Il a fait un PowerPoint sur les mères qui souffrent de la faim à Gaza. Et il a perdu son emploi au sein du gouvernement.

Un conseiller supérieur de l’USAID a déclaré avoir subi des pressions pour démissionner quelques jours après que l’agence a eu censuré sa présentation.

La présentation PowerPoint d’Alexander Smith ne semble pas destinée à susciter la controverse. Les diapositives, axées sur le déclin de la santé maternelle à Gaza, citent des données de santé publique des Nations Unies et de l’Organisation mondiale de la santé. Son employeur, l’USAID (Agence des États-Unis pour le développement international), l’avait choisi pour la présenter lors de la conférence mondiale sur l’égalité des genres organisée par cette agence gouvernementale.

Mais juste avant la conférence, un sujet de discorde est apparu.

Une seule diapositive mentionnait le droit international humanitaire dans le contexte de la crise sanitaire à Gaza. Le personnel de l’USAID a considéré la diapositive et la discussion sur le droit international comme des sources potentielles de fuites, comme le montrent des documents et des courriels que M. Smith a communiqués à The Intercept. Malgré la volonté de M. Smith de procéder à des révisions, sa présentation a finalement été annulée. Le dernier jour de la conférence, il s’est retrouvé sans emploi.

« Je pense que c’est vraiment obscène que des informations erronées puissent être diffusées librement dans le monde [à propos de Gaza], mais que je ne puisse pas parler de la réalité des femmes enceintes qui souffrent de la faim », a déclaré M. Smith, qui a travaillé comme conseiller supérieur sous contrat à l’USAID sur les questions de genre et de santé matérielle. « On ne peut même pas en parler à voix basse lors d’une conférence sur ce sujet. »

Dans une déclaration à The Intercept, l’agence a refusé de commenter les questions de gestion du personnel, mais a précisé que M. Smith n’avait pas été licencié à cause de la présentation. « En tant qu’agence, nous apprécions et recherchons délibérément la diversité des points de vue », a déclaré un porte-parole de l’USAID.

M. Smith, qui est à la fois avocat et expert en santé publique, travaillait pour l’USAID depuis quatre ans. En février, il a soumis un résumé pour sa présentation, intitulée « Une perspective intersectionnelle de genre sur Gaza : ethnicité, religion, géographie, statut juridique et résultats en matière de santé maternelle et infantile » – qui a été acceptée pour cette petite conférence de l’USAID. Sa présentation était prévue pour le 22 mai à Washington, D.C.

Le 10 mai, deux semaines avant la conférence, le Département d’État a publié un rapport – baptisé « NSM-20 » – sur le respect du droit international par Israël. Comme l’a rapporté The Intercept, des fonctionnaires de l’USAID avaient exhorté le secrétaire d’État Antony Blinken à considérer que les engagements d’Israël en matière de droit international n’étaient pas crédibles, compte tenu de son comportement à Gaza depuis octobre.

Le rapport de M. Blinken s’est révélé très prudent, exprimant de « profondes inquiétudes » concernant « l’action et l’inaction » du gouvernement israélien qui ont entraîné une livraison « insuffisante » de l’aide à Gaza, tout en concluant qu’Israël n’interdisait pas ou ne restreignait pas le transport ou la livraison de l’aide humanitaire reçue des États-Unis.

Lors de la conférence, M. Smith voulait aborder le droit international humanitaire. Ses diapositives sur le sujet ne mentionnaient pas spécifiquement Israël, comme le montre la présentation.

Je n’avais pas l’intention de me lever et de crier « Israël commet un génocide », a déclaré M. Smith. « Je ne faisais qu’énoncer la loi. »

Diapositive de la présentation PowerPoint d’Alexander Smith sur le droit international humanitaire. Avec l’autorisation d’Alexander Smith

Le cadre du droit international humanitaire (DIH)

  1. L’autorisation de l’usage de la force (Charte des Nations Unies) est distincte du DIH
  2. Les acteurs :
    1. Ne doivent pas viser des civils
    1. Doivent éviter les attaques indiscriminées
    1. Doivent respecter les règles de la proportionnalité
    1. Doivent tout faire pour épargner la vie des civils
  3. Obligation de prendre des précautions pour protéger
    1. Les hôpitaux
    1. Le personnel sanitaire
    1. Les ambulances
  4. Des violations du DIH commises par une partie ne donnent pas le droit à l’autre partie d’en commettre
  5. Certains actes sont toujours une violation du DIH :
    1. La violence sexuelle (toujours)
    1. La torture (toujours)
    1. La prise d’otages (toujours)
Commentaire laissé sur la diapositive par une employée de l’USAID. Avec l’autorisation d’Alexander Smith [traduit dans le texte, ndlt]

Le reste de la présentation de M. Smith s’appuyait sur des données de l’ONU, de l’OMS et d’autres sources concernant le déclin de la santé maternelle à Gaza, y compris des rapports sur les attaques dévastatrices d’Israël contre l’infrastructure sanitaire de Gaza.

Lorsque les fonctionnaires du bureau de l’USAID pour le Moyen-Orient ont examiné la présentation de M. Smith quelques jours avant l’événement, ils ont signalé la diapositive sur le droit international humanitaire, en particulier.

