Israël et Palestine dans la société française

Le texte suivant s’appuie sur deux interventions publiques dans le cadre du salon anticolonial : le 14 février table ronde sur le thème : « Après les tueries de Charlie Hebdo et de l’Hypercasher, Non à la guerre des civilisations », avec Nacira Guenif et Dominique Vidal, et le 18 février soirée Politis sur le thème « le conflit israélo-palestinien et la société française » avec Farouk Mardam Bay et Denis Sieffert

Je partirai de la notion connue d’importation du conflit qui est immédiatement convoquée devant cet intitulé, parce qu’elle établit le lien entre ses deux termes. Cette notion a été insufflée par le CRIF qui à partir de 2001 ne cessera d’interpeller sur la nécessité de « ne pas importer le conflit ». Reprise par les gouvernements successifs, elle désigne automatiquement une partie de la population française arabo-musulmane comme responsable de cette importation, et défausse par la même la dite communauté juive française de toute responsabilité dans cette importation. Le lien avec l’étranger (contenu dans la notion même d’importation) étant le fait de l’importateur arabe uniquement.

Mais elle désigne aussi deux des composantes de la société française, les juifs et les arabes-musulmans, qu’elle fait apparaître comme acteurs parallèles d’un conflit qui a priori ne concerne pas le terrain français stricto sensu c’est-à-dire non arabo-musulman et non-juif. En d’autres termes, elle segmente la société française sur une base ethnique qui est la même (toutes proportions gardées) qu’au Moyen-Orient. Ce qui ne manque pas de constituer de fait une 3e communauté celle des non juifs et non musulmans d’origine ou de culture. [[Il ne s’agit pas d’étudier la race comme un fait naturel ou comme une culture, mais comme une situation minoritaire résultant d’une domination majoritaire. Nommer le minoritaire, c’est nommer le majoritaire. Dire qu’il y a des Noirs en France, c’est dire par exemple que, dans le monde universitaire, tout le monde est blanc. Alors, ce qui était une évidence se révèle comme le fruit d’une histoire politique déterminée. » Eric Fassin de la question sociale à la question raciale.]]

Ce terme d’importation fait signe cependant de changements de la société française.
En effet jusqu’aux années 2000 cette expression n’existait pas ou très peu.

Dans les années soixante dix et quatre vingt, avec les attentats moyen-orientaux visant la communauté juive sur le sol français et les exécutions de Palestiniens par Israël sur ce même territoire on avait parlé d’« exportation du conflit ». L’écho du conflit moyen-oriental était temporisé en France par au moins deux facteurs : ce que l’on a appelé la « politique arabe « de la France, qui s’est plus ou moins maintenue jusqu’à l’après Chirac, et le processus d’Oslo qui à partir de 1993 faisait taire à peu près tout le monde puisque l’on négociait vers la paix.

Le conflit israélo-palestinien dans sa dernière étape, avec l’échec de la paix d’Oslo, le déclenchement de la 2e Intifada, et sa concomitance avec la nouvelle direction néo-conservatrice américaine a rencontré en France une société postcoloniale, en crise sociale et économique, et niant sa diversité par un républicanisme qui s’est servi contre elle de certains de ses outils comme la laïcité en les dévoyant, en racisant, les musulmans les noirs les arabes les Rroms… tout en intégrant dans le même mouvement les juifs à une république fantasmée constituée d’un collectif « blanc » dominant qui se réfère lui à la notion récente elle aussi d’occident judéo-chrétien.

Il nous faut ici rappeler que la composante aujourd’hui majoritaire de la communauté juive est originaire, comme la composante arabo-musulmane, de l’Afrique du Nord coloniale. Elle aussi est arrivée en France dans les années soixante, et comme dans le monde colonial elle a continué à « bénéficier » d’un statut différencié au moins dans le regard porté sur elle. Les juifs marocains et tunisiens n’ont pas été considérés comme les maghrébins juifs qu’ils étaient, et surtout pas comme les travailleurs marocains et tunisiens « importés ». Les juifs d’Algérie, français par décret Crémieux ont été assimilés aux rapatriés d’Algérie, avec tout ce que cela implique de paradoxal pour un des premiers groupes de peuplement du Maghreb. Les divisions coloniales se sont aussi de fait perpétuées dans la société française post-coloniale qu’elles continuent de travailler.

La partie la plus pauvre et rurale des communautés juives marocaine et tunisienne a été emmenée en Israël par les sionistes dès les années 50, où elle a subi des discriminations spatiales et raciales très semblables à celles subies ici par nos concitoyens arabo-musulmans. Là bas, l’enjeu de survie est souvent passé par la nécessité de ne pas ressembler à l’arabe palestinien, combien de confusions sur le terrain dues à la langue et au faciès… et ici ?… Les stratégies de survie d’une minorité manipulée par le colonialisme se sont déplacées avec les exils ; mais ont-elles pour autant disparu ? Inconsciemment ou non elles se seraient transformées afin de s’adapter aux nouvelles formes de dominations rencontrées.

Les néoconservateurs français.

Ce terreau national se combine, il nous faut aussi le rappeler, avec l’arrivée au pouvoir le lendemain du 11 septembre 2001, des thèses néoconservatrices qui sont reprises et s’installent durablement en France et en Europe. Cette idéologie qui remplace l’affrontement idéologique Est Ouest par un affrontement civilisationnel entre ce qui serait l’axe du bien, un occident judéo-chrétien conçu pour la forme sous l’influence des chrétiens sionistes américains proches de Bush, affrontant un axe du mal arabo-musulman. Cette vision du monde trouve immédiatement en France ses émules, par une série de personnalités, philosophes, politologues, associatifs, journalistes qui fondent le cercle de l’oratoire, [[sur le cercle de l’oratoire : http://fr.wikipedia.org/wiki/Cercle_de_l%27Oratoire et http://www.liberation.fr/grand-angle/2006/05/09/les-meilleurs-amis-de-l-amerique_38664]] avec par exemple Michel Taubman, journaliste de Arte et responsable i24 news à l’époque, Pascal Bruckner, Jacques Tarnero, P.A. Taguieff, A. Glucksman, Romain Goupil ,Elisabeth Schemla fondatrice du site proche orient.com , Cecilia Gabizon pages islam du Figaro, Monique Canto Sperber directrice de l’ENS, et bien au delà c’est une mouvance néocons qui s’installe à la une des grands médias, chargée de porter l’assaut aux musulmans de ce pays, Alain Finkelkraut, le Charlie Hebdo dirigé par Philippe Val qui y introduit Caroline Fourest, le mouvement des Femen en font partie.

Cette mouvance va impulser en France la désignation des musulmans et arabes comme une classe dangereuse, assignée à une religion incompatible avec une laïcité dévoyée et utilisée comme une arme contre eux. Et phénomène à souligner, dans le même temps, elle introduit l’idée de la défense d’Israël conçu comme allié incontournable dans la lutte contre l’axe du Mal du monde selon Bush. Islamophobie et soutien d’Israël sont ainsi intimement associés.

Dans le néoconservatisme l’alliance avec Israël devient en effet centrale puisque le monde arabo-musulman et le Moyen-Orient arabe en particulier sont l’ennemi principal. Ce conflit qui a toujours été un point important de déstabilisation se retrouve sur la ligne de front, fer de lance des puissances occidentales.

Et les thèses néoconservatrices de guerre permanente et préventive contre le terrorisme, ressemblent à s’y méprendre à la version israélienne du conflit. Les théories du complot aveuglées par leur haine antijuive, se refusent à montrer cette alliance nécessaire et cette convergence évidente d’intérêts et déresponsabilisent ainsi de façon étonnante les puissances occidentales. Israël est un allié occidental, le mur qu’il édifie est morceau du mur de séparation d’avec l’Islam axe du mal.

Une fois posé ce contexte on voit bien qu’il n’y a pas d’importation, on est simplement dans le cadre international, global, d’une guerre contre l’islam qui redécoupe le monde sur une autre ligne de fracture et qui traverse les sociétés occidentales dont la nôtre. On voit apparaître clairement ici un premier enjeu et le danger pour la Palestine assimilée aux forces du mal, au terrorisme, et même à Daesh aujourd’hui, ce qui annule les notions d’occupation de colonisation de résistance au profit de guerre contre l’islam et la terreur.

