Des universitaires belges pour le boycott académique d’Israël : interview de Patrick Deboosere

Les initiateurs de l’association tout récemment créée, le Belgian Academic and Cultural Boycott of Israel (Bacbi), sont on ne peut plus clairs : ils boycotteront toutes les institutions académiques officielles d’Israël tant que ce pays poursuivra sa politique d’occupation et de colonisation, et qu’il s’obstinera à fouler aux pieds le droit international.

En 2005, un groupe d’universitaires et d’artistes palestiniens lançaient le PACBI, le Palestinian Academic and Cultural Boycott of Israel, en tant que composante de la campagne BDS (Boycott, Désinvestissements et Sanctions, NdlR). BDS a été créée par un important groupe d’organisations du monde associatif palestinien. Aujourd’hui, des universitaires belges s’y joignent par le biais de la création du Belgian Academic and Cultural Boycott of Israel (BACBI).

« Nous désirons nous joindre à la campagne de boycott, parce qu’un boycott international est le moyen principal, aujourd’hui, qui permettrait de mettre un terme à l’oppression du peuple palestinien par l’Etat d’Israël », explique le professeur Patrick Deboosere (VUB), cofondateur du BACBI. « Comme l’a bien montré en son temps la lutte contre le régime d’apartheid en Afrique du Sud, le boycott est une arme très efficace. Le fait que, récemment, au Parlement israélien, une majorité de droite a approuvé une loi rendant punissable l’appel au boycott, montre clairement à quel point l’on a peur de cette stratégie. »

Comment cette action de boycott est-elle née ?

Patrick Deboosere. En 2009, lorsque nous nous sommes rendus en Palestine en compagnie d’un certain nombre de collègues et d’artistes amis, nous avons été en contact pour la première fois avec des partisans d’un boycott international. Depuis lors, je n’ai plus cessé de soutenir la campagne BDS.

On ne peut pas faire autrement quand on voit la situation sur place. Nous avons tous été profondément touchés par l’injustice incroyable qui règne là-bas. Il suffit de franchir un checkpoint israélien pour ressentir les humiliations et le mépris que doivent subir quotidiennement les citoyens palestiniens.

On y voit l’inégalité dans la façon de traiter les gens, avec la destruction et l’expropriation des terres palestiniennes et la construction de colonies juives illégales. C’est en infraction avec le droit international, mais cela se passe toutefois sous la protection de l’armée israélienne.

Et il y a le mur…

Patrick Deboosere. On le connait évidemment via les photos et les images télévisées. Mais la confrontation sur place est littéralement écrasante. Un vrai mur de l’apartheid, long de plusieurs centaines de kilomètres. L’image seule de la façon dont ce mur passe au beau milieu des faubourgs et des villages qui entourent Jérusalem-Est hallucinante. Et en même temps, on remarque comment, par toutes sortes d’artifices, la construction du mur est également mise à profit pour accaparer plus de terres palestiniennes encore.

Le mur a également annexé de facto Jérusalem-Est et l’a coupé du reste de la Cisjordanie. Le mur traverse littéralement le campus de l’Université al-Quds, ce qui fait qu’aujourd’hui, plus de 13 000 étudiants palestiniens doivent franchir au moins un des 600 check-points israéliens lorsqu’ils quittent leur domicile pour se rendre à l’université.

Avec l’agression contre Gaza en juillet dernier, de plus en plus de collègues se sont adressés à moi pour lancer une initiative en faveur d’un boycott académique. En quelques semaines, il y a du côté palestinien plus de 2 100 tués et plus de 10 000 blessés, en grande majorité des civils, dont de nombreux enfants. Quelque 17 000 bâtiments ont été détruits. Du côté israélien, l’opération a fait 73 morts, dont 66 militaires.

Ca a été une boucherie et la chose a encore été confirmée récemment par les témoignages directs de dizaines de soldats israéliens, avec « Breaking the silence« .

Pourquoi est-il important que des universitaires se joignent à une telle campagne ?

