Seulement deux membres de la famille composée de six personnes ont survécu. Selon les Nations unies, au moins 111 civils ont été tués au Liban par des bombardements israéliens, depuis la cessation toute théorique des hostilités, le 27 novembre 2024.
Acil Charara, 13 ans, dort dans sa chambre à l’hôpital de l’université américaine de Beyrouth. Grièvement blessée par une frappe israélienne en septembre, dans le sud du Liban, l’adolescente est une survivante. Elle est sortie des soins intensifs où elle avait passé plusieurs semaines inconsciente. Son bras gauche est cassé. Un drap blanc recouvre ses jambes : elle a échappé à l’amputation de l’une d’elles. Acil commence à peine à vivre avec un deuil terrassant : elle a appris, quelques jours auparavant, que son père, Chadi, son frère et ses sœurs avaient été tués dans la même attaque.
Tous quatre ont été inhumés à Bint Jbeil, le village d’origine de cette famille chiite. Amani Bazzi Charara, la mère, âgée de 33 ans, elle aussi blessée lors du bombardement, a voulu que la tombe de son mari soit placée entre celle de leur fille cadette, Celine, qui avait 10 ans, et la sépulture commune de leur fille Silane et de leur fils, Hadi, des jumeaux de 19 mois.
Depuis l’enterrement, Amani ne s’est plus rendue à Bint Jbeil. Entourée par ses parents, Sami et Fadia Bazzi, elle passe ses journées au chevet d’Acil. L’adolescente a besoin de plusieurs opérations et de longs soins. Elle est prise en charge par un programme conjoint du Fonds Ghassan Abu Sittah pour les enfants blessés de Gaza et du Liban et de l’Unicef.
La voiture familiale visée par un drone
Le jour de l’attaque, le 21 septembre, les Charara, qui vivent à Sour, sur la côte, viennent de quitter la maison des parents d’Amani, à Bint Jbeil. Ils ont l’habitude de passer le week-end dans cette localité frontalière, ravagée lors de la guerre de l’automne 2024 entre Israël et le Hezbollah. « Trois drones volaient dans le ciel ce jour-là. Cela n’avait rien d’inhabituel : il y a constamment des drones dans le Sud, dit la mère de famille rescapée. Nous avions nos téléphones. Nous étions identifiables. Les Israéliens savaient que notre famille se trouvait dans la voiture. » