La possibilité d’une conférence avec Rima Hassan à Sciences Po, interdite par la direction, a été validée par le tribunal administratif

Le juge des référés a estimé, vendredi, que l’éventualité de troubles lors de cette conférence ne présentait pas une gravité telle qu’elle n’aurait pu être prévenue par des mesures de police.

Le tribunal administratif de Paris a validé, vendredi 22 novembre, la possibilité d’une conférence accueillant l’eurodéputée (La France insoumise) Rima Hassan, qui avait saisi l’instance en référé liberté le 20 novembre. L’événement, qui devait être consacré à la question de l’embargo sur les ventes d’armes à Israël, ce vendredi en fin d’après-midi, avait été annulé par la direction de Sciences Po Paris, qui redoutait des « troubles à l’ordre public ».

Le juge administratif suspend l’interdiction prise le 18 novembre par le directeur, Luis Vassy, et enjoint à l’institut d’études politique de Paris de programmer une nouvelle date pour cette conférence, à condition que le collectif d’étudiants organisateurs, Students for Justice in Palestine, présente les garanties nécessaires à son bon déroulement, notamment sur le dispositif de sécurisation et de modération des débats.

Pour le juge, « il ne résulte pas de l’instruction que l’éventualité de troubles liés à des contre-manifestations présente une gravité telle qu’elle n’aurait pu être prévenue par des mesures de police portant une atteinte moindre à la liberté de réunion et d’expression que l’interdiction litigieuse ».

En refusant d’autoriser la conférence projetée, le directeur « a assuré une conciliation manifestement illégale des contraintes inhérentes à ses pouvoirs », qui sont de veiller au respect des libertés dans l’établissement et d’assurer l’indépendance de celui-ci de toute emprise politique ou idéologique, et de maintenir l’ordre dans ses locaux. Mme Hassan est donc « fondée à soutenir que ce refus porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’expression ».

« Ecole d’ouverture »

Plus tôt dans l’année, le Conseil d’Etat avait déjà été amené à trancher la question à propos d’une conférence qui devait accueillir Mme Hassan à l’université Paris-Dauphine. Le 6 mai, il avait estimé que la réalité des menaces de trouble à l’ordre public n’était pas établie et avait autorisé l’intervention de la juriste franco-palestinienne – qui était alors candidate aux élections européennes du 9 juin, et qui est par ailleurs visée par une enquête pour apologie du terrorisme, pour des faits qu’elle conteste.

Reprenant le même motif de possibles « troubles à l’ordre public », le président de l’université de Strasbourg, Michel Deneken, a également fait part, le 20 novembre, de sa décision d’annuler la conférence que devait donner Mme Hassan à la fin du mois, une décision qui fait également l’objet de recours de la part de l’eurodéputée.

Lors de l’audience au tribunal administratif, jeudi 21 novembre, les modalités d’organisation de la conférence à Sciences Po et, surtout, la personnalité de l’intervenante ont fait l’objet d’un débat pendant près de deux heures. La question de l’embargo des exportations d’armes vers Israël « est une question d’intérêt général qui suscite des positions divergentes », a expliqué Vincent Brengarth, avocat de l’eurodéputée, citant le cas de l’Allemagne, « principal exportateur d’armes vers Israël », et d’autres pays comme le Royaume-Uni, « qui ont décidé d’une suspension » de leurs ventes d’armes. « Sciences Po est une école d’ouverture et doit permettre les conditions d’un débat démocratique », a-t-il plaidé. Alors que le comité spécial de l’ONU chargé d’enquêter sur les pratiques israéliennes dans les territoires palestiniens occupés a souligné, le 14 novembre, des « méthodes de guerre relevant du génocide », « comment peut-on faire le reproche à Rima Hassan d’être en phase avec ces positions? », a interrogé l’avocat.

« Liberté fondamentale ? »

Les occupations de locaux intervenues ces derniers mois, dont celle d’un amphithéâtre à Sciences Po le 14 novembre, sont le fait du comité Palestine et « n’ont rien à voir avec Students for Justice in Palestine », a fait valoir, de son côté, Marion Ogier, avocate du collectif étudiant organisateur de conférences. Aucun « trouble à l’ordre public » ne s’est produit dans le cadre des précédents débats, dont l’un avait eu lieu avec Mme Hassan, le 5 mars, a rappelé Mme Ogier. Pour M. Brengarth, ce ne sont pas les conférences elles-mêmes, mais « les interdictions de conférences qui fabriquent le trouble à l’ordre public ».

Prenant le contre-pied de ces arguments, l’avocat de Sciences Po a affirmé qu’il était « difficile de considérer que l’intervention de Rima Hassan pourrait ne rien provoquer ». « C’est au contraire un déclencheur d’événements de grande ampleur », selon Paul Margelidon, pour qui la députée européenne « n’est pas à l’image des autres intervenants invités par Students for Justice in Palestine, qui sont moins clivants ».

« Depuis des mois, sur Twitter [renommé X], elle passe son temps à soutenir les blocages, elle était présente sur place lors d’un d’entre eux et, hier, après l’interdiction de son intervention à l’université de Strasbourg, elle a posté le message « “nous allons désobéir”, c’est-à-dire soutenir des perturbations et la désobéissance de manière générale », a souligné l’avocat.

M. Margelidon a questionné la légitimité de la procédure engagée devant le juge des référés par Mme Hassan. « Quelle liberté fondamentale serait en cause ici ? L’intervention d’une personnalité politique dans un établissement public d’enseignement supérieur est-elle une liberté fondamentale? Y a-t-il un droit fondamental de Rima Hassan à intervenir dans l’enceinte de Sciences Po ? », a-t-il interrogé. Pour l’avocat, si le code de l’éducation prévoit que l’établissement protège la liberté d’expression des usagers, il s’agit là des seuls étudiants. « La liberté d’expression de Rima Hassan n’est pas notre débat, a-t-il tranché. Elle a toute possibilité de s’exprimer dans l’espace public. »