Les manœuvres diffamatoires ciblant les militants pour la Palestine visent maintenant leur vie privée

Les militants de la solidarité avec la Palestine dans l’Indiana sont soumis à une nouvelle sorte de harcèlement en ligne. Depuis mars, ce sont environ deux douzaines de sites qui….

Les militants de la solidarité avec la Palestine dans l’Indiana sont soumis à une nouvelle sorte de harcèlement en ligne.

Depuis mars, ce sont environ deux douzaines de sites qui se sont créées en prenant pour cible au moins trois organisateurs de l’organisation Étudiants pour la justice en Palestine (EJP) et un professeur agissant au titre de conseiller des organisations des deux universités de l’État d’Indiana.

Les sites contiennent des allégations inventées de toutes pièces de harcèlement sexuel, comportement « immoral » et tendances terroristes. Des allégations qui semblent s’intégrer dans une tentative parfaitement coordonnée d’entacher les réputations des personnes qui se prononcent en faveur des droits des Palestiniens.

Certaines de ces personnes prises pour cibles envisagent une action en justice contre les créateurs des sites.

Contrairement aux tentatives passées pour salir les réputations des militants pour la Palestine, ces sites ne se concentrent pas exclusivement sur le militantisme de leurs cibles.

Par exemple, un s’en prend à une étudiante musulmane pour son comportement prétendument indécent. Un autre accuse un professeur de harcèlement sexuel. Les sites n’apportent aucune preuve à l’appui de leurs allégations.

Analysés globalement, il est évident que ces sites sont gérés par une seule et même personne, ou un même groupe de personnes.

Il est tout aussi évident que la même personne qui a créé ces sites qui attaquent les militants pour la Palestine peut actuellement être en train de planifier la création de nouveaux sites qui se prétendront pro-palestiniens.

De tels sites pourront ressembler à celui de Sawtona, un groupe fantoche qui prétend représenter une opposition palestinienne au mouvement de boycott, désinvestissement et sanctions (BDS).

Sawtona a fait surface à l’université de l’Indiana–université Purdue d’Indianapolis (IUPUI), la même semaine où était créé le premier de ces sites.

En brouillant leurs pistes

Le premier site semble avoir été créé le 7 mars, ciblant Sarah, une membre active d’EJP à l’université Purdue à West Lafayette. Utilisant la plate-forme de blogs LiveJournal, l’auteur poste un message visant à marquer Sarah comme « incroyante » alors qu’elle se fait passer pour une musulmane.

The Electronic Intifada a changé les noms des étudiants ciblés par ces sites.

Un autre message, prétendument écrit par un « musulman fervent », affirme avoir vu Sarah ne pas porter son foulard lors d’une fête, et boire « avec deux types » avant de « faire affaire » avec l’un d’eux.

Sarah dit qu’elle a découvert le site près de trois mois après sa création, quand elle et un ami se cherchaient sur Google pour s’amuser.

« Quand j’ai vu le premier, j’ai juste rigolé » se souvient-elle. « Mais ensuite j’ai découvert qu’il y en avait six ».

Sarah évoque une ambiance discrète à l’université Purdue qui entoure l’organisation de la solidarité avec la Palestine. Aucune hostilité majeure envers son groupe, ni de forte mobilisation en sa faveur. Elle croit qu’elle est devenue une cible seulement lorsqu’elle s’est impliquée avec les Étudiants pour la justice en Palestine à l’IUPUI, qui se trouve à environ une heure de voiture de Purdue.

En mars, Sarah a travaillé avec Lina, une membre de l’EJP à l’IUPUI, pour préparer une conférence régionale prévue pour le mois suivant.

Plus tard ce même mois, deux autres sites se sont créés salissant Sarah pour prétendument mener un « mode de vie non musulman », et une foison d’autres sites s’en prennent à une autre cible : Lina.

Ces sites décrivent Lina comme une « extrémiste islamique » inavouée, qui prône en privé « l’anéantissement des Israéliens »

La décrivant comme soutenant la violence, un site prétend que Lina correspond au profil d’un « attaquant en puissance » – un langage manifestement destiné à attirer sur elle une enquête des services de répression et à dissuader tout étudiant de s’exprimer à un moment d’une tension accrue due au terrorisme et à des fusillades sur les campus.

Deux, qui se prétendent émaner d’étudiants de l’IUPUI, se disent sympathisants de la cause palestinienne mais penser que Lina est un chef de file inacceptable.

En avril, deux autres sites ciblant Lina ont été créés. Bien qu’ils utilisent son nom dans leurs adresses, ils sont, pour l’instant, toujours vides.

