Les entraves à l’éducation dans les territoires palestiniens occupés

Sous la direction de Sherna Berger Gluck, professeur émérite de l’Université d’État de Californie à Long Beach,

Introduction de Sa’ed Atshan, Professeur adjoint invité au Swarthmore College en études sur la paix et les conflits

Une publication du groupe de travail Palestine-Israël des Historiens Contre la Guerre (HAW)

Septembre 2015

Introduction de Sa’ed Atshan

Le 28 octobre 2009, Berlanty Azzam, une Chrétienne palestinienne de 22 ans de la bande de Gaza, a été menottée et déportée de Cisjordanie, les yeux bandés, par les forces d’occupation israéliennes. Alors étudiante en commerce à l’Université de Bethléem en Cisjordanie, elle a été renvoyée à Gaza par des soldats israéliens parce que le lieu de résidence inscrit sur sa carte d’identité était Gaza. Le 9 décembre 2009, la Cour Suprême d’Israël, tout en reconnaissant que Berlanty ne présentait aucune menace pour la sécurité, a pris une décision en faveur de l‘État et de l’armée et a refusé de la laisser retourner à Bethléem achever ses études. Gisha, une organisation israélienne de défense des droits humains qui agit pour la liberté de mouvement pour les Palestiniens dans les Territoires Occupés (la Cisjordanie et la bande de Gaza) a défendu Berlanty dans cette affaire. Gisha défend non seulement des étudiants mais aussi des malades, des professionnels et d’autres civils palestiniens anéantis par l’occupation israélienne et sa politique de fermeture et d’obstacle à la liberté de mouvement, qui est un droit fondamental en droit international.

Gisha a récemment actualisé son site, le 4 juin, et publié dessus que « des centaines d’étudiants de Gaza inscrits dans des universités à l’étranger ont déjà raté l’année universitaire en cours et leurs études pour l’an prochain sont aussi mises en péril, maintenant ». C’est une conséquence de l’immense défi qu’il y a eu à obtenir qu’Israël permette aux étudiants de quitter Gaza – cette bande de terre densément peuplée assiégée par Israël –pour qu’ils aient accès à des universités à l’étranger. Dans bien des cas, ces étudiants perdent ensuite leur bourse. Les États Unis – connus dans le monde comme le principal protecteur d’Israël – sont aussi réputés ne pas avoir fait pression sur Israël afin de faciliter les permis de voyage pour ces étudiants, même pour les États Unis. En fait, le Département d’État américain avait déjà supprimé les bourses américaines Fullbright pour les boursiers palestiniens, à la suite du retrait par Israël du droit de quitter les Territoires Occupés pour les États Unis.

Le cas de Berlanty Azzam met simplement en avant un nom et une histoire qui sont le reflet du travail de sape contre l’enseignement supérieur des Palestiniens et contre leur droit à l’éducation, qui est aussi un droit fondamental dans le droit international. Des lettrés, des journalistes et des observateurs familiers du conflit israélo-palestinien entendent parler des violations régulières du droit des Palestiniens à l’éducation. À Gaza, les bombes israéliennes détruisent des écoles et des universités, et en Cisjordanie, les colons israéliens et les soldats imposent la violence aux élèves et aux enseignants palestiniens. Les institutions palestiniennes ne peuvent pas obtenir les visas israéliens qu’elles demandent pour des professeurs étrangers. Elles luttent pour avoir des livres et du matériel pour leurs classes et des laboratoires envoyés de l’étranger. En Cisjordanie, les étudiants sont confrontés aux checkpoints dans les déplacements de leur domicile à l’université. Israël cible des étudiants actifs politiquement dans leurs associations étudiantes respectives et dans les partis politiques palestiniens, et ils les arrêtent fréquemment. L’armée israélienne est capable de mener, à son gré, des raids dans les universités, de lancer des gaz lacrymogènes et de pénétrer armés sur les campus. Enseignants et administratifs sont incapables de protéger les étudiants de l’intimidation et de l’insécurité infligée par les forces d’occupation. Pour les élèves du secondaire, même la possibilité de se procurer les livrets de l’examen d’entrée à l’université pour aller à un centre d’examen en Cisjordanie, n’est pas garantie. Par exemple, en 2008, deux étudiants palestinien de l’Université de Harvard ont publié un article intitulé « Israël vs crayons n°2 », qui fait état de leur préoccupation face à l’annulation d’un examen d’entrée à l’université en Cisjordanie à cause d’une rétention par Israël de ces livets en particulier et, plus généralement du fait des attaques contre le droit à l’éducation des Palestiniens.

