Repré­sen­tation du conflit israélo-​​palestinien dans les manuels sco­laires : une analyse cri­tique internationale

AFPS | 13 octobre 2013 | Samedi 28 sep­tembre 2013, L’AFPS orga­nisait conjoin­tement avec le CICUP (Col­lectif Inter­uni­ver­si­taire pour la Coopé­ration avec les Uni­ver­sités Pales­ti­niennes) et l’Institut de recherche de….

AFPS | 13 octobre 2013 |

Samedi 28 sep­tembre 2013, L’AFPS orga­nisait conjoin­tement avec le CICUP (Col­lectif Inter­uni­ver­si­taire pour la Coopé­ration avec les Uni­ver­sités Pales­ti­niennes) et l’Institut de recherche de la FSU un col­loque sur le trai­tement comparé du conflit dans les manuels sco­laires dans quatre pays. Pour notre asso­ciation engagée depuis deux ans dans ce travail, la confron­tation de leurs travaux entre quatre uni­ver­si­taires et la pré­sen­tation publique de leurs recherches était une nécessité : trop de non-​​dits, de lacunes, voire d’erreurs, alors que la pro­duction des his­to­riens de beaucoup de pays depuis plus de 20 ans est ancrée dans la vérité historique.

Les 70 per­sonnes pré­sentes qui ont par­ticipé aux débats, ont tout d’abord été accueillies par la séna­trice Bri­gitte Gonthier-​​Maurin qui par­rainait ce col­loque. Celle-​​ci a annoncé dans son inter­vention qu’elle inter­pel­lerait le ministre de l’éducation nationale sur cette question.

Quatre inter­ve­nants ont pré­senté leurs ana­lyses, parmi tant d’autres, quelques idées fortes rapi­dement évoquées ci-​​dessous. Des Actes du Col­loque sont en pré­pa­ration et en feront le rapport exhaustif.

• Nurit PELED-​​ELHANAN pour Israël. Toute la pro­duction sco­laire est faite pour ren­forcer l’idéal sio­niste et conforter l’identité juive. Les réfé­rences au dis­cours biblique y sont per­ma­nentes. Dans ses rap­ports avec la Palestine, « l’autre « n’existe pas en tant qu’humain. Un constat : peu de regard cri­tique au sein du monde ensei­gnant israélien.

• Samira ALAYAN pour la Palestine. La pro­duction sco­laire pales­ti­nienne y est récente, puisque aupa­ravant les manuels étaient jor­da­niens en Cis­jor­danie, égyp­tiens à Gaza. Elle met en valeur la construction de l’Etat. Elle est super­visée par la Banque mon­diale. Constat est fait des pres­sions accé­lérées pour intro­duire les seuls manuels israé­liens pour les élèves de Jérusalem-​​Est, une autre forme subtile de colo­ni­sation. De même, les manuels pour les Pales­ti­niens d’Israël tronquent l’histoire récente.

• Michaël WALLS pour la Suède, après avoir rappelé des concepts didac­tiques, a illustré l’ambivalence entre le dis­cours des manuels et la per­ception des ensei­gnants. Le premier valorise l’esprit et le projet des Accords d’Oslo : deux peuples sur des ter­ri­toires res­pectés. Mais il insiste dans ses conclu­sions sur les repré­sen­ta­tions des ensei­gnants : une his­toire qui pri­vi­légie l’angle israélien.

• San­drine MANSOUR-​​MERIEN pour la France a analysé 11 manuels sco­laires de ter­minale. Le trai­tement du conflit est très imprégné d’un passé colonial encore mal assumé. Bien des faits majeurs ne sont jamais inter­rogés (ex : la Décla­ration Balfour). Le trai­tement de l’histoire ne prend que très rarement les acquis des his­to­riens. Les repré­sen­ta­tions des Pales­ti­niens sont presque tou­jours en leur défaveur. Cer­tains extraits des manuels pri­vi­lé­gient de façon cari­ca­turale les intérêts et points de vue israéliens.

