Le gouvernement néerlandais met fin à son financement d’un groupe de la société civile palestinienne

Cette décision intervient alors qu’une enquête externe n’a trouvée aucune preuve de la « terreur » invoquée par Israël contre l’Union des comités de travail agricole.

Ramallah, Cisjordanie occupée – Le gouvernement néerlandais a déclaré qu’il ne financerait plus l’une des six principales organisations de la société civile et des droits de l’homme en Palestine, qu’Israël a interdit comme « groupes terroristes » en octobre 2021.

Dans une déclaration dénonçant la décision de mercredi, l’Union des comités de travail agricole (UAWC) basée à Ramallah – pour laquelle le gouvernement néerlandais est le principal donateur depuis 2013 – a déclaré : « c’est la première fois qu’un gouvernement met fin à son financement d’une société civile palestinienne sur la base d’une conditionnalité politique ».

L’UAWC apporte une aide concrète aux Palestiniens, notamment en réhabilitant les terres qui risquent d’être confisquées par Israël. Elle aide des dizaines de milliers d’agriculteurs en zone C – plus de 60 % de la Cisjordanie occupée sous le contrôle militaire israélien direct – où se sont établies la plupart des colonies de peuplement israéliennes, illégales, avec leurs infrastructures.

Le groupe a déclaré qu’il allait envisager des démarches juridiques pour contester la « décision nocive et injuste » du gouvernement néerlandais, lesquelles, a-t-il averti, « risquent d’avoir des répercussions bien au-delà de notre organisation ».

En octobre 2021, Israël a interdit six organisations en tant que « groupes terroristes » sous prétexte qu’elles sont affiliées au Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP), mouvement de gauche. Cette décision a été condamnée par la communauté internationale et les groupes de défense des droits car « injustifiée » et « dénuée de fondement », le gouvernement israélien n’ayant apporté aucune preuve (PDF) pour étayer ses allégations.

La désignation d’Israël reliait les six organisations à la branche armée du FPLP, qui était actif en tant que corps organisé lors de la Deuxième Intifada (2000-2005) et qui lançait des attaques sur des cibles civiles et militaires israéliennes.

Cinq de ces organisations sont palestiniennes : le groupe de défense des droits des prisonniers, Addameer ; le groupe de défense des droits Al-Haq ; l’Union des comités de femmes palestiniennes (UPWC) ; le Centre bisan pour la recherche et le développement ; et l’UAWC. La sixième est la section Palestine de l’Organisation internationale pour la défense des enfants, basée à Genève.

Un réexamen externe

La décision du gouvernement néerlandais fait suite à une suspension de 18 mois du financement à l’UAWC.

En juillet 2020, le ministère du Commerce extérieur et de la Coopération pour le développement avait ordonné un réexamen après l’arrestation de deux employés palestiniens de l’organisation. Les employés (aujourd’hui ex-employés) étaient accusés par Israël d’être responsables d’un attentat à la bombe au bord d’une route en août 2019, qui avait tué une jeune Israélienne de 17 ans près de la colonie de peuplement israélienne illégale de Dolev, en Cisjordanie occupée.

L’enquête, conduite par le groupe Proximities Risk Consultancy (Conseil en risque de proximité), basé aux Pays-Bas, a débuté en février 2021 et couvre la période entre 2007 et 2020, durant laquelle l’UAWC a reçu des fonds néerlandais. Ses conclusions ont été présentées mercredi au Parlement néerlandais.

Si le réexamen externe indique que les deux anciens employés avaient bien « reçu une partie de leurs salaires à partir de frais généraux financés par les Pays-Bas », aucune preuve n’était apportée de flux financiers entre l’UAWC et le FPLP, ni aucun lien entre l’UAWC et la branche armée du FPLP. L’enquête indique également qu’aucune preuve n’avait été trouvée démontrant que des membres du personnel ou du conseil d’administration se soient servis de leur position dans l’organisation pour organiser des attaques armées.

« Aucune preuve n’a également été trouvée d’une unité organisationnelle entre l’UAWC et le FPLP, ni que le FPLP aurait fourni des directives à l’UAWC » indique le réexamen, qui ne trouve des liens avec les branches politiques et civiques du FPLP « qu’au niveau individuel, entre des membres du personnel et du conseil d’administration de l’UAWC avec le FPLP ».

« Proximities déclare que l’UAWC ne pouvait pas être censée au courant des liens individuels avec le FPLP » poursuit l’examen.

« Un coup dur »

Dans sa déclaration de mercredi, l’UAWC déclare que la décision du gouvernement néerlandais est « choquante et profondément troublante » et qu’elle est « basée sur un certain nombre de ‘liens individuels’ que Proximities a identifiés – des rapports présumés à titre privé de membres du conseil d’administration et du personnel de l’UAWC avec le FPLP ».

Soulignant qu’elle ne « peut pas (et qu’elle ne veut pas) interférer avec les convictions politiques et les affiliations personnelles de ses employés et membres du conseil d’administration », l’UAWC déclare que la décision a légitimé et encouragé « les tactiques israéliennes pour attaquer les ONG palestiniennes » par le biais de liens politiques présumés de personnes qui travaillent pour elle.

« Tout cela détourne l’attention internationale du vol et de la confiscation par Israël de nouvelles terres palestiniennes et de sa répression brutale contre le peuple palestinien qui vit sous occupation militaire » affirme l’UAWC.

Ryvka Barnard, directrice adjointe de la Campagne Solidarité-Palestine, basée au Royaume-Uni, a qualifié la décision de « honteuse » et déclaré qu’elle « crée un précédent très dangereux » pour les groupes de la société civile palestinienne.

« Avec l’augmentation des attaques dans le monde contre les défenseurs de la terre, des population indigènes, et des agriculteurs de subsistance, la décision du gouvernement néerlandais de ne plus financer l’UAWC pour des motifs aussi fallacieux est un coup dur et elle restera dans l’histoire comme un véritable revers pour le progrès » a déclaré Barnard à Al Jazeera. « Le travail de l’UAWC au cours des décennies a été vital pour soutenir les agriculteurs palestiniens dans des positions les plus vulnérables, soumis aux violences horribles des colons et à leurs expropriations illégales de leurs terres ».

Notant que l’UWAC « fait partie d’un mouvement puissant de souveraineté alimentaire en Palestine et au niveau international » Barnard affirme que « ce sont des personnes que nous devrions soutenir, et maintenant plus que jamais, et au lieu de cela, elles sont agressées ».

Pour Martin Konecny, directeur du Projet européen Moyen-Orient (EuMEP) basé en Belgique, la décision est « hautement politique » et « ne se fonde pas sur des bases juridiques et des exigences antiterroristes ». Il affirme que l’étude contredit la plupart des affirmations du gouvernement israélien.

Depuis 1967, Israël a interdit plus de 400 organisations locales palestiniennes et internationales comme étant « hostiles » ou « illégales », ce qui inclue tous les principaux partis politiques palestiniens, comme le Fatah, parti de l’Autorité palestinienne au pouvoir, et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), avec laquelle Israël a signé les Accords d’Oslo en 1993.

Les autorités israéliennes ont également appliqué ces désignations à des dizaines d’organisations caritatives et de médias en Palestine, et s’en sont servies pour faire des descentes dans leurs bureaux, délivrer des ordres de fermeture, procéder à des arrestations et des détentions de personnes, et en juger pour avoir exercé des droits civils fondamentaux et émis des critiques contre l’occupation israélienne, occupation considérée comme illégale au regard du droit international.