Lettre de l’AURDIP à Monsieur Moscovici Ministre de l’Economie et des Finances

Monsieur Pierre Moscovici Ministre de l’Economie et des Finances Monsieur le Ministre, Nous vous adressons en copie jointe le rapport présenté le 10 septembre 2013 à l’Assemblée générale des Nations….

Monsieur Pierre Moscovici

Ministre de l’Economie et des Finances

Monsieur le Ministre,

Nous vous adressons en copie jointe le rapport présenté le 10 septembre 2013 à l’Assemblée générale des Nations Unies par Richard Falk, le rapporteur spécial sur la Situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967 (A/68/376), dont vous avez sans doute déjà eu connaissance.

En résumé, ce rapport s’intéresse à l’implication des entreprises dans la colonisation israélienne en Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est. Il s’intéresse plus particulièrement aux activités de la société Dexia Israël Bank Limited (Dexia Israël). En dépit des promesses de désengagement faites en 2008, 2010 puis à nouveau en 2012 tant par l’entreprise que par les pouvoirs publics français, le rapport relève que cette société a continué d’accorder des prêts aux fins de la construction et de l’expansion des colonies israéliennes, le total des encours actuels s’élevant à environ 35 millions d’euros. Par ailleurs, il ressort du rapport que les activités de Dexia Israël au profit des colonies se poursuivent sous d’autres formes : réalisation d’audits financiers à Elkanah et Karnai Shomron, fourniture des services financiers pour faciliter le développement des colonies, ouverture et gestion de comptes à des collectivités locales situées à Ariel et Kedumim, transferts de fonds de la loterie nationale israélienne (Mifal Hapais) à des personnes morales situées dans les colonies, gestion de comptes bancaires de particuliers vivant dans les colonies, attribution de prêts hypothécaires accordés à des acheteurs de logement dans les colonies (§34 à 38 du rapport).

Ces informations ne sont hélas guère surprenantes. Elles sont, pour certaines d’entre elles, publiques grâce notamment au travail de l’ONG belge Intal et de l’ONG israélienne Who Profits. Elles ont été relayées par la presse à plusieurs reprises. Elles s’ajoutent à celles contenues dans un précédent rapport sur la Situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967 (A/67/379 du 19 septembre 2012 §52 à 54) qui relève des prêts accordés par Dexia Israël au profit des colonies d’Alfei Menasheh, d’Elkana, de Beit-El, de Beit Aryeh, de Giva’at Ze’ev et de Kedumim et des activités diverses de Dexia Israël dans les colonies.

Pour autant, la situation particulière de Dexia Israël a dû attirer l’attention de vos services. Cette société est possédée à 65% par Dexia Crédit Local, elle-même propriété à 100% de Dexia SA, une société de droit belge. Or, entre 2009 et 2012, le capital de Dexia SA était possédé à 5,7% par l’Etat français (via la SPPE) et à 17,6% par la Caisse des dépôts et consignations. Le rôle joué par l’Etat français n’y a jamais été marginal et ce d’autant plus que la Caisse des dépôts et consignations est une personne publique soumise à sa tutelle. Depuis 2012, le capital de Dexia SA est détenu à 44,40% par l’Etat français (via la SPPE) et à 1,11% par la Caisse des dépôts et consignations. Le rôle joué par l’Etat français s’y est donc accru, étant observé que l’influence de l’Etat français au sein de la société a toujours été supérieure à ce que révèlent ces chiffres, compte tenu du rôle régulateur que joue l’Etat, de l’importance des encours financiers que Dexia SA possède en France auprès des collectivités publiques et du nombre de salariés français qui y travaillent. L’Etat français disposait donc tout à fait des moyens d’influencer les décisions prises par Dexia SA et en dispose plus que jamais.

Comme vous le savez, selon les termes de l’Avis sur les conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé rendu le 9 juillet 2004 par la Cour internationale de Justice de La Haye, les colonies israéliennes en Palestine sont illégales au regard du droit international. Cette position de la Cour s’appuie notamment sur de nombreuses résolutions du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale des Nations Unies et fait consensus parmi les juristes.

