Occupés autrement : au programme du Shin Bet, café et torture

Le procès de la parlementaire palestinienne Khalida Jarrar renvoie aussi à ce que le Shin Bet offre à ses « invités » tandis qu’ils sont privés de sommeil et menottés.

Il y a plusieurs raisons pour ne pas écrire à propos du procès de la parlementaire palestinienne Khalida Jarrar, qui a commencé lundi dernier, près de neuf mois après son arrestation. L’accusation n’a pu présenter ses premiers témoins que la semaine dernière.

Le lieutenant colonel Ronen Atzmon, le juge du tribunal militaire de la cour d’appel de Judée (« Ofer ») a déjà décidé que Jarrar – membre du Conseil législatif Palestinien sur la liste d’Abou Ali Moustafa – devrait rester en prison jusqu’à la fin de la procédure engagée contre elle, au vu de la gravité des accusations : elle s’est rendue dans une foire du livre ; elle s’est rendue sous une tente de solidarité avec les prisonniers palestiniens ; elle est membres d’une organisation interdite (le Front Populaire pour la Libération de la Palestine) ; et elle a appelé à l’enlèvement de soldats (même si le témoin dont les propos sont à la base de ce chef d’accusation a dit qu’il n’était pas sûr qu’elle l’ait vraiment dit ou si cela avait été dit au meeting auquel elle avait participé). Comme tout autre Palestinien, Jarrar devrait savoir qu’elle est condamnée avant même le début du procès.

La raison principale qui fait que ce procès n’a pas de couverture de presse est qu’écrire sur ce qui se passe dans les baraquements du camp d’Ofer est une façon de collaborer avec la duperie qui est à la source de ce mécanisme. Il faut de nouveaux mots pour remplacer des termes fallacieux tels que « procès », « chefs d’accusation », « audition de témoins » et « mon éminent ami ».

Une deuxième raison est qu’il est impossible d’interviewer Jarrar et de lui demander : « qu’est ce que ça fait d’être assiste ici, dans cette baraque, sans comprendre l’essentiel de ce qui se dit sur ton cas (étant donné que la traduction de l’hébreu à l’arabe est tellement indigente) ? Et comment as-tu fait pour rester éveillée (et sourire à l’intention de ta famille) depuis 4h du matin, alors que tu as été extraite de ta cellule à 3h du matin et secouée dans un bus qui ramasse des prisonniers menottés jusqu’à presque 8h du matin ? Les gens qui ont assisté au « procès » sont rentrés chez eux exténués.

La troisième raison, c’est que Jarrar n’est pas la seule personne obligée de subir un procès de ce genre et le fait de se focaliser sur elle seule –parmi les centaines de ceux qui arrivent chaque semaine dans cette usine à condamnations fixées d’avance de la Route 443 – est une forme de discrimination. Peut-être serait-il plus juste d’écrire sur les anonymes, ceux dont les procès ne bénéficient pas de la présence de représentants de l’Union Européenne, ceux qui n’intéressent pas les media ?

Deux de ces nombreuses âmes anonymes, condamnées il y a trois ans à 18 mois de prison pour des activités liées au Front Populaire, ont été amenées lundi dernier comme témoins à charge. Dans ce but, ils ont été arrêtés chez eux, 30 heures avant le procès. Pourquoi arrêtés ? Parce qu’ils n’avaient pas reçu de convocation écrite officielle à comparaître au procès. A. a nié avoir dit pendant son interrogatoire que Jarrar avait appelé à l’enlèvement de soldats. Sh. A expliqué que le meeting de solidarité auquel Jarrar avait assisté n’était pas appelé par le Front Populaire mais par toutes les organisations palestiniennes. Le procureur militaire, Netanel Yaacov-Chai a requis qu’ils soient déclarés témoins hostiles. Le juge, lieutenant colonel Zvi Heilbron a accepté.

Le procureur s’est interrogé sur la disparité entre ce qu’ils disaient dans la baraque et ce que les services de sécurité du Shin Bet et les enquêteurs de la police avaient écrit qu’ils avaient dit. Les deux témoins ont dit qu’ils avaient été soumis à des pressions physiques et psychiques pendant leurs interrogatoires.

A. a découvert que les signatures sur sa déclaration à la police n’étaient pas les siennes. Le second témoin a dit au procureur : « si vous aviez jamais assisté à un interrogatoire du Shin Bet, vous comprendriez ».

À la demande des avocats de la défense (Mohammed Hassan et Sahar Francis), Sh. a fourni quelques précisions : son interrogatoire au Quartier Russe de Jérusalem a duré à peu près un mois. Il était assis sur une chaise basse, les pieds attachés à une chaise en plastique dur, les mains menottées derrière le dos. On l’empêchait de dormir pendant des heures, tout en le maintenant en position attachée. La durée la plus longue pendant laquelle il se rappelle avoir été dans cette position était de quatre jours – 20 heures d’affilée avec une pause d’une heure. Il n’a eu aucune nourriture pendant qu’il était attaché. On lui a donné de l’eau. Quand il s’est assoupi, les enquêteurs du Shin Bet l’ont amené se doucher pour le réveiller. Quand il avait besoin de la toilette, on ne l’y amenait pas tout de suite. Il a été à l’isolement pendant toute la période. Ceux qui l’interrogeaient lui criaient dessus, salissaient ses sœurs, sa dignité, l’honneur de sa famille. Ils l’ont menacé de prolonger son interrogatoire et sa détention s’il se rétractait sur une quelconque part de son témoignage (ce qu’il a bien sûr fait).

Le procureur a cité le mémorandum (sélectif) des interrogateurs Shin Bet faisant état de la nourriture qui lui avait été donnée (dont du café et des cacahuètes) dans la salle d’interrogatoire. Le témoin Sh. a répondu qu’il se rappelait avoir mangé une fois un morceau de bourek (chausson au fromage, aux légumes ou à la viande ndlt) dans la salle d’interrogatoire.

Les avocats de la défense ont fait remarquer que le mémorandum incomplet ne donnait pas d’indication sur ce qui s’était produit ou ce que le témoin avait dit, mentionnant uniquement ce que les interrogateurs avaient écrit. Il n’était pas fait mention de la torture (utilisation d’une chaise basse, menottage prolongé, privation de sommeil sont tous considérés comme des formes de torture). Son interrogatoire, comme dit plus haut, a abouti à 18 mois de prison ainsi qu’à fournir des noms de gens plus anonymes qui pouvaient être détenus et interrogés sans pouvoir dormir, pour avoir participé à des manifestations contre l’occupation, assisté à des meetings sous des tentes de solidarité, ou possédé une arme. Sur la base de leurs déclarations, d’autres personnes anonymes ont pu être arrêtées et interrogées sur des chaises basses, en étant privés de sommeil, les mains attachées dans le dos, tandis que des rapports prétendaient qu’on leur avait donné des casse-croûte et des cacahuètes.