Les décennies d’occupation militaire israélienne, avec l’expansion continue des colonies illégales en Cisjordanie, ont eu un effet dévastateur sur le système éducatif palestinien. Les violations par Israël des établissements d’éducation ont souvent peu à voir avec la sécurité et font, au contraire, partie d’une attaque structurelle plus large du tissu social de base de la vie palestinienne. Trop d’étudiants palestiniens se voient nié leur droit à l’éducation parce qu’Israël viole la liberté scientifique dans les universités palestiniennes.

La politique israélienne a de sérieuses implications pour le développement de la vie civile. La politique israélienne de limitation du développement libre des idées et de la connaissance dans les institutions palestiniennes est un sous-produit de l’occupation des Territoires Palestiniens. Quand universités et écoles sont bombardées, quand étudiants et professeurs sont dans l’impossibilité d’atteindre leurs salles de cours à cause des checkpoints militaires, du Mur de l’apartheid et des gaz lacrymogènes fournis par les USA, quand le matériel et les livres ne peuvent pas échapper au contrôle israélien sur le service postal palestinien, quand les étudiants sont faits prisonniers dans les prisons israéliennes, et quand les conférenciers étrangers sont quotidiennement privés par Israël du droit d’entrer dans les Territoires Occupés, c’est un paquet de chances qui se détourne des étudiants et éducateurs palestiniens.

Les bourses par et pour les Palestiniens sont sévèrement restreintes du fait des violations israéliennes de la liberté académique. Tandis que les universités israéliennes peuvent recruter qui elles veulent, les institutions palestiniennes sont largement incapables d’utiliser les talents de la diaspora et des groupes solidaires d’universitaires qui cherchent à enseigner dans des universités palestiniennes. De plus, tandis que les scientifiques israéliens sont en mesure de conduire des recherches en Israël/Palestine et que leurs historiens ont accès aux archives, les scientifiques palestiniens n’y ont qu’un accès sérieusement limité. Des archéologues palestiniens, par exemple, ne peuvent pas accéder à la plupart des sites archéologiques en Israël/Palestine. S’y ajoute le fait que les historiens palestiniens sont très peu à même de faire des recherches dans les archives israéliennes ou de maintenir leurs propres archives. Dans la partie III de ce pamphlet, l’historien Joël Beinin montre à l’évidence qu’Israël a historiquement pillé des dizaines de milliers de livres et de documents palestiniens. Le documentaire Le Grand Vol de Livres l’évoque plus en profondeur.

Pour autant, la résilience des Palestiniens se manifeste dans la construction de l’infrastructure éducative, l’amélioration du taux d’alphabétisation et dans la mise en place d’institutions. Mais leur liberté académique et leur droit fondamental à l’éducation sont sérieusement mis à mal par l’occupation israélienne et ils ne réaliseront jamais pleinement leur potentiel tant qu’ils seront sous le contrôle d’un État colonisateur et de son armée. C’est précisément pourquoi nous prenons en considération des initiatives telle la Campagne pour le Droit à l’Education de l’Université de Bir Zeit, qui éclaire la façon dont l’éducation en Palestine a été marquée par l’absence d’État en Palestine et par la vie sous le joug militaire étranger. De plus, la société civile palestinienne a initié un appel au Boycott, au Désinvestissement et aux Sanctions (BDS) en 2005, un mouvement non violent inspiré par le boycott contre l’apartheid sud-africain et fondé sur le droit international. Il vise des institutions, non des individus, complices de ces faits, pour faire pression sur elles afin de faire cesser l’occupation. Cette distinction entre institutions et individus est cruciale. Des Israéliens de conscience du Boycott de l’Intérieur soutiennent aussi l’appel BDS en dépit des tentatives de l’État d’Israël pour criminaliser le militantisme BDS.

