« Exils » (30/30). Musicien, Mohammed Hilles, 25 ans, a pu quitter Gaza pour étudier la musique à Paris-Saclay. Après le soulagement des premiers jours, il s’inquiète pour sa famille restée dans l’enclave palestinienne.
« Je n’oublierai jamais ce que j’ai ressenti en arrivant en France. C’était un mélange de déni et de choc. Ça faisait un an et demi que je vivais sous une tente, à Gaza. Mon quotidien, c’était des bombardements et des rues détruites. Et je ne pensais pas en sortir. J’ai mis du temps à réaliser que j’étais vraiment à Paris. Je marchais dans les rues, je regardais les gens et les immeubles. J’étais fasciné par ce que je voyais. C’était encore plus beau que ce que j’imaginais. Petit à petit, je suis revenu à la réalité.
C’est difficile parce que je connais la situation de mon pays, et ma famille est restée là-bas. J’ai quitté Gaza le 16 avril. Nous sommes un groupe d’une trentaine de personnes à avoir pu passer, ce jour-là, le poste-frontière de Rafah pour nous rendre en France. D’autres gens ont été autorisés à sortir, qui devaient aller en Belgique, en Suède ou au Canada. Des bus nous attendaient de l’autre côté du check-point. Nous avons été conduits à Amman, en Jordanie, où nous avons passé deux nuits, avant de prendre l’avion pour Paris. J’ai pu partir parce que j’avais obtenu, en janvier 2024, une bourse pour étudier la musique au Centre de formation de musiciens intervenants d’Ile-de-France, à l’université Paris-Saclay.
C’est une professeure de musique française qui m’a aidé dans ces démarches. Je l’avais connue à Gaza en 2014. A l’époque, j’étudiais le violon au conservatoire Edward-Saïd [dont le siège a, depuis, été détruit]. Elle était dans un jury, elle m’a trouvé talentueux. Et elle voulait me faire sortir. Moi, je voulais étudier la musique, aller en Europe. A Gaza, tu ne peux pas vivre en tant qu’artiste. Je sais que la France valorise la musique mais comme je n’ai d’abord pas trouvé de bourse, je suis allé étudier, à l’université Al-Azhar de Gaza, la littérature anglaise et française. A partir de 2020, j’ai enseigné la musique à des enfants. Je participais aussi à des activités à l’Institut français de Gaza. Mais j’ai surtout appris le français pendant la guerre, seul, car je n’avais rien à faire à part la queue pour trouver de l’eau et de la nourriture. J’ai commencé à regarder des vidéos et à écouter des podcasts pour apprendre la langue.
Quand j’ai fui ma maison, le 7 octobre 2023, avec mes parents et mon frère, on a dû tout abandonner derrière nous. Nous avons pris quelques sacs mais j’ai laissé mes deux violons et mon alto car nous vivions tout près de la frontière et ça aurait suscité des doutes si je m’étais promené avec des étuis sur le dos. Je ne voulais pas mettre ma famille en danger. On est partis en courant et une semaine après, ma maison a été détruite. Avec mes violons et tous mes souvenirs d’enfance à l’intérieur.
« Je me sens bien et seul à la fois »
En un an et demi, on a changé sept fois de camp. Dans un de ces endroits, on s’est mis à quelques-uns et on a organisé des cours de musique pour un groupe d’enfants. C’était à l’automne 2024. J’avais récupéré un violon auquel il restait deux cordes. Et on a mis des cordes de guitare dessus. Plus tard, deux cordes ont sauté qu’on a remplacées par des câbles de freins de vélo. J’ai vu l’effet de la musique sur les jeunes. Ça les a sortis de l’atmosphère de la guerre.
Si je retourne un jour à Gaza, je voudrais essayer de faire des ateliers de musique pour les enfants. Mais il n’y a plus de rue, plus de maison, plus d’école, plus d’université. Je ne sais pas si Gaza sera reconstruite un jour.
J’ai déposé une demande d’asile en France. Cela nécessite beaucoup de démarches et ça me prend du temps. Mais je ne commence les cours qu’en septembre. En attendant, j’ai des choses à faire. Je suis hébergé à la résidence universitaire d’Orsay [Essonne]. Je m’y sens bien et seul à la fois. Alors, chaque jour, je sors vers 8 heures et je ne rentre qu’à 23 heures. Je ne connaissais personne en France mais j’ai rencontré beaucoup de gens depuis mon arrivée.
La dame qui m’a aidé à venir et une amie à elle, une professeure de musique qui m’a hébergé durant mes trois premières semaines à Paris, ont organisé une soirée de bienvenue. J’y ai rencontré des Palestiniens et des Francais. Certains m’ont fait découvrir la tour Eiffel, les Champs-Elysées, Montmartre, Notre-Dame… Je suis allé voir Manon à l’opéra. Le quatrième ou le cinquième jour, j’ai aussi été invité à un concert baroque à la Philharmonie. J’étais tellement touché et ému. Ça m’a empli de joie, de tristesse et de nostalgie à la fois. Ça m’a rappelé le dernier concert auquel j’ai participé avec l’orchestre de Gaza. C’était en 2019, avant le Covid. Dans un des camps où j’ai vécu, avec d’autres professeurs de musique, nous avions constitué un groupe avec une douzaine d’enfants. Et nous avions réussi à faire un concert en ligne avec un chœur de Cisjordanie. Même si la connexion était horrible, ce live a été un super moment ensemble.
En France, une joueuse de flûte m’a offert un violon qui appartenait à son grand-père. Il paraît qu’il a été fabriqué en 1920. Un jour, elle m’a donné rendez-vous au jardin du Luxembourg pour que je rencontre sa famille. J’aime me rendre dans les parcs et les jardins, loin du chaos. Pendant la guerre, j’ai perdu la sensation de paix. Avec les bombardements et le bruit des drones vingt-quatre heures sur vingt-quatre, le silence n’existait plus. En France, j’ai trouvé le calme, la nourriture, la sécurité et des valeurs. Mais je ne me sens pas aussi bien qu’au début.
La situation empire à Gaza. J’ai du mal à me concentrer sur ma vie, je perds de l’énergie. Je n’arrive pas à dormir et j’ai perdu l’appétit. Je rencontre beaucoup de difficultés pour contacter ma famille, avoir des nouvelles des miens. Il y a des bombardements et ils ne trouvent pas de quoi manger. C’est dur de les imaginer dans des conditions si difficiles. »