Le père de la fillette palestinienne qui a giflé un soldat israélien dans une vidéo virale : « Elle était en colère parce qu’un parent à elle avait reçu une balle dans la tête »

Des entretiens avec des habitants de Nab Saleh montrent pourquoi Ahed Tamimi, 16 ans, se méfiait de l’intrusion de l’armée israélienne dans la cour de sa maison.

Vendredi, un jeune Palestinien de 15 ans venait d’être touché par une balle d’acier enrobée de caoutchouc tirée par un soldat israélien, dans le village de Nabi Saleh en Cisjordanie, et une ambulance l’emmenait vers un hôpital palestinien. C’est alors que des soldats ont fait irruption dans la cour de la maison de Bassem et Nariman Tamimi, des parents éloignés du garçon, Mohammed Tamimi.

Leur fille Ahed et son amie ont été filmées alors qu’elles étaient en train de donner un coup léger à deux soldats, les contraignant à quitter leur cour. Mardi, Ahed et Nariman ont été arrêtées. Bassem a déclaré à Haaretz que ce matin-là, sa fille, qui aura 17 ans en janvier, était en colère parce que Mohammed avait été visé et touché par une balle, et que les habitants du village ne savaient pas s’il allait survivre.

Des sources militaires questionnées au sujet du tir ont dit qu’elles étaient au courant qu’un Palestinien avait été blessé.

Le vendredi matin qui précédait, des soldats s’étaient postés dans une structure proche d’un pavillon inhabité sur une colline au nord de la maison d’Ahed. De cet endroit, ils ont fait feu sur des lanceurs de pierres pour les disperser. Le pavillon et la structure étaient entourés d’un haut mur, avec une échelle fixée à ce mur.

Un témoin oculaire a dit à Haaretz que Mohammed Tamimi était monté à cette échelle. Et qu’au moment où sa tête était arrivée en haut du mur, il avait été visé et touché, et qu’il était retombé avec l’échelle, saignant abondamment. Il aurait été abattu à seulement quelques mètres de distance.

En fin de semaine, il a subi une opération chirurgicale compliquée ; les médecins ont extrait la balle de son crâne et ont stabilisé son état. Il a été mis dans un coma artificiel jusqu’au lundi matin, où les médecins l’ont réveillé ; il a dit quelques mots à ses parents. Puis, il a été remis sous calmants.

Le porte-parole des Forces de défense d’Israël a déclaré à des journalistes que le vendredi matin, « une agitation violente s’était développée près du village de Nabi Saleh, impliquant environ 200 Palestiniens qui brûlaient des pneus et lançaient des pierres sur les forces des FDI. Les forces ont répondu avec des moyens anti-émeute ».

Un témoin oculaire a dit à Haaretz que des jeunes hommes avaient lancé des pierres sur la route et sur les soldats à plusieurs endroits, et que les soldats avaient peu à peu pénétré dans le village, tirant sur les jeunes et lançant des grenades lacrymogènes entre les maisons. Deux habitants de Nabi Saleh ont déclaré que les soldats avaient pénétré dans des cours, qu’ils y avaient monté des embuscades et tiré sur eux.

« Nous étions en danger des deux côtés », a dit un habitant plus âgé. « D’un côté, les lacrymogènes et les fusillades, et de l’autre, les pierres que les jeunes lançaient sur les soldats dans nos cours ».

L’homme et une autre personne de Nabi Saleh, une femme, ont dit qu’ils pensaient que c’était pour cela qu’Ahed et ses amis avaient insisté pour faire sortir les soldats de leur cour. Bassem, le père d’Ahed, avait dit qu’il y avait une femme âgée, paralysée, qui vivait dans la maison voisine et que sa fille ne voulait pas que les soldats tirent sur elle.

« L’horloge de l’occupation »

Pendant la confrontation d’Ahed avec les soldats, Bassem se rendait chez un parent voisin quand, dit-il, des gaz lacrymogènes ont été tirés, « nous emprisonnant dans la maison ». De sorte qu’il n’a pas pu voir ce qu’il s’est passé.

« Quelqu’un du village a filmé l’incident avec Ahed et nous avons décidé de le publier sur internet » dit-il. « Nous savions que c’était dangereux car ils pouvaient l’utiliser contre nous, mais nous avons pensé que c’était important pour le peuple palestinien et pour d’autres de voir un exemple de la résistance contre les soldats ».

Bassem s’est aussi déclaré surpris par l’ampleur de l’ « incitation », comme il l’appelait, dans les médias israéliens et sur les médias sociaux, qui a été éclenchée par cette publication. Mardi, il a dit aux journalistes venus chez lui que cette incitation était la cause directe de l’arrestation de sa fille.

