Lettre Ouverte à la Ministre de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur

Par Christophe Oberlin, Professeur à l’Université Paris VII, mardi 19 juin 2012 | « Conster­nation, contra­vention à l’esprit de neu­tralité et de laïcité, vive émotion des étudiants et des ensei­gnants….

Par Christophe Oberlin, Professeur à l’Université Paris VII, mardi 19 juin 2012 |

« Conster­nation, contra­vention à l’esprit de neu­tralité et de laïcité, vive émotion des étudiants et des ensei­gnants »… La presse s’en saisit, des mil­liers d’internautes réagissent, des sanc­tions sont demandées. Diable, de quoi s’agit-il ?

Ensei­gnant à la faculté de médecine Denis Diderot à Paris, j’ai depuis plus de trente ans par­ticipé en parallèle à mes acti­vités de chi­rurgien et d’enseignant, à des acti­vités de type huma­ni­taire. Et c’est à ce titre que les étudiants en médecine de la faculté sont venu me trouver il y a quinze ans : « Nous fondons une asso­ciation huma­ni­taire, donnez-​​nous des idées et des projets ». Quinze ans plus tard près d’un tiers des étudiants partent ainsi en mission au cours de leur cursus, cer­tains pro­grammes que j’ai initiés fonc­tionnent tou­jours, et cer­tains de ces étudiants tra­vaillent à temps plein dans de grandes ONG. Ce sont les mêmes étudiants de la faculté qui sont venus me voir il y a trois ans : « La faculté vient de créer des cer­ti­ficats optionnels, lancez un cer­ti­ficat de Médecine Huma­ni­taire ». Et ce cer­ti­ficat optionnel fonc­tionne depuis trois ans, avec un certain succès : 85 ins­crits cette année.

Alors de quoi s’agit-il ? Tout d’abord il s’agit d’un cer­ti­ficat optionnel. Per­sonne n’est obligé de s’y ins­crire. L’intitulé initial de ces cer­ti­ficats était : « cer­ti­ficats optionnels obli­ga­toires ». Ce qui signifie que les étudiants doivent obli­ga­toi­rement valider un certain nombre de ces cer­ti­ficats, mais que l’éventail du choix est plus large que le nombre à valider. La formule « Cer­ti­ficat Optionnel Obli­ga­toire » n’étant pas très heu­reuse, elle a été par la suite rem­placée par la formule « Cer­ti­ficat Com­plé­men­taire Obli­ga­toire ». Il n’en demeure pas moins que nul n’est obligé de s’inscrire au cours de son cursus au cer­ti­ficat de Médecine Huma­ni­taire dont j’ai la res­pon­sa­bilité. Quel est le pro­gramme ? J’ai essayé de sortir du cadre des cours magis­traux de médecine où quelques étudiants mutiques se collent en haut de l’amphithéâtre, enre­gistrent le cours et le dif­fusent aux absents qui le « bacho­teront » la veille de l’examen. Le titre des ensei­gne­ments est d’ailleurs « Confé­rences ouvertes ». Vingt heures d’enseignement, dix cours de deux heures avec à chaque fois plus de trente minutes de dis­cus­sions avec les étudiants. J’anime moi-​​même la totalité des cours et des dis­cus­sions, quels que soient les thèmes et les ora­teurs. Et mon message répété maintes fois aux étudiants est : « Laissez tomber vos crayons, on vous demande d’être pré­sents, d’écouter, de réfléchir et de par­ti­ciper ». Alors on écoute parler un psy­chiatre ou un jour­na­liste du choc psy­cho­lo­gique post trau­ma­tique. Les nou­veaux enjeux de l’action huma­ni­taire sont évoqués. Des logis­ti­ciens parlent de l’approvisionnement en eau, des médecins de l’hygiène dans les camps de réfugiés, de la trans­fusion san­guine, de la gestion d’une phar­macie impro­visée. Il y a des cours tech­niques sur le trai­tement des frac­tures ou l’anesthésie en situation pré­caire. Mais aussi des sujets plus généraux comme « Médecine huma­ni­taire et for­mation », ou encore « Huma­ni­taire et déve­lop­pement » ou « Huma­ni­taire et culture ». Ou encore « l’Humanitaire hexa­gonal » : eh oui, dans la France du XXIème siècle, une partie de la médecine de soins et de pré­vention reste le lot des orga­ni­sa­tions huma­ni­taires… Et un cours, donné par un membre che­vronné d’Amnesty Inter­na­tional, est évidemment consacré au Droit Huma­ni­taire. Ainsi les étudiantes et les étudiants (il y a une forte majorité féminine, et c’est d’ailleurs celle-​​ci qui par­ticipe le plus, et de loin, aux dis­cus­sions) ont la chance de pouvoir côtoyer et tisser des liens avec des ora­teurs et ora­trices de premier plan : ancien pré­si­dents cha­ris­ma­tiques d’associations mon­dia­lement connues, ancien directeur de l’Institut de Veille Sani­taire, membre fon­dateur d’une asso­ciation ayant reçu le prix Nobel de la Paix, excusez du peu ! Et cet ensei­gnement dure depuis trois ans, avec assez peu de modi­fi­ca­tions d’une année à l’autre, liées essen­tiel­lement au fait que j’ai d’autres sujets inté­res­sants et d’autres ora­teurs de talents à intro­duire.

