Rien ne fait renoncer les libéraux à leurs valeurs, ou à leur courage, comme de parler de la Palestine

Comme Gigi Hadid, mon père est un réfugié palestinien, et j’ai été harcelée pour avoir prétendu que les Palestiniens méritent les droits humains.

Progressiste, sauf pour la Palestine

Qu’est-ce qui commence par un « P » et finit par un « E », et qui est un mot trop terrifiant pour être mentionné par beaucoup de gens ? Le mot « Palestine », bien sûr ! Le simple fait de prononcer le mot P avec un air vaguement sympathique peut suffire à susciter des accusations, de mauvaise foi, d’antisémitisme. Le sujet est devenu si tendancieux que certains préfèrent apparemment faire comme si la Palestine et les Palestiniens n’existaient pas et se désintéressent complètement de la question. Rien ne fait renoncer les libéraux à leurs valeurs progressistes, ou à leur courage, comme de parler de la Palestine

Vogue, c’est vous que je regarde ici. Ce magazine a supprimé récemment une référence à la Palestine dans un post Instagram, sur sa page officielle de médias sociaux, et qui était consacré à la promesse de la top model Gigi Hadid de faire don de tous ses revenus du Mois de la mode aux opérations de secours en Ukraine, et en Palestine. Dimanche dernier, Gigi, qui est à moitié palestinienne, a annoncé qu’elle faisait don de ses revenus pour « aider celles et ceux qui souffrent de la guerre en Ukraine, et aussi pour continuer à soutenir celles et ceux qui vivent la même chose en Palestine. Nos yeux et nos cœurs doivent être ouverts à toutes les injustices humaines ». Vogue avait initialement inclus la référence à la Palestine dans le post mais il l’avait retirée après avoir été accusé par un certain nombre de voix pro-israéliennes, de très mauvaise foi, de promouvoir l’antisémitisme. Suite à un tollé de personnes faisant remarquer qu’il n’était pas antisémite de soutenir les Palestiniens, Vogue a alors modifié une troisième fois le post pour y remettre la référence.

Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que Hadid voit ses propos sur la Palestine effacés sur Instagram. L’an dernier, Bella Hadid a posté sur Instagram une photo du passeport étasunien de son père qui indiquait que son lieu de naissance était la Palestine. Le réseau social l’a très vite supprimé. Pourquoi ? D’après Instagram, le post violait « les directives de la communauté sur le harcèlement ou l’intimidation » ainsi que la réglementation sur le « discours de haine ». Après que Bella se soit exprimée, Instagram a avancé quelques autres explications pour sa suppression, et puis il a dit : « Oups, c’était une erreur ! ».

Comme les sœurs Hadid, mon père est un réfugié palestinien. Comme les sœurs Hadid, je me suis aussi retrouvée harcelée et vilipendée pour avoir osé prétendre que les Palestiniens méritent les droits humains. (Contrairement aux sœurs Hadid, hélas, je ne suis pas un top model). Comme je l’ai écrit précédemment, il semble qu’il n’y ait aucune façon acceptable pour un Palestinien de manifester son opposition à l’oppression, ou de défendre ses droits.

L’invasion russe de l’Ukraine est déchirante. Mais je veux être très claire sur le fait que de se tenir aux côtés des Ukrainiens, comme tous nous devons le faire, ne signifie pas ignorer l’injustice et l’oppression partout ailleurs. Cela n’amoindrit pas les luttes du peuple ukrainien que de poser des questions sur le double standard (deux choses qui sont identiques mais jugées différemment). Ce n’est pas porter atteinte ou détourner l’attention de ce qu’il se passe en Ukraine, par exemple, que de demander pourquoi une photo virale d’une petite fille blonde qui tient tête à un soldat devant un char d’assaut avait été fêtée quand les gens pensaient que cette fille était ukrainienne, mais qui a été traitée autrement lorsqu’on a fait remarquer que la fille était en réalité Ahed Tamimi, une Palestinienne, debout face à un soldat israélien.

En effet, il est extrêmement important que nous posions ce genre de questions. « Une injustice, où qu’elle se produise, est une menace pour la justice partout ailleurs » a déclaré Martin Luther King. Ce ne sont pas là que de belles paroles. Quand vous ne tenez pas compte du droit international dans une région, alors vous contribuez à affaiblir le droit international dans le monde entier. Quand vous haussez les épaules face à l’oppression en un endroit, alors vous contribuez à lui ouvrir la porte dans un autre. La solidarité, ce n’est pas une distraction – c’est un verbe.