L’après-midi des exemples concrets et illustrés ont appuyé les pré­sen­ta­tions des uni­ver­si­taires. Domi­nique Comelli de l’Institut de recherche de la FSU a illustré de façon concrète la « fabrique des manuels » en insistant sur ce qu’est une « question chaude » et parmi les ques­tions « chaudes » celle du conflit israélo-​​palestinien. La place du manuel dans la classe, pour l’élève et le pro­fesseur, parmi d’autres sup­ports, est relativisée. [1]

Pour finir, des exemples précis de manuels ont démontré le trai­tement dés­équi­libré, parfois masqué, parfois par­tisan de la question.

Ex : le « départ » des Pales­ti­niens en 1948, tous les manuels « oublient » les expul­sions anté­rieures. La colo­ni­sation souvent oubliée. Les Pales­ti­niens montrés dans la plupart des manuels comme étant « les ter­ro­ristes ». Pas ou peu de réfé­rence au droit international.

En conclusion, le pré­sident de l’AFPS a annoncé la publi­cation d’actes du col­loque et les pers­pec­tives envi­sagées, notamment la création d’un obser­va­toire inter­na­tional, obser­va­toire dans lequel les deux par­te­naires et orga­ni­sa­teurs du col­loque ont répondu présents.

Col­loque inter­na­tional « Repré­sen­tation du conflit israélo-​​palestinien dans les manuels sco­laires : une analyse cri­tique inter­na­tionale » Palais du Luxem­bourg – le 28 sep­tembre 2013

Le groupe de travail « manuels scolaires.

Pour toutes ques­tions ou demandes de docu­ments vous pouvez vous adresser à l’adresse mail : colloque.manuels.scolaires@gmail.com

Interview de San­drine Mansour (aller à 5.22 minutes)


[1] La fabrique des manuels

Les manuels, un objet composite et une source de profits

Les manuels en France sont un objet très com­posite, qui joue de mul­tiples rôles : outil péda­go­gique censé répondre aux besoins définis par les pres­crip­tions péda­go­giques, interface entre le savoir savant et le savoir sco­laire, tra­duction d’un pro­gramme , cir­cu­lation entre l’école et l’extérieur, .. Malgré ces forts enjeux, les manuels en France relèvent d’une liberté totale, qui n’existe que dans peu de pays : les éditeurs relèvent du secteur privé, ni le ministère de l’Education nationale, ni les députés, ni l’Inspection Générale n’ont leur mot à dire sur le texte et le contenu péda­go­gique des manuels. Il n’y a ni contrôle ins­ti­tu­tionnel, ni auto­ri­sation, ni veri­fi­cation péda­go­gique. Les deux seules périodes où il y a eu contrôle des manuels sont le second Empire et Vichy, qui ont laissé de mauvais sou­venirs sur le plan des libertés.. les ensei­gnants en France sont très attachés à cette liberté, toute inter­vention venue d’en haut serait très mal vécue . De même, les ensei­gnants sont très méfiants devant les pres­sions des com­mu­nautés et lobbies : les ensei­gnants croient en la neu­tralité de l ‘école , qui doit rester un sanc­tuaire à l’écart des grands débats sociaux, et s’appuyer sur la neu­tralité du savoir savant.

Et pourtant , malgré cette liberté totale, les manuels se res­semblent étonnamment. pourquoi ?

Parce que les manuels sont aussi, voire d’abord , un objet com­mercial. L’édition sco­laire représente 12% du chiffre d’affaire de l’édition globale. C’est un secteur très concentré (environ 6 edi­teurs). C’est un marché garanti : les pro­grammes changent tous les 4-​​5 ans, et ce sont les col­lec­ti­vités qui payent les manuels. C’est aussi un marché qui demande de très lourds inves­tis­se­ments : équipe d’auteurs, infra­struc­tures, mais surtout envoi des spé­cimens à tous les ensei­gnants pour qu’ils puissent choisir. Un livre qui séduit les ensei­gnants, c’est l’assurance de très gros profits  –  y compris pour les auteurs de manuels-​​​​ , un livre qui échoue remet en cause le maintien de l’équipe d’auteur et le directeur de col­lection, et parfois même la survie de la maison d’édition. C’est ce qui explique la concen­tration du secteur : les petites maisons d’édition sco­laire, souvent inno­vantes et liées aux ensei­gnants , encore nom­breuses dans les années 70, ont disparu. Un livre pour se vendre doit donc à la fois répondre aux besoins des pres­crip­teurs d’achat , les ensei­gnants, et sus­citer le moins de vagues pos­sible. Un manuel est un objet qui doit faire consensus , dans lequel les ensei­gnants doivent recon­naître leurs pra­tiques péda­go­giques et leurs propres repré­sen­ta­tions des eve­ne­ments . Un manuel innovant ou polé­mique ne se vend pas.