Les assignations et leur articulation :

La population arabo-musulmane postcoloniale se retrouve piégée dans une assignation identitaire religieuse et une instrumentalisation qui fait d’elle une population à risque, par le biais d’un islam in-intégrable, associé à toutes les formes de terrorisme se revendiquant de l’Islam . Autant d’éléments qui favorisent le développement d’un racisme virulent et des mesures gouvernementales légales et ou sécuritaires contre elle.

La population juive, elle, se retrouve assignée par le biais des instances communautaires juives, véritables courroies de transmission de l’ambassade d’Israël, à une identification de type plutôt « national » et un soutien sans faille à la politique d’Israël : l’outil majeur de leur embrigadement sera l’antisémitisme : comme la meilleure réponse à toute critique de la politique israélienne et à toute expression de solidarité avec la Palestine.

Cette instrumentalisation construite a des objectifs immédiats et des conséquences à moyen terme aussi :

  • portée contre les arabes qui tentent d’exprimer leur solidarité avec la Palestine elle a pour objectif de disqualifier leur parole, et de la requalifier en racisme antisémite pur et simple ; ils n’auront pas le droit, surtout ceux des quartiers populaires, à la critique politique ; on attend d’eux non pas qu’ils soient des sujets politiques mais des racistes fondamentalistes et ce faisant c’est l’espace qu’on leur laisse.
  • portée contre les juifs, cette assertion d’un antisémitisme virulent et grandissant joue sur leur crainte, fait d’eux les otages d’une politique de pression qui les désigne comme victimes collatérales ou centrales selon les nécessités. Mis en danger par l’affirmation qu’étant juifs ils sont forcément sionistes, ils servent à faire taire sur la Palestine et à désigner l’axe du mal en France. Chaque fois que le ressentiment pousse à s’en prendre à des juifs, c’est l’équation juif = sioniste qui est confortée, et donc renforcé le point de vue d’Israël sur lui même, représentant de tous les juifs du monde.

A moyen terme, l’antisémitisme a l’immense vertu en effet d’effacer la Palestine du discours politique et de la remplacer par un problème racial et ou religieux entre communautés.

Il faut se souvenir du travail du BNCVA du centre Simon Wisenthal Europe, qui pendant toutes ces années ont désigné comme actes antisémites toute action de solidarité avec la Palestine. Les chiffres de la CNCDH tels qu’analysés par Dominique Vidal montraient eux des pics d’actes antisémites parallèles aux périodes de répression coloniale les plus dures dans les Territoires Occupés : opérations Bouclier de Défense, plomb durci.

L’année 2002, un tournant français.

La société française est importante en Europe parce qu’elle contient les deux premières communautés juives et arabo-musulmanes. Le 10 avril 2002 se manifeste la première forte volonté démocratique de sanctionner Israël en pleine opération « bouclier de défense » commencée le 29 mars : C’est le vote majoritaire du parlement européen pour la suspension de l’accord d’association qui lie Israël à l’UE. Vote qu’il faut démonter au plus vite, et qui marque l’offensive des intellectuels au service du CRIF sur l’antisémitisme. Alain Finkelkraut parle de « nuit de cristal ».

3 jours avant le vote, le 7 avril, le CRIF appelle à Paris à une manifestation je cite : « contre l’antisémitisme, contre le terrorisme, en soutien au peuple israélien et pour la paix. »

Le message est clair le peuple israélien est victime du terrorisme palestinien ; en France les juifs sont victimes d’actes antisémites, et c’est de la même chose qu’il s’agit.

C’est cette adéquation qui ne cessera dès lors de se construire ; soutenir la Palestine est antisémite. Etre antisioniste, c’est être antisémite. Le rapport Rufin demandé par le ministre de l’intérieur Sarkozy en juin 2004 et remis en octobre de la même année pose clairement cette adéquation et demande la pénalisation de l’antisionisme comme nouvelle forme de l’antisémitisme. Ainsi les prophéties autoréalisatrices des néocons, viennent confirmer que les juifs sont visés après les avoir exposés ; cela permet de désigner les coupables prédestinés, musulmans, et cela permet de valider le sionisme et d’invalider l’antisionisme.

