Le président de l’AURDIP a écrit au directeur de TSE pour dénoncer la suspension de quatre mois d’un enseignant ayant évoqué la guerre à Gaza lors d’un cours de mathématiques. Il critique cette sanction comme disproportionnée et appelle TSE à se pencher sérieusement sur la situation économique et sociale à Gaza, en Cisjordanie et à Jerusalem-Est, ce que l’on appelle généralement le dé-développement de la Palestine, plutôt que de clouer au pilori un malheureux enseignant qui a osé aborder le sujet.

Monsieur Christian Gollier
Directeur de TSE
Monsieur le Directeur
Le 4 septembre, un communiqué de TSE, sous le titre « Contract Lecturer Suspended for Breach of Neutrality », annonçait la suspension pour quatre mois d’un enseignant « who expressed views on the situation in the Middle East during a mathematics class on Tuesday, September 3, 2024 ».
On voit mal en quoi le fait d’exprimer ses vues sur la situation au Moyen-Orient, tout au moins dans un pays où règnerait la liberté d’expression, soit un motif suffisant pour suspendre de ses fonctions un enseignant. On peut sans doute arguer que le moment était mal choisi, et que dans un cours de mathématiques on ne doit parler que de mathématiques. On peut aussi, au contraire, penser que le meilleur moyen de motiver les étudiants est de situer le cours dans son contexte, et que s’il est important pour eux de savoir que les mathématiques peuvent contribuer à l’économie et à la finance, il ne l’est pas moins de savoir qu’elles peuvent contribuer à des choses beaucoup plus sérieuses, comme l’extermination massive d’êtres humains. C’est d’ailleurs ce que faisait Roger Godement, qui avait coutume de commencer son cours d’algèbre générale par les propriétés de l’addition, en prenant comme exemple concret le nombre de morts sous les bombardements américains au Vietnam. J’ajoute qu’il n’a jamais été inquiété pour cela.
Tout cela ne saurait en rien justifier une sanction, encore moins une sanction de cette importance : quatre mois de suspension. Ce seraient donc les vues exprimées qui seraient en cause ? C’est bien ce que laisse entendre le communiqué de TSE, qui se conclut par ses mots : « TSE will not take a political stance and is committed to combating any form of incitement to hatred ». Or les vues en question, en dehors de l’expression d’un désarroi profond devant les massacres perpétrés à Gaza, désarroi que nous partageons avec des millions de personnes en France et dans le monde, sont strictement factuelles et témoignent même d’une certaine réserve. L’enseignant déclare que « cela n’a pas commencé le 7 octobre », comme Antonio Guterres, Secrétaire Général de l’ONU, le 24 Octobre 2023 devant le Conseil de Sécurité, il parle d’« apartheid » en Israël, en citant Amnesty International, mais il ne parle pas de « génocide », comme la Cour International de Justice (ordonnance du 26 Janvier 2024). Reste une phrase qui suggère de se renseigner sur les manifestations en soutien à Gaza et le boycott de certains produits israéliens. Nous pouvons comprendre que vous considériez que l’enseignant sort de son rôle, mais nous vous rappelons que toutes ces actions sont parfaitement légales (voir notamment l’arrêt du 14 mars 2024 de la Cour d’Appel de Paris), et ne sauraient en aucun cas être considérées comme des incitations à la haine.
C’est pourquoi nous sommes alarmés de la menace implicite que contient la phrase « an administrative investigation will be conducted by the school ». Cette présentation tendancieuse des faits, dans le contexte d’une répression générale du soutien à la Palestine menée par le gouvernement démissionnaire, nous fait craindre une sanction de nature politique, hors de proportion avec les faits reprochés.
TSE a montré qu’elle savait affronter les grands problèmes de notre temps. Depuis les débuts de l’invasion russe en Ukraine, elle a multiplié les conférences et les webinaires sur ses conséquences humaines, économiques et sociales. Nous appelons TSE à étudier sérieusement ce qu’elle appelle pudiquement « the situation in the Middle East » (le mot « Gaza » est absent de son site). La situation économique et sociale à Gaza, en Cisjordanie et à Jerusalem-Est, ce que l’on appelle généralement le dé-développement de la Palestine, fait depuis longtemps l’objet de nombreuses études de part le monde, et il est plus que temps que TSE en prenne sa part. Cela lui permettrait de mieux comprendre la situation actuelle, de contribuer au savoir économique et social, et peut-être à la construction d’un avenir meilleur, plutôt que de clouer au pilori un malheureux enseignant qui a osé aborder le sujet.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Directeur, l’expression de mes sentiments distingués
Paris, le 9 septembre 2024
(signé)
Ivar EKELAND
Président de l’AURDIP
Ancien membre du Conseil Scientifique de TSE