Lettre de l’AURDIP concernant la motion adoptée par le CA de l’ENS sur Gaza

Ivar Ekeland, président de l’AURDIP, a écrit au directeur de l’École Normale Supérieure de Paris et à la présidente du Conseil d’Administration pour exprimer sa satisfaction quant à l’adoption par le CA d’une motion sur Gaza. Cependant, il a également manifesté son inquiétude concernant la suppression, dans la version adoptée, de toute référence à l’ordonnance de la Cour Internationale de Justice du 26 janvier 2024, présente dans la motion initialement proposée par les élèves.

Madame Anne Bouverot                                                                         
Présidente du CA de l’ENS

Monsieur Frédéric Worms
Directeur de l’ENS


Madame la Présidente
Monsieur le Directeur

Nous avons pris connaissance de la motion 2024-11 votée lors du Conseil d’Administration du 4 juillet. En tant qu’ancien président du Conseil Scientifique de l’École, et président de l’Association des Universitaires pour le Respect du Droit International en Palestine, je ne peux que me réjouir que l’École ne se déclare pas indifférente à ce qui se passe depuis le 7 Octobre 2023 en Israël et dans les territoires occupés, et féliciter les élèves et les enseignants qui ont porté une motion en ce sens au Conseil. Ceci dit, la motion adoptée est très différente de la motion proposée, et cela suscite de ma part une certaine inquiétude.

Je m’étonne que le Conseil ait supprimé toute référence à l’ordonnance de la Cour Internationale de Justice en date du 26 Janvier 2024. Dans un domaine aussi chargé émotionnellement et historiquement que la création de l’État d’Israël et la colonisation des territoires palestiniens conquis en 1967, il est crucial d’avoir un langage commun, et le droit international est un des seuls dont nous disposions. La plus haute juridiction internationale a jugé que le risque de génocide était « plausible » à Gaza, et enjoint à Israël de prendre immédiatement des mesures conservatoires. La semaine dernière, le 19 juillet, elle a jugé que l’occupation des territoires palestiniens, en Cisjordanie, à Jérusalem-Est et à Gaza, était « illégale », et enjoint à Israël de s’en retirer. Qui plus est, elle a appelé tous les États à cesser de soutenir, directement ou indirectement, l’occupation des territoires palestiniens et le siège de Gaza. Citer ces jugements n’est pas prendre parti, au contraire, c’est rappeler les conditions minimales auxquelles une vie civilisée est possible sur cette planète. S’ils ne figurent pas dans la motion, ils n’en existent pas moins, ils créent une obligation erga omnes, et j’ose espérer que le futur groupe de travail que vous avez créé « pour définir des critères d’évaluation des partenariats académiques et économiques » en est conscient et en tiendra compte. Je me permets de souligner l’urgence de la situation : alors que ce groupe de travail n’a pas de calendrier défini, et que les condamnations internationales se multiplient, le nombre de morts à Gaza se compte en dizaine de milliers et la colonisation en Cisjordanie progresse à pas de géants.

Dans ce contexte, je m’interroge sur la référence faite dans la motion au projet « Global University College ». Renseignements pris auprès de l’Université d’Oslo, qui a abrité au début du mois de Juin une réunion d’organisation, il s’agit de répondre aux besoins des 110 millions de réfugiés dans le monde : 7 % d’entre eux ont accès à l’enseignement supérieur, et les Nations Unies souhaitent que ce chiffre soit porté à 15 % en 2030. Certains projets pilotes sont lancés, au Liban et en Ouganda, mais ils ne verront pas le jour avant 2026, et nulle part il n’est question de Gaza. Sans précisions supplémentaires, cette simple annonce paraît dilatoire.

Les événements actuels marqueront ce début de 21ème siècle, et je ne voudrais pas que l’ENS se retrouve du mauvais côté de l’histoire. Je vous serais donc très reconnaissant de m’éclairer sur ces deux points. Dans cette attente, je vous prie d’agréer l’expression de mes sentiments distingués et les meilleurs

(s) Ivar Ekeland
Ancien Président du Conseil Scientifique de l’ENS
Président de l’AURDIP