Puis, en moins de dix minutes le 18 avril, trois sites sont créés avec trois angles distincts, mais avec un seul objectif : ternir la réputation d’un professeur de l’université Purdue, Bill Mullen.

Des accusations anonymes

Mullen est professeur d’Études américaines et il met l’accent sur un travail de littérature de classe et une théorie critique de la race. Il est corédacteur de « Contre l’apartheid : le bien fondé du boycott des universités israéliennes », qui a été publié l’an dernier.

Tout en n’enseignant pas sur la Palestine, il remplit la fonction de conseiller de l’EJP à Purdue depuis 2010. Il dit avoir donné un petit nombre de débats sur la question sur des campus, mais que son engagement premier est d’être un conseiller pour les organisateurs étudiants.

Mullen est également l’un des organisateurs de la campagne US pour le boycott académique et culturel d’Israël.

Comme Sarah, Mullen dit qu’il y avait un environnement relativement cordial à Purdue autour de l’EJP.

L’un des sites ciblant Mullen se présente comme une plate-forme d’étudiantes qui veulent « alerter les autres » à propos d’antécédents supposés de Mullen en matière de harcèlement sexuel.

L’auteure, anonyme, adopte le personnage d’une femme qui se serait mise sur Internet parce qu’elle ne veut pas « se trouver mêlée à une quelconque enquête administrative, qui pourrait avoir des répercussions inconnues ».

Un autre site présente le plaidoyer de justice sociale de Mullen comme le produit d’un « privilège de Blanc » et d’une « culpabilité de Blanc ». Bien que l’auteur prétende savoir comme Mullen conduit ses cours, il ne va pas jusqu’à s’en prétendre explicitement un étudiant.

Sur un troisième site, l’auteur se présente comme ayant un lien avec l’IUPUI mais en précisant qu’il n’est pas un étudiant de Mullen. Il prétend n’avoir découvert Mullen et son épouse, Tithi Bhattacharya, professeure d’histoire à Perdue, qu’après être tombé sur un article qu’ils ont écrit en commun qui critique Mitch Daniels, le président de Purdue et ancien gouverneur républicain de l’Indiana.

« Les professeurs ont l’obligation de maintenir une bonne image de notre université, une image gagnée par l’excellence » déclare l’auteur du site.

Un autre message sur ce site compare Mullen à Donald Trump, et il contient également un court message biographique sur Bhattacharya, qui affirme qu’elle a utilisé le terme de « zio-nazi » (mélange sioniste+nazy), une affirmation que celle-ci nie énergiquement avoir tenue, et pour laquelle le message n’apporte aucune preuve.

« Une souillure calculée »

Bien que le réseau des sites qui salissent Mullen et les étudiants semble avoir consommé beaucoup du temps et de l’argent de ses créateurs, rien n’indique que ces sites auraient été diffusés, partagés ou promus.

« Ce qui donne la chair de poule, c’est que ce réseau est là, simplement là. Je n’arrive pas à croire que ça ne finira pas quand même par émerger dans ma vie. Je ne sais pas où, ni quand », a dit Mullen à The Electronic Intifada.

Mullen et Bhattacharya ont découvert ces sites début mai, quand Bhattacharya faisait le tri dans ses messages Facebook et qu’elle appuya sur supprimer, juste alors qu’elle lisait le début du message, « une lettre ouverte à Tithi Mhattacharya ».

Elle n’a pas pu récupérer le message, mais elle a fait une recherche sur Internet à partir de ce qu’elle se souvenait. Et la « lettre ouverte » se trouvait aussi sur le même site qui accusait Mullen de harcèlement sexuel. « Tithi », déclare la lettre, « je vous en conjure, menez une enquête sur votre époux avant qu’il ne brouille les pistes ».

L’un des sites qui dénaturent le travail politique de Mullen prétend que les allégations de l’inconduite sexuelle de Mullen font l’objet d’une enquête.

Sauf qu’aucune enquête sur Mullen n’a été ouverte, même après les multiples appels téléphoniques d’une femme anonyme au bureau du doyen de l’université Purdue, où elle accuse Mullen de manifester un antisémitisme dans la salle de classe, et en faisant croire qu’il avait mis mal à l’aise des étudiantes.

Mullen dit avoir immédiatement signalé les sites qui l’accusaient de harcèlement sexuel au doyen de Purdue, David Reingold, lequel lui a déclaré qu’aucune plainte officielle pour harcèlement sexuel n’avait été déposée contre lui.

