La journaliste a été retrouvée morte sur le toit-terrasse de son appartement marseillais. Elle laisse un héritage sonore précieux et humain.

Cela fait déjà plus d’une semaine que la mort de Marine Vlahovic a été rendue publique en des termes bien mystérieux: «Marine Vlahovic, 39 ans, journaliste et documentaliste, a été retrouvée morte sur le toit-terrasse de son appartement à Marseille. Une enquête a été ouverte.» Ancienne correspondante pour des médias francophones à Ramallah, Marine Vlahovic s’était installée à Marseille depuis quatre ans, épuisée par la cadence folle de l’info. Elle s’était tournée vers le podcast et les formats documentaires longs, principalement pour Arte Radio.
Récompensé du prix du meilleur podcast documentaire au Paris podcast festival 2021 et sélectionné parmi les dix meilleurs podcasts de 2021 de Slate, Carnets de correspondante restera sans doute son travail le plus connu. Elle y racontait son quotidien de correspondante en Cisjordanie, à grand renfort d’enregistrements personnels qui dévoilaient l’envers du décor de la fabrique de l’information.
On y découvrait le rythme effréné d’une journaliste précaire, éloignée des rédactions parisiennes. Les heures passées dans les embouteillages causés par des checkpoints. Les journées sans manger à enchaîner les reportages et les coups de fil. La frustration de voir l’actualité de sa zone géographique reléguée en fin de journal par la mort de Johnny Hallyday. Le traumatisme de scènes sanglantes où des balles l’ont frôlée. Et bien sûr, la dissonance cognitive entre ses reportages à Gaza et ses courses chez Ikea en Israël.
Épuisée, Marine Vlahovic avait jeté l’éponge en 2019 pour s’installer à Marseille. Elle s’était promis de laisser tout ça derrière elle: le stress, la pression, l’adrénaline et le conflit israélo-palestinien, pour se consacrer à des documentaires. Mais au lendemain des attaques du 7 octobre 2023 et de leur riposte sanglante, elle avait été rattrapée par cette partie de sa vie.
Pendant six mois, elle avait tenté de trouver un point d’entrée vers Gaza. Pour raconter le conflit ou pour le vivre aux côtés de ses amis? Un peu des deux. Elle avait passé six mois «coincée aux portes de l’enfer», impuissante. «Pour moi, Gaza, c’est une réalité, pas une cause», confiait-elle dans «Gaza calling», un épisode supplémentaire ajouté à Carnets de correspondante en juin dernier. Elle y mettait en scène les coups de fil avec ses amis qui avaient tout perdu. Y expliquait sa colère de voir les rédactions françaises ne pas prendre au sérieux les journalistes palestiniens. Et annonçait sa décision de ne pas renouveler sa carte de presse: Marine ne trouvait plus sa place dans cette corporation, qu’elle avait intégrée en 2010.
Carnets de correspondante est un chef-d’œuvre d’écriture sonore, le cri du cœur d’une journaliste qui ne demande rien d’autre que de bien faire son métier. Car Marine Vlahovic était de ceux-là, ceux qui se lancent corps et âme dans un sujet, qui laissent toute la place à leurs témoins. Dans ses premiers podcasts déjà, elle tendait le micro à des sans-abri homosexuels (Homos à la rue, 2008), à une jeune étudiante palestinienne qui cherchait l’amour (Amours occupées, 2010) ou à son propre père à la veille de sa retraite de l’Éducation nationale (La dernière classe, 2011), sans jamais chercher à prendre la lumière en posant sa voix.
Mais le podcast de Marine Vlahovic auquel je pense le plus aujourd’hui, quelques jours après sa mort, c’est Le souffle de Beyrouth. Il dresse le portrait sonore d’Anahid, une Libanaise collectionneuse de sons. Depuis son enfance, armée d’un enregistreur cassette ou d’un matériel dernier cri, Anahid n’a eu de cesse d’enregistrer les sons de sa ville, de son pays, pour en prendre le pouls, pour en graver l’impalpable. Une de ses phrases m’a marquée: «J’ai besoin de m’écouter, pour voir qu’on n’est pas des fantômes.»
Même disparue, Marine Vlahovic ne sera jamais un fantôme pour nous, auditeurs et auditrices de ses podcasts. Nul doute qu’elle a déposé en chacun de nous une petite part de sa passion pour les «petites histoires» qui racontent la grande. Un héritage sonore, que je vous invite à (re)découvrir sur le site d’Arte Radio.
D’autres œuvres à lire, à voir, à écouter
- L’un des combats de Marine Vlahovic était de donner à entendre les voix des Palestiniens et Palestiniennes pris au piège du conflit actuel. La journaliste Céline Martelet a récemment sorti un podcast en deux épisodes intitulé Don’t forget Gaza publié dans le flux «La révolution, et après?» du média Frictions. Elle y relate le parcours d’Ayman, un «fixeur» palestinien avec lequel elle a lié des liens d’amitié et qui a été forcé à l’exil avec sa famille. Un récit personnel bouleversant, à écouter jusqu’au bout.
- Quelle est la réalité, à la fois quotidienne et historique, de ceux que l’on appelle «les Palestiniens»? C’est la question que pose le journaliste Guilhem Delteil, ancien correspondant à Jérusalem, dans son podcast Palestiniens produit par RFI. En cinq épisodes de quarante-cinq minutes environ, il tente de dresser un portrait exhaustif des multiples identités regroupées sous le terme. À travers des témoignages personnels, il retrace le fil des événements passés, ce qui nous permet de mieux comprendre le conflit-israélo palestinien et son impact sur l’identité palestinienne elle-même. Une deuxième saison consacrée aux Israéliens est d’ores et déjà prévue pour 2025.
- Marine Vlahovic n’est malheureusement pas la première autrice sonore à nous quitter en laissant derrière elle un podcast important. Comme elle, Maëlle Sigonneau et Clémentine Lecalot-Vergnaud avaient mis leurs tripes sur la table dans des auto-documentaires puissants, à mi-chemin entre des journaux intimes et des plaidoyers politiques (Im/patiente, produit par Nouvelles Écoutes et Ma vie face au cancer, produit par FranceInfo). Comme pour Marine, je vous invite à découvrir leurs podcasts pour que leurs voix ne soient pas oubliées.
- Photo : Marine Vlahovic en septembre 2021 à la Maison de la poésie, pour une table ronde intitulée «Journalisme de guerre» lors du festival Radio et podcast: on en parle, organisé par Télérama et la Maison de la poésie. | Capture d’écran Maison de la Poésie – Scène littéraire via YouTube