« Nous nous attendions à ce qu’ils viennent et l’arrêtent » a-t-il indiqué à Haaretz. « Mais dans la nuit (de lundi) nous sommes allés nous coucher comme d’habitude, parce que nous ne voulons pas subordonner nos horloges biologiques à l’horloge de l’occupation ».

Bassem a dit qu’entre 3 h et 4 h du matin, quelqu’un leur a téléphoné pour signaler que des soldats étaient entrés dans le village. Quelques minutes plus tard, ils entendaient des grands coups dans leur porte et des appels en arabe pour qu’ils ouvrent. Des grenades lacrymogènes ont été lancées sur les portes des maisons voisines.

Plus tard, Bassem a découvert qu’une bombe lacrymogène avait brisé l’une de leurs fenêtres. Nariman est allé réveiller les enfants et Bassem a ouvert la porte. Il a dit que des soldats, des hommes et des femmes, et des agents de la Police des frontières étaient entrés dans la maison, montrant plus d’agressivité que d’habitude, et qu’ils l’avaient repoussé. Un des enfants a affirmé qu’ils étaient 15 soldats et policiers, et qu’ils avaient effectué une fouille, vidant les placards.

Les soldats ne leur ont pas permis de filmer la fouille, et ils ont déclaré qu’ils étaient venus arrêter Ahed. Ils n’ont pas laissé sa mère aller avec elle dans une pièce pour qu’elle s’habille, ils ont confisqué tous les téléphones portables, ordinateurs et appareils photos de la maison.

Quelques heures plus tard, Nariman a dû se rendre au poste de police Binyamin, qui se trouve sur la route qui conduit à la colonie d’Adam, pour apprendre ce qu’il s’était passé avec Ahed. Pendant l’entretien de Bassem avec Haaretz le mardi midi, il a reçu un appel de l’avocat de Nariman, Gaby Lasky, l’informant que son épouse avait été emmenée pour interrogatoire et qu’elle était arrêtée. Plus tard, la police israélienne en Cisjordanie a fait savoir qu’elle était soupçonnée d’incitation et d’agression.

La détention d’Ahed a été prolongée de quatre jours et mercredi, un juge militaire a rejeté l’appel demandant sa libération. De plus, la jeune femme qui était avec Ahed lors de la confrontation avec les soldats, Nur Naji Tamimi, a été enlevée à son domicile et, elle aussi, arrêtée.

Une terre perdue au profit d’une colonie de peuplement

Au fil des années, une grande partie de la terre de Nabi Saleh a été attribuée à la colonie de Halamish, laquelle s’est agrandie et a ajouté de nombreuses maisons. Dans le même temps, l’Administration civile n’autorisait aucune construction palestinienne dans la plus grande partie du village parce qu’il est situé en Zone C, zone placée sous le contrôle total d’Israël.

En 2009, alors qu’Ahed avait 8 ans, les habitants de Nabi Saleh ont commencé à manifester contre la prise de contrôle par les colons de Halamish de la source d’Ein Qaws. Cette source est située sur une terre privée qui appartient à Nabi Saleh et à un autre village, Deir Nizam. L’an dernier, les colons se sont emparés d’une autre petite source sur la terre du village. Durant l’été, après que des membres de la famille Salomon ont été tués, à Halamish, le tronçon de la route reliant Nabi Saleh aux villages du sud a été fermé, et les habitants ont dû obtenir un permis pour pouvoir accéder à leur terre.

Ces manifestations ont attiré l’attention du monde entier sur le village, sur la famille Tamimi, et sur les méthodes des FDI pour la répression des manifestations. Deux habitants du village ont été tués par les balles des FDI durant ces manifestations.

L’un d’eux était le frère de Nariman, Rushdi, un policier palestinien, qui n’avait jeté aucune pierre. Nariman a été arrêtée trois fois par les FDI, et il y a quatre ans, un soldat lui a tiré dans le pied avec une arme à air comprimé, lui infligeant une grave blessure. Au cours de la dernière décennie, Bassem a été arrêté deux fois – et condamné à des peines de prison de 18 et trois mois.

En avril, les villageois ont décidé d’arrêter les manifestations après qu’un jeune homme de la ville de Salfit a été abattu et tué alors qu’il participait à une manifestation de solidarité avec les prisonniers en grève de la faim. Bassem a dit encore que l’armée continuait de venir dans le village et de provoquer ses habitants, déclenchant des affrontements. Ces dernières semaines, les gens de Nabi Salah ont manifesté contre l’annonce du Président Donald Trump pour la reconnaissance des États-Unis de Jérusalem en tant que capitale d’Israël.