L’université n’a pas répondu aux demandes spécifiques de The Electronic Intifada sur la question, sauf pour dire que « l’université Purdue se consacre à une enquête libre et ouverte sur toutes les questions et qu’elle cherche à permettre à tous les membres de la communauté universitaire la plus grande latitude possible pour s’exprimer, écrire, écouter, contester et apprendre ».

Les procédures universitaires pour résoudre les plaintes de discrimination ou de harcèlement indiquent clairement qu’une personne faisant l’objet d’une plainte doit être informée de l’existence d’une telle enquête et avoir la possibilité d’y répondre. Mullen dit qu’il n’a jamais reçu de notification d’une enquête d’aucune sorte.

« Les histoires inventées de harcèlement sexuel contre moi sont fausses, et sont une souillure calculée destinée à réduire au silence mon soutien aux droits civils des Palestiniens » dit Mullen. « Elles démontrent que ces harceleurs anonymes pro-Israël ont besoin de recourir à de telles attaques personnelles calomnieuses, car ils ne peuvent pas nier, ni réfuter, les réalités de l’apartheid et de l’occupation israéliens ».

Reliés entre eux

Les trois sites concernant Mullen ont été acquis et créés à travers le même registre et le même fournisseur d’hébergement. Tous les trois partagent une même adresse IP. L’information disponible pour le public sur ceux qui ont enregistré les sites est la même pour tous, même si elle est probablement inexacte.

Les demandes de renseignements envoyées aux adresses e-mails indiquées pour les inscrits sur les domaines sont restées sans réponse, tandis que les numéros de téléphones répertoriés, généralement avec des indicatifs de pays autres que les États-Unis, sont restés inopérants.

Et alors que les sites ont été créés simultanément, ils contiennent des hyperliens les reliant entre eux.

Certains des deux douzaines de sites examinés par The Electronic Intifada utilisent des services masquant qui, moyennant une certaine somme, protégent la véritable identité de l’inscrit – l’équivalent en ligne de l’utilisation d’une boîte postale à la place de l’adresse d’un domicile.

Les cinq sites ciblant Lina et Mullen ont été créés en utilisant le même registre et la même société d’hébergement, ce qui indique clairement que c’est la même personne, ou le même groupe de personnes, qui se cache derrière.

Tous les sites ciblant un étudiant ont la même adresse IP, à l’instar de ceux qui ciblent Bill Mullen. Les adresses IP sont également pratiquement identiques pour chacun d’eux, sauf pour les trois derniers chiffres, ce qui indique qu’ils ont été acquis simultanément.

Au moins trois autres sites, avec la même adresse IP que les sites ciblant Mullen, ont été enregistrés. Ils sont actuellement vides, mais leurs noms de domaine – des variantes de la Coalition interconfessionnelle pour la Palestine et de la Coalition pour la Palestine – laissent penser qu’ils seront utilisés pour porter, de façon malhonnête, les couleurs de la solidarité avec la Palestine, ou se faisant passer pour des Palestiniens ou de leurs sympathisants, comme le fait Sawtona.

The Electronic Intifada a également découvert un lot de cinq sites ciblant un troisième militant étudiant à l’université Purdue.

Entre mars et juin, au total, ce sont neuf sites attaquant Mullen qui sont apparus, certains sur des plates-formes telles que Tumbir, WordPress, Weebly, Storify et LiveJournal.

Les neufs contienent des liens les uns vers les autres. Des modifications mineures mais éloquentes ont été faites sur le site accusant Mullen de harcèlement sexuel, comme par enchantement juste après ces mêmes modifications sur les autres sites.

Ces transformations, documentées par un service de détection des modifications sur les sites, nous fournissent une preuve supplémentaire que c’est la même personne ou le même groupe qui gère les sites.

Trois « critiques » ont également été postées sur le site Rate My Professor (Jugez mon professeur) en avril et mai, portant les mêmes accusations que les sites. Les critiques émanent soi-disant d’étudiants affirmant avoir suivi un cours d’Études américaines de Mullen.

Une prétend que Mullen a mis mal à l’aise une étudiante, en « se tenant trop près de moi ou en me regardant pendant trop longtemps ». Les deux autres affirment que Mullen endoctrine les étudiants dans un culte « anti-américain » et qu’il ne tolère aucune opinion dissidente.

Mais, suite à la plainte déposée par Mullen et son avocat, Rate My Professor a supprimé ces messages. Mullen a produit des évaluations montrant qu’aucune étudiante n’avait exprimé une telle frustration ou sensation de gêne concernant ses cours.