Patrick Deboosere. En tant qu’universitaires, nous devons prendre nos responsabilités. En mars dernier, dans 22 pays, une « Semaine de l’apartheid israélien » a été organisée. Des étudiants de plusieurs universités belges s’y sont ralliés. Entre autres à l’ULB et à la VUB, cela a provoqué beaucoup de remu-ménage. Des pressions ont été exercées par l’ambassade israélienne afin de supprimer ces activités. L’ULB a menacé de suspension l’organisation estudiantine favorable au boycott. Cela prouve à quel point ils est important que le corps académique lui aussi s’exprime en faveur du boycott international.

En quoi consiste précisément cette action de boycott ?

Patrick Deboosere. Notre déclaration de principe rejoint l’appel palestinien au boycott académique et culturel et, en ce moment, elle a déjà été singée par près de 300 académiques, de toutes les universités et hautes écoles du pays. Depuis que l’appel est en ligne, chaque jour, de nouvelles signatures viennent s’ajouter.[[380 signatures au 18 juin.]]

Concrètement, le boycott signifie que nous ne collaborons pas avec les institutions officielles et universités d’Israël et que nous nous opposons à tout subventionnement émanant de l’Europe. Nous voulons que l’Europe résilie tous les accords de collaboration avec Israël et nous appelons dès maintenant à ne pas coopérer avec les universités israéliennes dans le cadre de projets européens. Aujourd’hui, toutes les universités israéliennes sont complices de la politique de racisme, d’apartheid et d’oppression de l’Etat israélien. Toutes, ou à peu près, collaborent au renforcement de l’appareil militaire israélien.

Si une université israélienne devait officiellement se distancier de l’occupation et de la politique d’apartheid, nous serions disposés à collaborer avec cette université. Jusqu’à ce jour, ce n’est malheureusement pas le cas.

Comment réagissent les universitaires en Israël face à un boycott ?

Patrick Deboosere. Il y a certes un certain nombre d’universitaires israéliens courageux qui s’opposent ouvertement à la politique de leur pays. Aussi sommes-nous en faveur d’une collaboration et d’un dialogue avec des universitaires israéliens à titre individuel. Je pense qu’il est très important de continuer à collaborer et à discuter avec nos collègues israéliens.

Ce n’est pas un boycott individuel. Le but est d’accroître la pression sur Israël de sorte que soit mis un terme aux violations du droit international. Cette pression doit également venir de nos collègues israéliens. Nous n’en sommes pas encore là. Nous essayons de développer une médiatisation suffisante afin que nos universités cessent leur collaboration, à l’exemple de la façon dont, aujourd’hui, le mouvement pour le boycott international prend forme dans plusieurs universités américaines ou européennes.

Quelles actions allez-vous entreprendre ?

Patrick Deboosere. Nous avons créé un site internet, www.bacbi.be, et nous espérons que le plus grand nombre possible de nos collègues des universités et des hautes écoles signeront également notre appel. A court terme, l’intention est que les universités cessent de collaborer avec les universités israéliennes.

Le lobby pro-israélien accuse systématiquement d’antisémitisme tous ceux qui expriment des critiques à l’égard d’Israël. Mais, soyons bien clairs : nous sommes opposés à toute forme de racisme et d’antisémitisme.

L’indignation spontanée qu’éprouvent bien des personnes au vu de l’injustice que subit le peuple palestinien doit recevoir un soutien solide de la part du monde académique.

Au sein du BACBI, nous voulons étendre l’action de boycott au secteur culturel. Si des musiciens et des compagnies théâtrales refusent de se produire en Israël, cela aura un grand retentissement et cela contribuera à accroître encore la pression.

Nous sommes d’ailleurs pas seuls, dans cette campagne. Le boycott académique et culturel s’étend au niveau international. Notre but final est de mettre un terme aux infractions et violations systématiques du droit international par Israël et de contribuer à une paix juste au Moyen-Orient. C’est un travail de longue haleine mais, quand on est fondamentalement du côté de l’injustice et de l’oppression, on finit toujours par perdre.