Mais les ensei­gnants et acces­soi­rement les élèves ne sont pas les seuls à lire les manuels sco­laires : les manuels cir­culent entre l’école et les familles. C’est par les manuels que les parents ont le plus d’information sur ce qui se passe à l’école, sur ce que les élèves apprennent . C’est aussi un objet qui circule dans la société : médias, hommes poli­tiques s’interessent aux manuels, en par­ti­culier aux manuels de SVT et d’histoire-géo.

Comment est fabriqué un manuel ?

Il y a léga­lement un délai de 14 mois entre la publi­cation d’un pro­gramme et la sortie du manuel. 14 mois, c’est court, ce qui explique les erreurs, les négli­gences des manuels. C’est d’autant plus court que les équipes sont devenues très nom­breuses. On est très loin des manuels d’autrefois, avec un ou deux grands auteurs. Ces équipes sont nom­breuses , d’abord pour par­tager le travail et acce­lerer l’écriture du manuel. Mais aussi parce que les ensei­gnants pres­crip­teurs doivent se recon­naître dans les équipes de manuels : ce ne sont plus les Ins­pec­teurs Généraux ou de grands uni­ver­si­taires qui écrivent les manuels , car on a perdu le sens de la hie­rarchie et du respect des grands auteurs. Un manuel main­tenant est écrit par des « ensei­gnants de terrain », car c’est l’assurance que les pro­blèmes du quo­tidien seront pris en charge par les manuels.

Cette rapidité d’écriture des manuels et cette hété­ro­gé­neité expliquent aussi les rup­tures de style, les contra­dic­tions , les inco­hé­rences du texte des manuels. C’est le rôle du directeur de col­lection de lisser tout cela. Mais s’il n’a pas le temps de le faire , ce n’est pas grave. Car ce n’est pas le texte de manuel qui a de l’importance . Seuls les non –ensei­gnants s’interessent au contenu du texte. actuel­lement , le texte n’est lu ni par les ensei­gnants ni réel­lement par les élèves.

– d’abord parce que le contenu de réfé­rence en France , c’est le cours d’histoire du prof.

– ensuite parce que les manuels actuels sont très pauvres en contenu : sur le même sujet , le nombre de signes d’un manuel de lycée est infe­rieur au nombre de signes d’un manuel de collège des années 70, (pour ne pas parler des manuels des années 60). Demander à un élève de ren­forcer ses connais­sances en lisant le manuel est peu efficace. Quand les profs sont debordés et n’arrivent pas à finir le pro­gramme, ils pré­férent donner un poly­copié que se contenter du manuel. D’autant que cette pau­vreté en contenu, cette brieveté des textes, rend les choses très ellip­tiques et donc dif­fi­ciles à comprendre.

– enfin, parce qu’un texte très court, ren­voyant à un recit élemen­taire réduit au factuel incon­tour­nable, permet aussi d’éviter tout ce qui derange, tout ce qui peut faire aspérité, en par­ti­culier quand on traite ce qu’on appelle une « Question Socia­lement Vive » dans le jargon des socio­logues ou « une question chaude ». une QSV, c’est une question sur lequel il n’y a pas encore d’accord dans le monde savant, et qui fait aussi polé­mique dans la société , une question où s’affrontent des légi­ti­mités dif­fé­rentes . (la colo­ni­sation, la guerre d’Algérie, la Shoah ont été des QSV en his­toire, les pro­blèmes de genre et la sexualité le sont en Sciences de la vie et de la terre, par exemple..). une QSV dans le monde sco­laire, soit on n’en parle pas, soit, quand on ne peut faire autrement on cherche comment la refroidir pour avoir la paix dans la classe, en attendant qu’il y ait la paix dans la société. Les QSV évoluent, cer­taines dis­pa­raissent , d’autres appa­raissent. Actuel­lement le conflit israelo-​​​​palestinien est la QSV la plus chaude en his­toire. Pour refroidir une question chaude, actuel­lement, on evite d’entrer dans la com­plexité des choses (alors qu’il y a une cin­quan­taine d’années, on les refroi­dissait au contraire par un savoir savant factuel detaillé, hypertrophié).