Alors évidemment qui dit ensei­gnement uni­ver­si­taire dit contrôle des connais­sances. Ce n’est pas un examen sélectif qui est proposé. Tout étudiant qui est sim­plement venu aux cours en ressort avec un bagage suf­fisant pour pouvoir passer l’examen avec succès. Ainsi, pour la session de juin de cette année (les copies ont été cor­rigées avant la polé­mique), 80 étudiants sur 85 sont admis. Il y avait quatre ques­tions : deux ques­tions courtes « tech­niques », sur quatre points chacune. Deux ques­tions longues, sur 6 points. La pre­mière : « Comment monter un projet huma­ni­taire » et la seconde : un cas pra­tique de droit huma­ni­taire tiré d’un rapport d’Amnesty Inter­na­tional et déjà utilisé pour l’enseignement dans les facultés de Droit. Cas pra­tique qui avait été pré­senté sous forme stric­tement iden­tique et discuté en cours, dans la plus grande sérénité. Les cas pra­tiques, appelés « cas cli­niques » sont lar­gement uti­lisés pour l’enseignement et les évalua­tions en médecine (comme pour l’examen final de fin des études médi­cales, le clas­sique « internat »). De même que les ques­tions à choix mul­tiples où d’ailleurs aucune des pro­po­si­tions pro­posées par le jury d’examen n’est néces­sai­rement exacte. L’avantage des cas pra­tiques par rapport aux Ques­tions à Choix Mul­tiples est qu’on demande à l’étudiant de dis­cuter chacune des réponses pos­sibles, ce qui lui donne l’occasion de montrer ses connais­sances et sa capacité d’analyse. Dans ce cas il ne s’agissait donc pas d’un QCM. Il était même précisé dans l’intitulé : « Question longue ».

Alors, que ce cas pra­tique, transmis par un étudiant anonyme (étudiant du cer­ti­ficat ou pas ?) au CRIF ait produit une réaction du même CRIF, rien de plus banal. Il y a long­temps que nom­breux sont ceux, notamment dans le milieu des médias, qui font abs­trac­tions de ses outrances, et ce sera bien mon attitude.

Par contre, qu’un pré­sident d’université, sans avoir étudié l’enseignement dis­pensé, sans avoir contacté l’enseignant res­pon­sable, sans infor­mation autre que celle du CRIF, se per­mette de s’adresser en urgence à la presse, pose un premier pro­blème. Et pour dire quoi ? Condamner un ensei­gnant, parler de devoir de réserve et d’atteinte à la laïcité, pro­vo­quant le rire de tous les étudiants en droit de France ! Son inter­vention est évidemment poli­tique, et s’il est un devoir de réserve, le pré­sident devrait sans doute montrer l’exemple ! Mon travail huma­ni­taire dans de nom­breux pays et depuis des décennies est connu. Mon travail à Gaza l’est aussi, ainsi que mon témoi­gnage, qui a fait l’objet de plu­sieurs livres. Le dernier en date, « Chro­niques de Gaza », est sorti il y a plus d’un an. Il a fait l’objet de plu­sieurs dizaines de confé­rences en France et à l’étranger, dans des locaux asso­ciatifs, des biblio­thèques, des mairies, des uni­ver­sités, des grandes écoles, sans pro­voquer le moindre incident ! Et cependant, il y a à peine quelques semaines, une confé­rence, annoncée publi­quement depuis plu­sieurs mois, devait avoir lieu un soir au lycée de Lannion (sous-​​ pré­fecture des Côtes d’Armor). La veille le recteur de l’académie de Rennes a interdit cette confé­rence au motif « qu’il s’agissait d’une période élec­torale » ! Je ne savais pas que Gaza était un enjeu élec­toral à Lannion ! J’ai envoyé au recteur mon livre et une lettre aimable, dont j’espère recevoir une réponse. On voit en tous cas que, faute de pouvoir s’attaquer à mes écrits, on s’attaque à la personne.

Cette affaire excessive soulève plu­sieurs ques­tions. La pre­mière est celle de la for­mation des res­pon­sables admi­nis­tratifs uni­ver­si­taires. Une for­mation minimum devrait sans doute être exigée dans les domaines de l’administration, de la gestion des res­sources humaines, de la com­mu­ni­cation et du droit. On ne peut être surpris de décla­ra­tions absurdes pro­venant d’une per­sonne, sur­ement talen­tueuse, qui a passé une grande partie de sa vie à rédiger une thèse de phy­sique sur « la théorie des avalanches » !

L’autre question sou­levée est celle du droit d’enseigner, inscrit dans la consti­tution fran­çaise, mais ceci est une autre affaire.


A lire : Communiqué de l’AURDIP sur les suites d’un examen de médecine humanitaire à l’Université Paris-Diderot