Effectivement, la parole empêchée se transforme souvent en agressivité contre les juifs des quartiers, et ils commencent à avoir peur des répercussions du conflit sur eux, sans pour autant pouvoir en analyser les causes : puisqu’il s’agit d’un antisémitisme arabe atavique – contre toute évidence- dont ils sont victimes.

Et les gouvernements israéliens successifs, leurs apportent la solution pour sortir de ce piège, depuis Ariel Sharon qui en 2004 les appelle à émigrer d’urgence en Israël et annonce un antisémitisme sanglant à venir et répète cet appel en 2005, jusqu’à Netanyahu après Toulouse et en ce moment même : à chaque attentat antisémite, la réponse donnée est celle de l’émigration : l’ Alyah vers l’Etat nation refuge.

Le CRIF, qui avait protesté comme le gouvernement français en 2004, se tait aujourd’hui. Ajoutons à cela que l’une des associations membres du CRIF est l’agence juive, organisme semi-gouvernemental israélien dont l’objectif est d’aider à et organiser l’émigration, alyah, des juifs de France vers Israël. L’autre remarquable association membre du CRIF étant le Fonds National Juif, KKL, organisme semi-gouvernemental israélien chargé d’organiser la dépossession des terres palestiniennes, et en ce moment même de la judaïsation du Néguev, Nakab, par l’expulsion de ses habitants palestiniens bédouins et la destruction de leurs villages séculaires…

D’où le choix de faire venir les maires du Néguev et de Galilée pour attirer les juifs français sur ces périphéries arabes, et achever leur judaïsation. Ainsi peut-on lire dans un article publié le 16 février dernier dans le quotidien israélien Haaretz « pour marquer le 30e jour de l’attaque mortelle du supermarché cacher à Paris, s’est tenue à Paris une foire israélienne de l’immigration la semaine dernière. Le ministre pour le développement du Néguev et de la Galilée, Sylvain Chalom y a participé avec une délégation de maires. Selon le communiqué du ministère qui a organisé l’événement Chalom et les maires ont rencontré des milliers de juifs français à qui ils ont décrit les avantages offerts aux nouveaux émigrants par leurs municipalités » –

La boucle est bouclée. Les juifs sont mis en danger pour faire taire sur la Palestine, et pour désigner l’axe du mal en France : le français post-colonial, et il y a une solution, organisée par le conseil représentatif des institutions juives de France, avec Israël, l’alyah.. chacun chez soi et dieu pour tous… Déjà les victimes juives de Toulouse et de Paris sont enterrées d’office en Israël.

Le cas du Rabbin Hattab de Tunis et de l’enterrement de son fils est un modèle d’instrumentalisation avec les pressions exercées pour l’enterrement de toutes les victimes à Jérusalem. A la question posée par un journaliste israélien : Comment vous sentez vous à Jérusalem ? Il a répondu par les mots « loin de Jérusalem »…

Faudrait-il comprendre de tout ceci qu’il n’y a pas de développement d’un racisme antijuif en France, ou qu’il s’agit d’un phénomène mineur ? Certes non ! Mais il s’agit de tenter d’analyser les conditions du développement de cet antisémitisme par un contexte et une double instrumentalisation.

La crise économique et sociale qui frappe durement les quartiers populaires, la racialisation des rapports sociaux en France, la montée des discriminations notamment légales contre les musulmans, comme la loi sur le voile de 2004, ouvrent la voie à toutes les dérives. L’empêchement de l’accès de la jeunesse au politique qui se fait souvent par la question palestinienne, (et on se demande bien pourquoi ce serait illégitime alors qu’une génération entière de ce pays a accédé au Politique par le Viêt-Nam !) a culminé cet été avec les interdictions de manifestations de solidarité avec Gaza marquant une étape redoutable dans le sentiment d’exclusion et de rejet.

Le confinement dans les ghettos pauvres, la panne de l’ascenseur social, les délits de faciès, le silence sur les innombrables agressions de femmes voilées, de jeunes, et les bavures policières qui tuent, tout cela placé en face des dimensions nationales de solidarité avec les juifs et de protestation contre les actes antisémites, établit un double standard de traitement de citoyens selon leur origine, affiché et revendiqué par le gouvernement actuel comme par les précédents.

