Richard Falk à Paris

La visite de Richard Falk a été un grand moment. Juriste éminent, il est (entre autres) coauteur du rapport « Les pratiques israéliennes à l’égard du peuple palestinien et la….

La visite de Richard Falk a été un grand moment. Juriste éminent, il est (entre autres) coauteur du rapport « Les pratiques israéliennes à l’égard du peuple palestinien et la question de l’apartheid->doc287] », rédigé à la demande de la commission de l’ONU pour l’Asie Occidentale (CESAO). [Il est intervenu Dimanche 17 à la Fête de l’Humanité, où il a répondu aux questions de Dominique Vidal devant plusieurs centaines de personnes, et il a donné le lundi 18 à l’EHESS une conférence intitulée « Envisager l’avenir palestinien » devant un amphithéâtre comble. Tous ceux qui l’ont entendu, et encore plus ceux qui l’ont approché, ont été subjugués par la clarté de sa réflexion et son ouverture aux autres, ni l’une ni l’autre d’ailleurs n’étant récentes ni limitées à la question palestinienne : il a milité contre la guerre américaine au Vietnam, et il dirige actuellement le projet « Global Climate Change, Human Security, and Democracy » à l’Université de Californie à Santa Barbara.

Que retenir de cette visite, outre le souvenir que laisse sa personnalité ? Dans sa conférence il a insisté sur le fait que le moment était venu de mettre l’accent, non plus sur l’occupation et la colonisation, mais sur l’apartheid. Je pense qu’il a raison. L’un et l’autre sont des crimes, reconnus comme tels par le droit international, mais on s’est habitué au premier, alors que le second choque encore. Certes, le fait que le crime dure depuis cinquante ans ne diminue pas sa gravité. Bien au contraire chaque jour qui passe devrait être un argument de plus pour le faire cesser, mais chaque fois qu’on soulève la question on se heurte à l’acquiescement poli des gens qui ont déjà eu cette discussion, qui se disent que si cela dure depuis si longtemps cela peut bien durer encore un peu, que d’ailleurs un processus de paix est en cours, et qu’il faut lui laisser sa chance. Un peu comme ces voisins, témoins de violences conjugales à répétition, qui ne font rien parce qu’ils attendent que cela s’arrange tout seul. Par contre, l’apartheid, cela choque! Comment osez-vous? La seule démocratie du Proche-Orient? L’idée est nouvelle, l’anesthésie se dissipe, et les yeux s’ouvrent. La situation est la même, mais elle porte un autre nom, la comparaison avec l’Afrique du Sud s’impose, et il faut tout repenser. C’est comme si toutes les étiquettes que l’on avait mises sur la situation pendant des années s’étaient envolées, et qu’il fallait en trouver de nouvelles.

Ceci est ma propre analyse, mais je vous incite à regarder la vidéo pour avoir celle de Richard Falk. Mieux encore, je vous incite à lire son rapport. Il parle des « moyens inhumains » qui caractérisent l’apartheid du point de vue légal[[L’expression «crime d’apartheid», qui englobe les politiques et pratiques semblables de ségrégation et de discrimination raciales, telles qu’elles sont pratiquées en Afrique australe, désigne les actes inhumains indiqués ci-après, commis en vue d’instituer ou d’entretenir la domination d’un groupe racial d’êtres humains sur n’importe quel autre groupe racial d’êtres humains et d’opprimer systématiquement celui-ci. [Convention internationale sur l’élimination et la répression du crime
d’apartheid (1973)] ]], et qu’Israël met en œuvre pour subjuguer le peuple palestinien et réprimer la résistance, l’un d’eux étant la fragmentation en multiples catégories traitées différemment, les habitants de la Cisjordanie, ceux d’Israël, ceux de Jérusalem-Est, ceux de Gaza, les réfugiés de 1948 et de 1967, en Cisjordanie et à Gaza, au Liban, en Jordanie, en Syrie ou ailleurs. La fin de la colonisation ne serait pas la fin de l’apartheid. L’évacuation de Gaza a-t-elle véritablement été une étape vers l’émancipation des Palestiniens? Pourquoi évoque-t-on si peu le droit à l’autodétermination du peuple palestinien? Pourquoi accepter un droit au retour pour des Juifs qui n’ont jamais mis les pieds en Israël et le refuser aux Palestiniens qui ont été chassés en 1948?

La conclusion que tire Richard Falk est que le BDS est la seule voie possible, la seule qui reste ouverte aux Palestiniens après tant d’années de lutte et tant de déceptions. Il tire de son expérience personnelle, et notamment de la lutte contre la guerre menée par les USA au Vietnam, ou de la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud, la conviction que la force à elle seule ne prime pas toujours, et qu’une mobilisation citoyenne internationale peut venir au secours du droit. Notons pour terminer que, pour la première fois depuis bien longtemps, une conférence sur la Palestine a pu se tenir en milieu universitaire. Une hirondelle ne fait pas le printemps, mais c’est de bon augure pour l’avenir !