A quoi sert donc prin­ci­pa­lement un manuel sco­laire ? A fournir des docu­ments (et l’évolution actuelle vers le mul­ti­média, puisque les manuels sont main­tenant accom­pagnés d’accès à une docu­men­tation internet le ren­force). Si les textes sont si réduits, c’est parce toute la place est prise par les docu­ments , les entrai­ne­ments au bac, les exer­cices (on ne peut aug­menter la taille des manuels, pour des raisons de cout et de poids dans les cartables).

A priori, c’est positif : on jus­tifie cet enva­his­sement par les docu­ments par des raisons de for­mation : on trans­for­merait ainsi les elèves en his­to­riens en leur donnant accès aux sources, on leur appren­drait l’esprit cri­tique, on ferait ainsi appa­raître la com­plexité de l’histoire et la plu­ralité des points de vue qui ne peuvent etre perçus dans le texte. mais quand on examine de près les docu­ments, on se rend compte que ces objectifs sont rarement atteins, voire recherchés. Les docu­ments, et en par­ti­culier les images , très enva­his­santes, ont d’autres fonctions

– ils jus­ti­fient et légi­timent le texte et le point de vue de l’auteur : ils ne peuvent donc rendre pos­sible le deve­lop­pement de l’esprit cri­tique par rapport au texte. (de même, dans leur classe, les ensei­gnants donnent tou­jours des docu­ments qui jus­ti­fient ce qu’ils viennent de dire. Les élèves français, com­parés aux autres élèves euro­péens, sont parmi ceux qui sont le moins cri­tiques par rapport au cours de leur ensei­gnant) . C’est pourquoi les ensei­gnants choi­sissent rarement des manuels com­portant des docu­ments allant contre leurs propres repré­sen­ta­tions. Et quand il s’agit d’une question dif­ficile ou nou­velle, que les ensei­gnants ne mai­trisent pas réel­lement (il ne faut pas oublier que la plupart des ques­tions du pro­gramme n’ont jamais été ensei­gnées à la fac, que ce soit le judaïsme, la chine des Han, le moyen-​​​​Orient, Byzance etc etc..), les ensei­gnants par­tagent les mêmes repré­sen­ta­tions souvent fausses que les Français . Les ensei­gnants cherchent le document qui decons­truira les repré­sen­ta­tions de leurs élèves, pour les amener au « vrai » savoir scien­ti­fique, mais acceptent assez mal que des manuels decons­truisent leurs propres représentations.

– mais surtout, ils sont un argument de vente décisif, car ils faci­litent le travail de l’enseignant . plus les docu­ments seront inter­es­sants et de bonnes qua­lités, plus ils écono­mi­seront de temps de travail à l’enseignant , en dimi­nuant le nombre de pho­to­copies à faire, (dimi­nuant, pas sup­primer : un ensei­gnant se sent « fei­gnant » s’il n’a pas produit sa touche per­son­nelle). Faire des pho­to­copies, c’est cher, c’est du travail, c’est aussi des docu­ments de bien plus mau­vaise qualité. Il faut donc que le livre apporte des docu­ments non repro­dui­sibles , ce qui rend l’achat indis­pen­sable : des photos cou­leurs, des cartes dont la mise en couleur est soi­gneu­sement choisie pour ne pas passer à la photocopieuse.