Cette situation favorise le développement d’un fort ressentiment dans les populations opprimées contre les juifs re-présentés en catégorie privilégiée qui a droit à la parole aux égards, alors qu’on fait l’inverse envers eux. Combien y a -t-il eu de cimetières musulmans profanés depuis le 7 janvier ? Combien de musulmans et musulmanes agressés ? Les informations à retenir tirées du rapport du CCIF : [[voir : http://www.islamophobie.net/articles/2015/02/11/rapport-annuel-ccif-islamophobie et rapport CCIF 2014 http://www.islamophobie.net/sites/default/files/CCIF-RAPPORT-2014.pdf
et ci dessous extraits :

  • Pour l’année 2014, 764 actes islamophobes, soit une hausse de 10,6% de l’islamophobie. Chaque jour en moyenne, au moins 2 cas d’islamophobie sont recensés par nos service.
  • 77% des actes islamophobes sont des discriminations, et 71% de ces discriminations surviennent…Dans les institutions. Chiffres qui illustrent bien le phénomène structurel (racisme institutionnel) qu’est l’islamophobie
  • 81,5% des victimes sont des femmes ! Elles représentent la quasi-totalité des victimes d’agressions physiques
  • 22 agressions physiques pour l’année 2014, soit presque 2 par mois…]]
  • Entre le 7 janvier et le 7 février 2015, nous avons enregistré 153 actes islamophobes, soit une augmentation de 70% comparé à la même période l’année dernière.
  • Depuis les attentats : plus d’une trentaine de sites musulmans attaqués, 10 agressions physiques, et une prolifération des discours haineux sur Internet.

Il y a visiblement un racisme antijuif dénoncé qui mobilise l’État contre lui, et de plus en plus associé à la défense d’Israël, et un racisme structurel institutionnalisé, contre lequel l’Etat, partie prenante, ne se mobilise pas, qui ne passe pas la barre des media ni celle de l’émotion surtout en ce moment.

Cela permet à des Dieudonné et des Soral de surfer sur ce qui est vécu comme une injustice, à partir d’un antisionisme de surface, c’est le cas de le dire, pour en arriver à la diffusion d’un antisémitisme redoutable, lié à des groupes d’extrême droite, tout en offrant des quenelles en lieu et place d’élaboration politique à une jeunesse ostracisée et abandonnée.

En interdisant Dieudonné on renforce d’ailleurs ce cercle vicieux.. puisque tout le monde peut continuer à écouter des Zemmour et des Fourest, et lire Houellebecq et que tout va bien..

En ce sens, tous ces personnages se ressemblent et sont les meilleurs alliés de la théorie du choc, tout comme Daesh, et tout comme le régime israélien.

Ce régime israélien est souvent proclamé par nos gouvernements « seule démocratie du Moyen Orient », ce qui laisserait entendre avec l’européo-centrisme qui nous caractérise, qu’il ressemble aux nôtres, ou du moins s’en inspire. Or, c’est plutôt ce régime qui, ces dernières années, exporte vers la République française ses modèles de discriminations et d’apartheid, construisant ici le paradigme néoconservateur.

Au plan des relations internationales pour commencer, c’est la déréglementation du droit international et humanitaire qui est à l’ordre du jour néoconservateur et israélien.

La volonté de ne pas sanctionner Israël qui viole toutes les normes de ces droits, (certes il n’est pas le seul), mais il est le seul avec ses alliés occidentaux, contre qui aucun Etat ni l’ONU, ni l’UE ne prend de réelles sanctions : ainsi depuis 2001 les gouvernements français acceptent cette déréglementation et y collaborent activement en ne réagissant pas à l’avis de la CIJ sur le Mur, qui demande des sanctions contre cette construction illégale. Ils ne proposent ni ne mettent en œuvre aucune sanction lors des opérations meurtrières sur Gaza, et refusent toute autre politique que celle définie par le Ministère des affaires étrangères comme une politique de « pressions douces »

C’est ainsi que sera enterré sous les protestations israéliennes, le rapport de la commission parlementaire sur la géopolitique de l’eau remis par Jean Glavany à l’assemblée nationale en décembre 2011 qui décrit la question de l’eau comme « révélatrice d’un nouvel apartheid au Moyen-Orient » .

