Suites de Charlie : même à Sciences Po, il devient difficile de parler de la Palestine

Tous les ans depuis 2011, une dizaine d’associations organisent sur l’agglomération nancéienne le festival culturel du Printemps de la Palestine. Cette année, au programme du festival était prévue une conférence….

Tous les ans depuis 2011, une dizaine d’associations organisent sur l’agglomération nancéienne le festival culturel du Printemps de la Palestine. Cette année, au programme du festival était prévue une conférence de Jean-Pierre Filiu avec comme titre « Gaza au cœur de l’histoire et de l’avenir de la Palestine ». Il s’agissait pour ce dernier de présenter son livre « Histoire de Gaza ». Jean-Pierre Filiu était d’accord pour venir le 17 mars. Le directeur du campus de Nancy de Sciences Po, François Laval, était d’accord pour accueillir la conférence dans son établissement.

Sur ce, surviennent les horribles attentats de Charlie Hebdo et de la porte de Vincennes. Il y a quelques jours, François Laval écrit aux organisateurs de la conférence que son accueil par Sciences Po est remis en cause, compte tenu de son caractère « engagé » et des obligations du plan Vigipirate, suite aux attentats.

Il suspend sa décision quant à l’accueil de la conférence à la position que prendra la direction générale de Sciences Po, qu’il a interrogée.

Dans ces conditions, Jean-Pierre Filiu, choqué par l’attitude du directeur du campus de Nancy, décide d’annuler sa conférence.

On peut s’interroger sur l’argument mis en avant par François Laval pour remettre en cause ce qui avait été décidé. On ne peut pas nier l’engagement de Jean-Pierre Filiu par rapport à la Palestine et au Moyen-Orient en général, mais ce n’est pas contradictoire avec le fait qu’il soit reconnu comme un expert de cette partie du monde. Il est professeur à Sciences Po Paris et on retrouve le contenu de la conférence qu’il se proposait de donner à Nancy dans les cours qu’il y dispense habituellement. Il est par ailleurs sollicité régulièrement sur les plateaux de télévision, justement en raison de son expertise sur le Moyen-Orient. Dans le domaine des sciences politiques, peut-on reprocher à un universitaire d’être engagé ? Doit-on interdire un débat à Sciences Po sous prétexte que le thème est trop « engagé » ? Si oui, il faut mettre tous les universitaires qui travaillent dans ce domaine au chômage et fermer Sciences Po.

Il faut rappeler que Monsieur Laval n’a pas eu tant de scrupules quand il a accueilli le 18 janvier 2010 une conférence d’un représentant du gouvernement israélien, organisée par l’Association France-Israël.

En plus, mettre en avant la sécurité pour réduire la liberté d’expression après les millions de personnes qui sont descendues dans la rue le dimanche 11 janvier pour la défendre, semble mal venu. Aucune menace de perturbation ne planait sur la conférence de Jean-Pierre Filiu car, notamment grâce au sérieux de l’AFPS et de ses partenaires, les débats à Nancy sur le conflit israélo-palestinien, même quand ils ont été vifs, se sont toujours passés calmement. D’ailleurs, l’exemple de la venue de Weil-Raynal à Sciences-Po Paris à Nancy en 2010 peut en être cité comme une parfaite illustration.

La population de Gaza a subi cet été une épreuve terrible (2 100 morts dont plus de 1400 civils et de 500 enfants côté palestinien, contre 71 morts dont 6 civils côté israélien). Actuellement, c’est l’hiver et des milliers de personnes y vivent dans des conditions précaires. Leurs habitations ne peuvent pas être reconstruites, les milliers de blessés de cet été ont du mal à être soignés, tout cela parce que le blocus inhumain de la bande Gaza par Israël continue, en violation du droit international et dans l’indifférence des grandes puissances.

De cette situation, Jean-Pierre Filiu aurait pu en parler le 17 mars à Nancy mais malheureusement, les Nancéiens seront privés de cette possibilité.

Nancy, le 8 février 2015

Les associations suivantes organisatrices du Printemps de la Palestine :

Alé Hope !, Association France Palestine Solidarité (AFPS), Association des Travailleurs Maghrébins de France (ATMF), Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement (CCFD), Centre Lorrain d’Information pour le Développement (CLID), Mouvement pour une Alternative Non violente (MAN), REPONSE, Secours Catholique, Une Autre Voix Juive (UAVJ) et Union Juive Française pour la Paix (UJFP)