Ehud Barak met en garde : Israël est face à « une pente glissante » vers l’apartheid

Si Israël maintient son contrôle sur les Palestiniens, la conséquence inévitable en sera un État qui sera ou non juif ou non démocratique, déclare l’ancien Premier ministre israélien à Tim Sebastian, de Conflict Zone, lors d’une interview à la télévision Deutsche Welle.

Si la situation actuelle d’Israël n’est « pas encore un apartheid », le pays se trouve sur une « pente glissante » qui le conduit dans cette direction – déclare l’ancien Premier ministre israélien Ehud Barak lors d’une interview diffusée mercredi soir à la télévision allemande.

Barak a tenu ce propos sur le programme « Conflict Zone » diffusé par la chaîne internationale de langue anglaise Deutsche Welle. L’émission présente une série d’interviews conduites par le journaliste britannique chevronné et percutant, Tim Sebastian, pour marquer le 50e anniversaire de la guerre des Six Jours.

« Israël se trouve confronté à un choix » dit Barak à Sabastian, selon des extraits de l’interview reçus à l’avance par Haaretz.

« Si nous maintenons notre contrôle sur toute la région allant de la Méditerranée au fleuve du Jourdain, où vivent quelque 13 millions de personnes – 8 millions d’Israéliens, 5 millions de Palestiniens… si une unique entité règne sur la région entière, nommée Israël », dit l’ancien Premier ministre, 74 ans, « elle deviendra inévitablement – c’est le mot clé : inévitablement – ou non juive, ou non démocratique ».

Dans le cas d’un scénario où les Palestiniens qui vivent en Cisjordanie annexée recevraient leurs pleins droits et seraient autorisés à voter, Barak prédit qu’alors Israël deviendrait vite « un État binational avec une majorité arabe et une guerre civile ».

La deuxième option, dit Barak, qui a été Premier ministre de 1999 à 2001, est la voie actuelle d’Israël : une « pente glissante vers l’apartheid ».

Parce que ces deux résultats sont indésirables, Israël se trouve devant ce que Barak appelle un « impératif indiscutable », celui de changer la direction du gouvernement et de rechercher une solution à deux États pour deux peuples.

Dans l’interview à la DW, quand Sebastien aborde les implications morales de l’occupation d’Israël et demande à Barak de « reconnaître que la vie des quelque 4 millions de personnes contrôlées par un gouvernement, qu’elles ne sont pas autorisées à élire, est immorale et injuste », la réponse de Barak est que « la question morale » n’est pas son principal souci.

« Je me soucie de la moralité » explique-t-il, « mais je me soucie davantage de notre survivance même dans la vie ».

Interrogé sur la masse des victimes palestiniennes durant l’opération d’Israël, Plomb durci, en 2008, dans la bande de Gaza, l’ancien Premier ministre réitère sa conviction que la sécurité et la sûreté d’Israël l’emportent sur les considérations morales et humanitaires.

S’agissant des centaines de victimes parmi les enfants palestiniens durant cette guerre, il dit à Sebastian, « Je ne me réjouis pas de la perte des vies. J’en suis désolé, mais je ne peux pas vous dire que je ne recommencerai pas si la vie et la sécurité de notre propre peuple sont en jeu ».

La puissance de feu des Forces de défense israéliennes, déclare-t-il, « n’a jamais pris pour cible la population civile » et l’armée est confrontée au fait que « les terroristes agissent maintenant délibérément depuis l’intérieur des écoles, des centres médicaux, et ainsi de suite. Et même avec des armes plus précises, vous ne pouvez pas éviter certains dommages collatéraux ».

Quant à la question des colonies israéliennes de peuplement et de leur rôle dans un futur accord de paix, Barak dit à Sebastian que pour lui, il est clair que « 80 % des colons vivent à l’intérieur des blocs de colonies qui couvrent au total pas plus de 5 ou 6 % de la superficie de la Cisjordanie, ainsi que les quartiers juifs de Jérusalem Est – toutes (ces colonies) sont légitimes, et doivent rester partie intégrante d’Israël. Même dans un accord de paix ».

« Une faute majeure » du gouvernement israélien actuel, note l’ancien Premier ministre, est son incapacité à « faire la différence » entre les blocs et les colonies plus « isolées », et à communiquer cette différence à la communauté internationale – quelque chose que, dit-il, lui-même a fait.

« Quand j’étais Premier ministre », explique-t-il lors de l’interview, « nous avons apprécié le soutien du monde entier pour notre politique, parce qu’il était clair que, d’une part, nous construisions à l’intérieur des blocs de colonies, mais aussi que, d’autre part, nous étions vraiment prêts à conclure un accord avec les Palestiniens et à abandonner les colonies isolées ».

Sebastian s’intéresse aussi aux efforts diplomatiques de Barak en tant que Premier ministre – plus précisément, au sommet de Camp David pour la paix au Moyen-Orient en juillet 2000, où lui et le président de l’Autorité palestinienne, Yasser Arafat, ont rencontré le Président Bill Clinton, mais sans parvenir à un accord.

Barak rejette la façon, par celui qui l’interroge, de présenter le sommet comme « un échec », disant « Je ne sais pas ce qui vous entendez par échec. Ce qui est clair, c’est qu’il n’a pas permis de progresser ».

De plus, ajoute-t-il, à son avis il n’a pas été un échec pour cet effort qui a déclenché la Deuxième Intifada, mais « l’inverse. Nous nous dirigions vers une collision, (une) explosion inévitable. J’ai essayé de mon mieux de l’éviter en étant prêt à présenter une proposition généreuse, afin de l’éviter si possible ».

Depuis qu’il s’est éloigné de la politique et qu’il est entré dans le secteur public en 2013, l’ancien Premier ministre israélien flirte ouvertement avec un retour possible à la vie publique, et il s’en est pris durement au Premier ministre Benjamin Netanyahu dans ses discours récents, qualifiant son gouvernement actuel de « faible, peu convaincant, exubérant et radical ». Des membres de la famille, d’anciens conseillers politiques, et d’autres associés de Barak ont créé une société d’intérêt général appelée National Responsibility, en décembre dernier, et cela pourrait servir de plate-forme organisationnelle et le décider à revenir à la politique.