– les docu­ments, en par­ti­culier les photos, sont aussi une accroche pour les élèves. Les élèves (surtout les 15-​​16 ans, assez voyeu­ristes) aiment les photos qui frappent, assez « gore », assez émotion­nelles. Pour parodier un slogan, les manuels, c’est « la fadeur des mots , le choc des photos ». Tra­vailler sur les photos, ce que font beaucoup les ensei­gnants (d’autant que les élèves lisent faci­lement les images ), n’est pas faire un travail d’historien. Car jamais on ne fait réfléchir les élèves sur « qui peut avoir pris la photo » (et les manuels, s’ils citent les crédits, ne disent effec­ti­vement jamais si c’est un soldat, un pho­to­graphe pro­fes­sionnel, un acteur, un par­ti­culier …qui a pris la photo.). Pourtant cela a une impor­tance fon­da­mentale, car cela pose d’entrée la question de « qui peut avoir acces à un appareil photo ». L’origine des photos est par­ti­cu­lie­rement vitale quand on traite une question chaude , car elle indique d’entrée le point de vue reflétée par la photo. Et c’est aussi l’origine de la photo qui pro­voque les inter­ro­ga­tions en pro­fondeur des élèves : quand un soldat prend une photo à un check-​​​​point –ou dans le ghetto de Var­sovie, ou dans un village brulé au Vietnam-​​​​ est-​​​​ce pour dénoncer ? est –ce pour montrer au contraire la grandeur de l’œuvre à laquelle il par­ticipe ? C’est pourquoi il serait efficace, si on veut continuer à tra­vailler sur les manuels, de poser avec insis­tance cette question aux éditeurs.

Les docu­ments sont nor­ma­lement choisis par l’auteur du manuel. Mais dans les grosses maisons d’édition, les auteurs indiquent plutot le document qu’ils cherchent, et ce sont les docu­men­ta­listes de la maison d’édition qui four­nissent le document cor­res­pondant. Sauf que eux aussi sont dans l’urgence : ils doivent aussi chercher les docu­ments pour les auteurs des manuels de SVT, de français etc etc. . donc ils vont chercher les docu­ments qu’ils connaissent déjà, ceux dont les droits sont peu chers.. C’est pourquoi fournir des photos, des docu­ments per­sonnels aux docu­men­ta­listes ou aux auteurs de manuels, qui en feront ceux qu’ils vou­dront , bien sur, peut vraiment leur rendre service.

Le recours à l’emotionnel

Les docu­ments, en par­ti­culier les photos, pri­vi­lé­gient l’efficacité émotion­nelle. On ne peut leur reprocher : la société fran­çaise et occi­dentale toute entière a rem­placé la réflexion par l’émotion. L’approche émotion­nelle vise à pro­voquer l’empathie des élèves. Quelles sont les émotions recher­chées ? On n’est plus dans l’exaltation du héros typique des manuels des nations en construction. L’émotion pri­vi­légiée, c’est celle de l’apitoiement sur les souf­frances res­senties par les vic­times. Dans le trai­tement d’une QSV , cela peut à la fois pro­voquer le réchauf­fement (si on ne suscite l’émotion que pour un camp, l’autre camp va demander à ce que lui aussi soit montré souf­frant ) d’une question que l’on cherche à refroidir, mais cela peut aussi pro­voquer le refroi­dis­sement de la question dans la com­munion envers toutes les souf­frances. (c’est comme cela que l’on a refroidi la guerre de 14-​​18). Le pro­blème, c’est que rien n’est plus mani­pu­lable que l’émotion (meme si on est quand même content que les jeunes com­pa­tissent à la souf­france des vic­times…). Et surtout , l’émotion empeche de reflechir. L’enjeu autour des manuels en par­ti­culier pour le trai­tement du conflit israelo-​​​​palestinien, est donc que les photos montrent la souf­france de tous les camps (les photos occultées dont parlait Bernard Albert). Cette attention portée aux photos est très mai­trisée par le Crif et les ins­ti­tu­tions juives , avec des pres­sions beaucoup plus dis­cretes, mais réelles . (par ex la photo du gamin dans les bras de son pere qui s’était fait tuer a pro­voqué beaucoup de pres­sions auprès de tous ceux qui ont osé la publier. Si en France on laisse une totale liberté aux manuels , on contrôle la lit­te­rature de jeu­nesse . comme repré­sen­tante de la FSU à la com­mission d’application de la loi de 49 sur la pro­tection de la jeu­nesse, je me rap­pelle une inter­vention pour que la com­mission fasse des remon­trances à un journal pour enfants ayant publié cette photo dans un dossier sur les enfants et la guerre. Remon­trances que la com­mission a bien sur refusé de faire .. ).

