le maintien du label devient ainsi prédominant et surpasse la primauté de la pensée et de l’analyse à laquelle le monde académique est symboliquement attaché. Les étudiants ne pénètrent plus dans les lieux d’apprentissage. Ils paient un prix exorbitant pour avoir accès au capital socioéconomique de l’affiliation aux avatars les plus identifiables, magistralement décorés d’armures et de créatures pastorales et de phrases latines.

Prenez la partie de la pédagogie la plus sacrée, la pensée critique. De nombreux professeurs ne savent pas comment faire, encore moins en transmettre la pratique à ceux qui essaient de l’acquérir. (Ma conception de la « pensée critique » comprend une manière d’agir sur la connaissance qu’elle produit, ne serait-ce que dans la formulation d’une dynamique d’une vision du monde éthique). Une des plus grandes compétences produites par la pensée critique réside dans la possibilité de reconnaître et de décrédibiliser ce qui est foutaise. En bref, si la pensée critique peut être utile, elle doit donner un désir réfléchi d’identifier et de comprendre les masques du pouvoir.

Cette recherche est en bas de la liste de ce que les universités attendent des étudiants, tout comme la pensée critique est une qualité terriblement indésirable dans le monde des affaires, beaucoup plus fortement que l’égoïsme ou la flagornerie. Soyons donc honnêtes à propos de la pensée critique : dans la bouche de rusés bureaucrates, c’est à peine plus qu’un additif à l’image de marque, le faste vaniteux d’automates suffisants et guindés qui aiment placer des mots à la mode dans leurs présentations power point.

La pensée critique est encore plus indésirable chez les professeurs. Dans les institutions de recherche, nous sommes payés pour créer du prestige et pour amasser des subventions ; dans les premiers cycles universitaires, nous jouissons d’un excès d’inscriptions, en fonction de savantes équations qui maximisent le ratio étudiant / enseignant. (Dans les universités d’élite de culture générale, nous dorlotons les gamins dans des simulacres d’affection parentale). La pensée critique est particulièrement nuisible aux auxiliaires, dépendants comme ils sont, pour leurs revenus, de la munificence de leurs patrons bien payés qui cultivent un assemblage distendu d’employés remplaçables.

Il n’est nulle part stipulé dans nos contrats de travail : « Contestez les aspirations non exprimées de l’institution, particulièrement lorsqu’elle agit comme le vecteur et l’expression de la violence d’État ; et s’il vous plaît, faites de votre mieux pour soutenir la justice pour ceux qui sont appauvris par le néolibéralisme, sur le campus et en dehors ». Quand on pratique la pensée critique, cependant, il est difficile de se soustraire à ces obligations.

Du fait de leurs beaux discours, il est tentant de croire que les dirigeants de l’université se soucient de l’éthique ou même peut-être de la justice, mais la plupart d’entre eux ne se soucient de rien du tout. Les exceptions méritent certes d’être louées – juste, n’allez pas fouiner dans les établissements de haut rang pour les trouver. La clef d’une carrière managériale réussie ne consiste pas à chercher à être une bonne personne mais à avoir suffisamment le réflexe de tricher et de charmer aux moments opportuns.

Toute indépendance à acquérir dans le monde académique nécessite une méfiance fondamentale vis-à-vis de l’autorité, qu’elle soit abstraite ou explicite. Il n’y a jamais eu d’époque de démocratie non corrompue, mais le contrôle croissant du monde des affaires perturbe des secteurs de plus en plus larges de la vie américaine, en particulier sur les campus. Il doit y avoir une meilleure manière de conduire les pratiques éducatives.

Que faire en matière de justice ? J’entends beaucoup cette question depuis que j’ai été licencié. Je n’ai pas de réponse sérieuse. D’instinct, quoique je comprenne vraiment qu’il ne s’agit pas d’instinct, c’est simplement de dire aux gens de faire ce qu’ils se sentent à l’aise de faire. Je ne suis pas très bon en matière d’exigences ou d’injonctions. Pour autant, je reconnais qu’en tant que personne désormais publique, je suis sommé d’analyser la dynamique dans laquelle l’université d’Illinois à Urbana-Champaign et moi sommes entraînés. Cette dynamique importe spécialement à ceux qui, dans le monde académique, souhaitent avoir un engagement concret sur des questions théoriques et philosophiques.

Les étudiants de deuxième cycle et ceux qui se préparent au deuxième cycle sont particulièrement inquiets ces temps-ci. Et ils ont raison de l’être. Les emplois corrects en sciences humaines sont en déclin. La concurrence s’est accrue pour les places dans les masters. Tout avantage est un atout. Etre présumé fauteur de trouble ou radical n’est pas un avantage.

Pourtant, causer du trouble est précisément la fonction de l’intellectuel. Et être radical est un antidote sérieux à l’ennui du travail.

Il y a toujours eu de la répression et des représailles dans le monde universitaire. Quiconque regarde du côté d’une carrière universitaire doit intégrer cette réalité. Les aspirants universitaires comme ceux qui sont établis ne devraient pas abdiquer de leur engagement intellectuel pour plaire aux gens en place. Ce serait du carriérisme, non de la recherche.

Et tout le problème est là. Si nous n’examinons pas les relations de pouvoir et ne faisons pas la lumière sur les ruptures dues aux inégalités, nous ne faisons pas notre boulot. (Nous nous comporterons en fonction des préférences de la clase dirigeante, mais plaire à ses fonctionnaires n’est généralement pas ce qui caractérise un penseur intéressant). Lasser les arbitres du soi-disant sens commun est une caractéristique immanente au savant utile.

Que pouvons-nous/devrions-nous faire ? n’est pas une question universelle. Prenez en considération le fait que le travail des penseurs minoritaires est déjà politisé. Il nous faut publier davantage. L’introversion est risquée vu le nombre de collègues blancs qui ne peuvent tolérer une minorité qui ne prétend pas les aimer. Nous devons agir comme représentants de la diversité dans toutes sortes de comités. Nous ne pouvons nous permettre d’être médiocres pare que notre titularisation et notre avancement dépendent de collègues plus âgés qui ne récompensent que leur propre médiocrité. Il est dangereux pour nous de montrer de l’émotion car nous savons que cela permet de confirmer aux yeux des autres notre irrationalité innée. Ajouter à cette liste « leader militant » est une lourde tâche. De plusieurs manières, décider simplement de ne pas tranquilliser le pouvoir est une forme active de plaidoyer. C’est l’activisme de survie.

Le fait d’être licencié ne fait pas de moi un expert en quoi que ce soit. Je fais de mon mieux, cependant, pour m’assurer qu’il en résulte quelque chose de productif. Avoir un emploi ne change rien si le système qui a orchestré mon départ reste intact. Je ne suis qu’un symbole des durs impératifs des riches et de ceux qui ont de bonnes relations. Nous le sommes tous, vraiment. Sauf si le système change à la base, nous achetons tous des actions de sociétés qui ont le pouvoir de détruire nos intérêts dès lors que nous devenons gênants.