L’atteinte au droit palestinien à l’éducation est certainement signifiant pour les universitaires américains, en particulier parce qu’Israël est le plus gros bénéficiaire au monde de l’aide américaine, ce qui rend de ce fait les contribuables américains complices des violations des droits humains palestiniens. Des associations professionnelles d’universitaires des USA ont répondu de diverses manières, certaines associations particulières soutenant BDS[[En 2013, l’Association des Études Asiatiques Américaines a été la première association professionnelle universitaire à soutenir BDS. Ont suivi des résolutions et déclarations de l’Association des Études Américaines, l’Association des Études Natives Américaines et Indigènes, l’Association pour une Sociologie Humaniste, l’Association de Littérature Africaine, l’Association Nationale des Études de Femmes, l’Association d’Études Ethniques Critiques, l’Association Nationale des Études Chicanas et Chicanos et l’Association des Études sur la Paix et la Justice. D’autres associations sont susceptibles de suivre le mouvement dans les années à venir, ainsi plus de 1100 anthropologues ont jusqu’à présent déclaré leur soutien à BDS.]], tandis que d’autres, comme l’Association de Langues Modernes, ont débattu de résolutions plus limitées telle celle-ci en 2014 :

Alors qu’Israël a refusé à des universitaires d’appartenance palestinienne l’entrée en Cisjordanie;
alors que ces restrictions violent les conventions internationales selon lesquelles une puissance a obligation de protéger le droit à l’éducation;
alors que le Département d’État des États Unis reconnaît sur son site internet qu’Israël impose une restriction de mouvement aux citoyens américains d’origine palestinienne;
alors que ces refus ont perturbé l’instruction, la recherche et l’organisation des universités palestiniennes;
alors que ces refus ont restreint la liberté universitaire de chercheurs et d’enseignants qui sont des citoyens américains;
il est résolu que la MLA en appelle au Département d’État des États Unis pour qu’il conteste les refus par Israël d’entrée en Cisjordanie d’universitaires américains invités à enseigner, faire des conférences ou de la recherche dans des universités palestiniennes.

Inspirés par la discussion de la MLA, les Historiens Contre la Guerre (HAW) ont lancé, pour le prochain Congrès (2016) de l’Association Historique Américaine (AHA) une motion de censure contre Israël pour ses violations du droit palestinien à l’éducation. La résolution peut être lue dans cet ouvrage.

Parce qu’elles développent la solidarité avec le peuple palestinien, nation qui est confrontée à l’une des plus longues occupations militaires du monde – dont nous finançons et soutenons directement l’oppression en tant que citoyens américains – nos associations professionnelles universitaires peuvent assurer que l’histoire sera bienveillante vis-à-vis de notre communauté scientifique. En affirmant le besoin de protéger le droit à l’éducation et la liberté académique des Palestiniens, des Israéliens et de tous les Américains ici chez nous, nous contribuons à l’avènement d’un monde plus égal et plus juste et d’un avenir plus soutenable.

Contents

Part I. Introduction – by Sa’ed Atshan

Part II: The Palestinian Right to Education

A. Palestinian Right to Education Under Siege, 2008-2015 a partial chronology

B. Palestinian Universities Under Occupation: Report of European Delegation, April 2015 (Version française : Les universités palestiniennes sous l’occupation)

C. Nazin Al-Masri: Imagine you are a Palestinian academic or student

Part III: Researching Palestine: Records, Cultural Properties, and the Politics
of Archival Declassification

A. Joel Beinin: Destruction and Appropriation of Palestinian History and Cultural Property: The Responsibilities of Historians
(Paper presented at January 2015 American HIstorical Association Annual Meeting, NYC)

B. Shay Hazkani: Catastrophic thinking: Did Ben-Gurion try to rewrite history?
(originally published in Haaretz)

C. Other resources:

1. Shay Hazkani and Chris Gratien: The Politics of 1948 in Israeli Archives (abstract)
(originally published in: Ottoman History Podcast, No.166, 19 July 2014)

2. Akevot Institute Report on Access to israeli Archives
A report on access to Israeli archives, particularly the State Archive and IDF and Security System Archive. Forthcoming late fall 2015.
Source: Akevot: Institute for Israeli-Palestinian Conflict Research

Appendix: Historians Against the War Resolution