Si ma pre­sen­tation des manuels jusque là reprend des ana­lyses qui font consensus chez les didac­ti­ciens et socio­logues du cur­ri­culum , ce que je vais dire main­tenant est plus per­sonnel et donc peut etre contesté.

L’attention accordée aux vic­times ,et non plus aux acteurs, à ceux qui s’engagent , ne relève pas seulement de la concur­rence des vic­times, de la vision émotion­nelle du monde. Elle est aussi à lier à un profond chan­gement poli­tique en France depuis une ving­taine d’années , la dis­qua­li­fi­cation de la rue . (en France, jusqu’à la 5ème repu­blique, la légi­timité poli­tique a tou­jours reposé depuis la Révo­lution fran­çaise sur deux piliers : les elec­tions et la « rue », c’est à dire l’intervention du peuple –manifs, émeutes..). or, la vio­lence actuel­lement est de plus en plus réservée aux etats  –  ce n’est pas nouveau, mais le mou­vement s’accelere , que cette vio­lence soit entre états ou contre les citoyens d’un état. Tout civil, toute popu­lation qui utilise la vio­lence (et la vio­lence peut etre sim­plement le lancer d’une pierre, d’une canette vide ou d’une carotte..) est dis­qua­lifiée comme « ter­ro­riste ». Même si la cause de la Palestine est juste, par defi­nition, le simple fait que les Pales­ti­niens se revoltent la dis­qua­lifie. le recou­vrement de la Résis­tance par la Shoah dans le trai­tement de la 2ème guerre mon­diale dans les manuels comme dans la lit­te­rature de jeu­nesse est liée à cette dif­fi­culté à parler posi­ti­vement d’un peuple qui s’engage. Car mettre en valeur la resis­tance armée dans la France de 1942, c’est for­cément recon­naître le droit aux peuples de prendre les armes contre l’oppression, que ce soit en Palestine ou ailleurs. (les élèves font très vite le rapport entre les dif­fe­rents lieux et les dif­fe­rentes légi­ti­mités). Et il me semble que l’orientation pro­fonde de l’ideologie domi­nante actuelle en France quant à l’enseignement de l’histoire, ce ne soit plus de trans­mettre le roman national, mais de lutter contre « l’insurrection qui vient » en assi­milant le moindre de defense d’un peuple à du ter­ro­risme. Il est frappant que les photos des gamins lançant des pierres contre des soldats israe­liens sur­armés , qui il y a quelques années avaient pro­voqué un retour­nement dans l’opinion publique en faveur du droit des Pales­ti­niens (le mythe de Gavroche etait à l’époque un mythe positif en France) soient main­tenant classées comme preuve de la vio­lence pales­ti­nienne dans les manuels de 2012.

Ce qui pose un pro­blème de fond , qui depasse lar­gement le conflit pales­tinien, mais qui est pourtant au cœur de la manière dont on peut debattre sur la manière de mettre en avant la cause de la Palestine. Montrer les souf­frances des Pales­ti­niens dans les manuels, c’est réha­bi­liter la verite his­to­rique, rap­peller que les souf­frances du Moyen-​​​​Orient ne sont pas uni­la­te­rales. Mais si on s’en tient là, on cau­tionne aussi l’idée que la seule recon­nais­sance de la Palestine, ce soit une Palestine qui souffre, amis pas la Palestine qui lutte. On peut penser que main­tenant, les esprits sont tel­lement modelés par ce dis­cours anti « ter­ro­riste » , donc anti révolte, qu’il faut faire le dos rond, et n’insister que sur la dif­fusion des images de la Palestine qui souffre. On peut aussi se dire que poli­ti­quement, et pas seulement pour la Palestine, faire recon­naître qu’une revolte, qu’un lancer de pierre n’est pas du ter­ro­risme, c’est poli­ti­quement important. Mais c’est aussi aug­menter le niveau et donc les dif­fi­cultés pour gagner la bataille de l’opinion publique.