Les diplomates français attaqués, frappés, par l’armée israélienne ne sont pas défendus ou protégés par leurs gouvernements. C’est le cas du chef de l’antenne consulaire à Gaza, Majdi Shakoura blessé ainsi que sa fille, dans la nuit du 13 au 14 novembre 2011.

De même, en septembre 2013, la diplomate française Marion Fesneau-Castaing malmenée par l’armée dans la vallée du Jourdain sera finalement blâmée par le gouvernement français.

L’été 2014 pendant l’opération « bordure de protection » le gouvernement français donne même un blanc seing à Israël « qui a le droit de se défendre contre le terrorisme » .

Les 2168 morts de Gaza (dont 70 % des civils selon l’enquête l’organisation israélienne Betselem) nous regardent. Emoi ? Protestation ? Aide gouvernementale ? L’aide promise au Caire n’est pas arrivée. Gaza se meurt lentement sous nos yeux.

Au plan intérieur, c’est le modèle colonial israélien et le sort réservé à la population palestinienne, dans ce contexte du choc des civilisations, qui rencontre et inspire une gestion postcoloniale des populations françaises recluses dans des quartiers séparés.

En 2004, le premier ministre Rafarin formule d’ailleurs explicitement cette inspiration inversée, en recevant à Paris le président israélien Moshe Katzav. Il déclare « la France doit s’inspirer du modèle d’intégration israélien », un modèle de discriminations légales et spatiales.

C’est la même année que sous couvert de laïcité et de citoyenneté à la française, la désignation des arabes musulmans de ce pays comme ennemis de l’intérieur s’opère avec la loi sur le voile (personne ne nous fera plus croire que cette loi visait tous les signes religieux) et ses extensions en cours, que ce soit l’affaire de la crèche baby loup ou le projet visant les universités.

Cette loi a véritablement ouvert une brèche vers des régimes légaux séparés et discriminants, contrairement à son affichage. Elle est à rapprocher par exemple de la loi israélienne qui refuse à un-e citoyen-ne israélien-ne, quand il est d’origine arabe, (c’est moi qui souligne) la possibilité de conférer la résidence à son conjoint non israélien.

A Grenoble pendant l’été 2010, les émeutes suivant la mort d’un individu (comme c’est le cas de toutes les émeutes de banlieues françaises) donnent au ministre de l’intérieur Brice Hortefeux l’occasion de mettre en place les infrastructures et méthodes israéliennes de répression en milieu urbain.

Nicolas Sarkozy propose, lui, l’extension de la déchéance de citoyenneté : « La nationalité française doit pouvoir être retirée à toute personne d’origine étrangère (c’est moi qui souligne) qui aurait volontairement porté atteinte à la vie d’un fonctionnaire de police ou d’un militaire de la gendarmerie ou de toute autre personne dépositaire de l’autorité publique. »

Une proposition qu’il vient de renouveler après les attentats de janvier. La déchéance de citoyenneté pour les palestiniens citoyens d’Israël existe aussi dans la loi et une loi adoptée en 2011 la renforce. De même la déchéance de résidence est appliquée pour les Palestiniens de Jérusalem.

Les lois sécuritaires antiterroristes françaises existantes sur la garde à vue par exemple, sont sur la question de la détention administrative de pâles copies des conditions de détentions des prisonniers palestiniens.

Le modèle israélien de traitement de la population palestinienne, c’est l’apartheid, avec des discriminations institutionnalisées contre la population palestinienne, différentes selon les situations sur le territoire de 48, Jérusalem ou la Cisjordanie, et une spatialité de la séparation : un mur qui dessine des enclaves-bantoustans, tout en séparant l’ensemble de la Cisjordanie occupée du territoire israélien (tout en annexant à ce dernier des parties colonisées).

Il y a plus de dix ans déjà, lorsque le trio D. Vidal, M. Warschawski, L. Chahid tournait dans les grandes villes françaises sous condition d’y tenir aussi une rencontre avec les banlieues et quartiers populaires de ces villes, les habitants de la périphérie leur indiquaient presque toujours qu’eux aussi un mur invisible les séparait du centre ville.