Le rapport du 10 septembre 2013 des Nations Unies rappelle à juste titre (§39 à 42) que les transactions de Dexia Israël avec les colonies israéliennes, qui contribuent à leur construction, leurs extension ou leur maintien, font du groupe Dexia une entreprise commerciale impliquée dans la violation du droit international humanitaire (art. 49§6 de la IVème Convention de Genève) et du droit international des droits de l’homme (pactes des Nations Unies de 1966 sur les droits fondamentaux). Le rapport souligne également (§43) que ces transactions se font en violation du droit pénal international et sont susceptibles de constituer un acte de complicité de crime de guerre. En effet, la politique israélienne de colonisation constitue un crime de guerre (art. 49§6 de la IVème Convention de Genève ; art. 85§4 (a) du Protocole I additionnel ; art. 8, 2.b.viii, du Statut de la Cour pénale internationale). Or, toute aide ou assistance, même par la simple fourniture de moyens – y compris financiers -, à cette politique constitue un acte de complicité de crime de guerre (art. 25§ 3 et 30 du Statut de la Cour pénale internationale ; Tribunal spécial pour la Sierra Leone, Jugements des 16 mars 2006, §40 et 26 avril 2011, §149). Le raisonnement est tout à fait transposable en droit français, depuis que l’article 461-26 du code pénal, issu de la loi n° 2010-930 du 9 août 2010 portant adaptation du droit pénal à l’institution de la Cour pénale internationale, fait de la colonisation un crime de guerre punissable de la réclusion criminelle à perpétuité.

Conformément aux préconisations du rapport (§44) qui reconnait une responsabilité à l’Etat français dans cette situation, faute d’avoir agi pour faire respecter le droit international, nous vous invitons à exercer tous les moyens d’influence dont vous disposez au sein de Dexia SA pour faire cesser immédiatement les prêts – y compris les prêts en cours – de Dexia Israël aux colons et aux colonies et toutes ses activités se trouvant dans les colonies. Dans l’hypothèse probable où cela ne serait pas possible, ce que semble indiquer le non-respect des différentes promesses faites tant par Dexia SA que par les pouvoirs publics français depuis 2008, nous vous invitons à exercer ces mêmes moyens d’influence pour faire vendre ou céder dans les plus brefs délais Dexia Israël. En agissant ainsi, vous vous conformerez au droit international et réduirez le risque judiciaire créé par cette situation illégale : le risque que la responsabilité pénale de Dexia SA ou de ses dirigeants soit engagée (§43) et le risque que la responsabilité civile de Dexia SA, de ses dirigeants ou de l’Etat français soit engagée (§45 à 47). Par cette décision, Dexia SA suivra l’exemple montré par les banques et fonds de pension ou d’investissements européens (en Norvège, en Suède, aux Pays-Bas, au Danemark, au Luxembourg etc.) qui ont décidé de retirer leurs investissements des banques israéliennes, dans la mesure où nombre de ces dernières se sont révélées incapables de garantir qu’aucune de leurs activités n’aidera à la construction, au développement et au maintien des colonies.

Au-delà du cas particulier du groupe Dexia, nous attirons votre attention sur le fait que l’adoption de lignes directrices et recommandations par votre ministère à l’égard des entreprises françaises ayant des activités en Israël aurait probablement permis d’éviter ce genre de situations illégales et embarrassantes tant pour l’Etat français que pour les entreprises françaises. Ces lignes directrices et recommandations auraient du être adoptées dans la foulée de l’Avis de 2004 de la Cour internationale de justice dans le cadre de l’obligation pesant sur les Etats et rappelée par la Cour « de ne pas prêter aide et assistance au maintien de la situation » illégale créée par les colonies (§159 de l’Avis). Il n’est toutefois pas trop tard. A l’image de ce qui a été fait en Grande-Bretagne, nous comptons sur vous pour faire adopter ces lignes directrices dans les plus brefs délais afin de pousser les entreprises françaises à se conformer au droit international. Il est d’ailleurs aussi dans l’intérêt direct de nos entreprises de ne pas être exposées au risque judiciaire évoqué et à la critique légitime de la presse, des ONG et des Nations Unies sur cet aspect. Nous vous remercions par avance des votre réponse s’agissant des diligences de l’Etat en tant qu’actionnaire de Dexia SA et sommes à votre disposition, si besoin est, pour travailler à l’adoption rapide des lignes directrices et recommandations applicables aux entreprises françaises.

Ivar Ekeland

Président de l’AURDIP

Ancien Président de l’Université Paris-Dauphine

Ancien Président du Conseil Scientifique de l’École Normale Supérieure