L’AURDIP adresse cette lettre à la Rectrice de l’académie de Dijon pour contester la suspension d’une enseignante ayant encadré une minute de silence en hommage aux enfants tués à Gaza par l’armée israélienne. L’Association estime cette décision infondée, juridiquement et moralement, et s’alarme du signal qu’elle envoie à la jeunesse.
Madame Mathilde Gollety
Rectrice de l’académie de Dijon
Madame la Rectrice,
L’Association des Universitaires pour le Respect du Droit International en Palestine (AURDIP) souhaite vous faire part de sa vive préoccupation, causée par votre décision de suspendre une enseignante des lycées Janot-Curie de Sens pour avoir encadré une minute de silence en mémoire, en particulier, des enfants palestiniens tués depuis un an. Interrogé par Radio France Bleu, le Rectorat a justifié sa décision en invoquant un « manquement à l’obligation de respect de neutralité ». Nous récusons cette justification tant sur un plan administratif que sur un plan moral.
Administrativement, tout d’abord. Si vous entendiez vous réclamer de « l’obligation de neutralité d’un agent public », l’accusation est hors de propos. Il aurait fallu, pour vous donner raison, que l’enseignante ait entrepris de « manifester ses convictions, qu’elles soient religieuses, philosophiques ou politiques, à l’égard des usagers et de ses collègues ». Mais il ne s’est rien passé de tel. Bien plus : les textes spécifient que « l’agent public doit traiter toutes les personnes de façon égale et respecter leur liberté de conscience et leur dignité ». C’est précisément ce que l’enseignante a fait en considérant ses élèves comme des sujets éthiques doués de réflexion et capables d’analyse, dont le choix d’exprimer pacifiquement leur solidarité avec de nombreuses victimes innocentes devait être respecté.
Si, en revanche, le porte-parole du Rectorat a confondu devoir de neutralité et devoir de réserve, il a contrevenu à la déclaration du Ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, publiée dans le JO Sénat du 13/02/2025, p. 606, selon laquelle « les enseignants ont […] la liberté pédagogique d’aborder le sort des victimes du conflit israélo-palestinien et notamment des otages français et des victimes du 7 octobre, pour leur rendre hommage afin d’entretenir leur mémoire, mais aussi pour réaffirmer l’attachement sans faille de la République aux valeurs démocratiques et à la paix ». À moins que « notamment » ne doive être lu comme « exclusivement », l’enseignante a donc agi de manière conforme à la recommandation officielle. Consacrer une minute de silence à des milliers d’enfants tués, ce n’est rien d’autre qu’affirmer son attachement aux valeurs de démocratie et de paix qui sont les nôtres et les vôtres, Madame la Rectrice.
Moralement, ensuite. Si, comme nous en sommes convaincus, vous ne voulez pas couvrir les dérives criminelles de la politique israélienne – qui sont documentées par toutes les instances internationales et reconnues jusque par l’ancien Premier ministre israélien Ehud Olmert – mais si c’est au contraire le souci des valeurs universelles qui vous meut, votre décision est désastreuse. La jeunesse française est de plus en plus révoltée par ce qui se passe à Gaza et par ce qu’elle perçoit (comment lui donner tort ?) comme une complicité de nos démocraties occidentales avec la politique israélienne. Votre réponse sans nuance à l’initiative d’une minute de silence – acte moral minimal en de telles circonstances – risque d’alimenter un désarroi dont la conséquence pourrait être, à terme, une dépolitisation pavant la voie au totalitarisme.
À ce jour, Madame la Rectrice, environ 15000 enfants ont été tués et 25000 enfants ont été blessés dans la bande de Gaza – soit un élève sur cinq de votre Académie. Nous avons la faiblesse de penser que ces quarante mille victimes méritent soixante secondes de recueillement.
Nous vous prions d’agréer, Madame la Rectrice, l’expression de nos sentiments distingués,
Association des Universitaires pour le Respect du Droit International en Palestine (AURDIP)