« Je vois cela comme la justification que Rate My Professor reconnaît l’illégitimité des critiques », a dit Mullen à The Electronic Intifada. « Il n’existe aucune corrélation entre mon expérience en enseignement, ou mes évaluations en enseignement, et ce qu’affirment ces sites ».

« Mes évaluations sont extraordinairement bonnes, elles me donnent des notes élevées pour exprimer des opinions variées et une diversité de cours » ajoute-t-il. « Ma vie comme militant est distincte de ma présentation en salle de cours ».

Sombres cabales et sales combines

Si insidieuse que soit cette campagne, capable d’infliger des dommages sur la vie privée des personnes, elle n’en signale pas moins que des fondements sont prêts à s’effondrer sur lesquels les défenseurs fidèles d’Israël se reposent depuis si longtemps.

Traditionnellement, les attaques contre les militants pour la Palestine se fondent sur l’hypothèse qu’il suffit d’élever des critiques contre quiconque se prononce contre Israël pour nuire à sa réputation.

L’année dernière, par exemple, un site nommé Canary Mission est apparu pour ternir publiquement les militants qu’il décrit comme anti-Israël.

Lié au démagogue d’extrême droite, pro-Israël et antimusulman, Daniel Pipes, et à d’autres organisations et particuliers pro-Israël, l’angle politique de Canary Mission est direct, et son programme transparent.

En juillet, un nouveau site est apparu contenant des images d’étudiants et professeurs engagés dans le militantisme de solidarité avec la Palestine à l’IUPUI. Les accusant de « propager la haine » et d’appeler à la violence contre les juifs, le site affirme que la source de son information est Canary Mission.

Bien que The Electronic Intifada n’ait trouvé aucun lien entre ces nouveaux sites et le gouvernement israélien, la campagne en Indiana cadre parfaitement avec les efforts des dirigeants d’Israël pour contrecarrer le mouvement de solidarité avec la Palestine.

En juin, le ministre de la Sécurité publique d’Israël, Gilad Erdan, qui dirige la campagne du gouvernement contre le mouvement de boycott, désinvestissement et sanctions, a commencé à prendre les candidatures pour la direction d’une nouvelle « unité de ternissement ».

Un rédacteur du quotidien Haaretz de Tel Aviv l’a qualifiée d’opération « sales combines ».

Agissant de concert avec les services de renseignements israéliens, le ministère d’Erdan s’est engagé dans ce qu’un analyste israélien chevronné appelle de « sombres cabales ».

Des sombres cabales qui pourraient comprendre des campagnes de diffamations, de harcèlements et de menaces contre la vie des militants, aussi bien que porter atteinte et violer leur vie privée, selon cet analyste.

Un groupe de citoyens israéliens a récemment déposé une demande officielle d’informations pour tenter d’obliger le gouvernement israélien à révéler tout financement à des groupes ou particuliers étrangers qui pourraient aider dans les attaques contre les militants de la solidarité Palestine.

Des procès

Mullen et d’autres personnes ciblées travaillent actuellement avec deux avocats pour déposer une plainte en diffamation contre les créateurs anonymes des sites.

« Ces plaintes seront déposées spécifiquement contre les pourvoyeurs des mensonges diffamatoires et des souillures à mon encontre, mais aussi en solidarité avec les autres défenseurs, innombrables, des droits humains des Palestiniens qui ont fait l’objet de fausses accusations, harcèlements, et mêmes de tentatives de les mettre sur liste noire » dit Mullen.

Pour l’avocat de Mullen, basé à Indianapolis, Mark Sniderman, le site qui allègue le harcèlement sexuel satisfaisait aux conditions de base permettant un procès en diffamation.

« Les sites ne diffèrent pas des autres publications » a déclaré Sniderman à The Electronic Intifada. « Les gens disposent d’un large éventail de droits mais les lois relatives à la diffamation exprimée et celles à la diffamation écrite s’appliquent toujours », dit-il, notant qu’il existe des variations d’un État à l’autre.

Pour l’Indiana, pour qu’une publication soit qualifiée de diffamatoire, elle doit avoir été créée avec méchanceté et avoir causé un préjudice à sa suite.

La fausse déclaration d’inconduite sexuelle ou de conduite criminelle est considérée diffamatoire de par sa nature même.

Sniderman indique que le seul moyen de se défendre contre une poursuite en diffamation est de prouver que l’allégation est exacte.

Dans le cas présent, où les intimés sont anonymes, le procès permettra à Mullen d’assigner l’information à partir des sociétés Internet hébergeant ladite information.

Cela pourrait potentiellement conduire à démasquer ceux qui se cachent derrière les sites.