« ENLEVER – Ce cadrage n’est pas nécessaire pour les diapositives suivantes », a écrit Erika Yepsen, une responsable des affaires publiques pour le bureau, dans un commentaire. « Ce n’est pas le lieu pour commenter le respect du droit international humanitaire par Israël. »

« L’évaluation de la conformité d’Israël avec le droit international humanitaire » par le gouvernement américain « est un point de désaccord majeur sur la colline du Capitole », a écrit Mme Yepsen dans son commentaire. Elle a recommandé que le bureau du Moyen-Orient « n’autorise aucune version de cette présentation incluant ce sujet » en raison d’un « langage problématique ».

Dans un courriel adressé à d’autres conseillers de l’USAID, Mme Yepsen, qui n’a pas répondu aux questions de The Intercept, a noté que « le rapport du NSM-20 a fait la une des journaux nationaux et la conformité d’Israël reste une question non résolue ».

Une autre diapositive de la présentation sur le manque d’infrastructures médicales à Gaza. Avec l’autorisation d’Alexander Smith

Gaza et la Cisjordanie 2023 – 2024

Situation :

Une partie de la présentation sur le déclin de la santé maternelle à Gaza. Avec l’autorisation d’Alexander Smith

Gaza et la Cisjordanie 2023 – 2024

  • Fausses couches, insuffisance pondérale à la naissance, naissances avant terme :
    • Événements familiaux négatifs, stress psychologique.
      • Qu et al., “The association between psychological stress and miscarriage: A systematic review and meta-analysis” (Corrélation entre stress psychologique et fausse couche : revue systématique et méta-analyse), 11 mai 2017. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5431920/
    • ACE (expériences négatives dans l’enfance) et risque de fausse couche
      • Demamakos et al. Adverse childhood experiences are associated with increased risk of miscarriage in a national population-based cohort study in England (Des experiences négatives dans l’enfance sont associées à des risques accrus de fausse couche dans une étude de cohorte basée sur la population nationale en Angleterre), 8 juin 2020. https://academic.oup.com/humrep/article/35/6/1451/5854488
    • Conflit et insuffisance pondérale à la naissance/prématurité
    • Keasley et al., “Adverse effects of exposure to armed conflict on pregnancy: a systematic review,” (Les effets négatifs de l’exposition à un conflit armé sur la grossesse : revue systématique), 28 novembre 2017

M. Smith a accepté de supprimer la diapositive, comme le montre l’échange d’e-mails. Conformément aux directives de l’administration, il a également accepté de supprimer les références à la « Palestine », y compris dans le titre d’un tableau produit par le Fonds des Nations unies pour la population en Palestine. J’ai également accepté d’autres changements pour me conformer aux points de discussion et aux messages de l’agence, et j’ai proposé de faire ma présentation sans aucune diapositive, a déclaré M. Smith à The Intercept.

En fin de compte, les responsables de l’USAID ont rejeté l’ensemble de la présentation. « Veuillez retirer ce point de l’ordre du jour de la conférence », a écrit Allison Salyer, conseillère supérieure du bureau, dans un courriel. Elle n’a pas répondu à The Intercept.

Dans un communiqué, un responsable de l’USAID a refusé de discuter de « questions spécifiques de gestion du personnel », mais a déclaré que les « responsabilités professionnelles de M. Smith n’incluaient pas le soutien de la réponse de l’USAID à la crise humanitaire à Gaza ou les effets dévastateurs du conflit sur les femmes et les enfants ».

Les fonctionnaires de l’USAID n’ont pas soulevé d’inquiétudes quant à l’expertise de M. Smith dans les documents examinés par The Intercept, se concentrant plutôt sur ses choix linguistiques.

« Personne ne m’a jamais demandé avant la conférence si Gaza excédait mon champ d’action ni n’a invoqué cela comme une raison pour que je n’en parle pas », a déclaré M. Smith. « Les 35 personnes qui ont examiné et approuvé mon résumé ont certainement estimé qu’il était approprié que je parle de Gaza. »

M. Smith a néanmoins choisi d’assister à la conférence. Le dernier jour, il a essayé de demander à la directrice de l’USAID, Samantha Power, pourquoi sa présentation avait été annulée, mais on ne lui a pas donné la parole, a déclaré M. Smith.

À la fin de la semaine dernière, M. Smith a déclaré avoir reçu un appel de la société qui sous-traitait son poste à l’USAID. On lui a dit qu’il pouvait soit démissionner, soit être licencié en raison de « différences de personnalité ».

« Ce qui m’est arrivé envoie un signal très clair au personnel : nous ne parlons pas de Gaza. »

La société n’a pas voulu lui dire si la présentation avait contribué à l’insatisfaction de l’USAID à l’égard de ses performances, a déclaré M. Smith.

Lundi, M. Smith a rejoint les rangs de plus en plus nombreux des fonctionnaires de l’administration Biden qui ont démissionné à cause de Gaza.

« Faire taire activement les discussions sur la vie des Palestiniens et la catastrophe sanitaire globale en cours est déshumanisant », a écrit M. Smith dans une lettre de démission adressée à Mme Power, « non seulement pour la population de Gaza, mais aussi pour les citoyens des États-Unis qui méritent de savoir dans quelle mesure nous payons et soutenons des crimes commis contre les Palestiniens ».

« Ce qui m’est arrivé envoie un signal très clair au personnel : nous ne parlons pas de Gaza », a déclaré M. Smith à The Intercept.