Que dire de ce que l’on a appelé les check points de la gare du nord pour empêcher l’accès de la ville aux jeunes des banlieues nord ? (Bien entendu ces exemples ne respectent pas la proportionnalité des dommages. Ils sont le signe de rapprochements conceptuels dans le traitement des populations dominées)

Des projets de loi cherchent à imposer à la population palestinienne un serment de fidélité à l’Etat d’Israël et au sionisme, que l’on peut rapprocher des cérémonies et nouvelles conditions d’acquisition de la nationalité française et des restrictions légales sur le droit du sol en France.

Les récentes opérations de provocations sur la mosquée d’Al Aqsa à Jérusalem visent, comme la prochaine visite programmée de Benyamin Netanyahu au tombeau d’Abraham à Hébron, à créer les conditions d’affrontements religieux avec les musulmans. [[le régime colonial cherche toujours à diviser le collectif palestinien, avec les druzes, les bédouins : la loi votée le 16 septembre 2014 créée une nationalité « araméenne » dans la citoyenneté israélienne, permettant de distinguer les Palestiniens chrétiens des musulmans]]

Ce qui permet d’assimiler la lutte coloniale à la lutte contre Daesh et la résistance palestinienne aux troupes de Daesh. D’ailleurs Benyamin Netanyahu s’y emploie en proclamant que le Hamas c’est Daesh.

Ainsi s’efface aussi la notion de résistance nationale d’un peuple pour reconquérir ses droits. La volonté là bas, d’effacer la nature coloniale du conflit au profit d’une lecture ethnique et religieuse correspond ici à l’effacement des questions sociales et postcoloniales transformées en situations d’affrontement ethnique et religieux.

Sortir d’un tel piège requiert une conscience claire de cette articulation : islamophobie/ soutien d’Israël allié dans la théorie du choc, et de cette autre : islamophobie/ antisémitisme comme les deux revers d’une même médaille celle d’un racisme européen (et néanmoins néoconservateur) qui sert à masquer les rapports de domination, effacer la causalité des conflits notamment en Palestine et essentialise tous les rapports sociaux..

L’islamophobie structurelle et aujourd’hui portée par l’Etat, a pour pendant une forme de philosémitisme-sioniste d’État.

Le philosémitisme-sionisme assumé de l’État agit aussi comme un racisme puisqu’il essentialise une population en tant que victime absolue, passée présente et à venir, et la jette en pâture à ceux qu’il opprime.

En d’autres termes et pour reprendre une métaphore ancienne, les juifs servent de Bélier dans l’offensive du choc des civilisations, puis de bouc émissaires. Associer les populations assignées, et elles le sont toutes dans la guerre de civilisation, en assumant la complexité du moment, dans une même lutte contre le racisme et ou les instrumentalisations qu’elles subissent est une nécessité vitale pour constituer un front commun, transversal, « trans-civilisationnel » de lutte contre le racisme islamophobe antisémite et la racisation des rapports sociaux et des conflits.

Ce front est le seul qui permette de sortir la Palestine de l’étau français qui cherche à l’écraser en ce moment, seul de nature à pouvoir empêcher la pénalisation de toute critique du sionisme y compris dans ses outils les plus efficaces comme le BDS.

La Palestine est au cœur de tout ce qui nous arrive en ce moment, source et cible à la fois : nous devons la porter ensemble comme une cause politique, anticoloniale légitime et essentielle.

La responsabilité de tout le mouvement de solidarité avec la Palestine est ici engagée ; comme mouvement anticolonial, il doit déjouer, comme cet été pendant « Bordure de sécurité » et ce n’a pas été facile, les injonctions ministérielles de division sur une base ethnique et post-coloniale.

Difficile !… mais pas impossible : justement là bas, en Israël Palestine au moins deux mouvements anticolonialistes font ce travail : « Ta’ayush et Tarabout » réunissent Palestiniens et Israéliens contre le régime d’inégalités structurelles et autour de la parole d’Edward Saïd brûlante d’actualité : l’égalité ou rien.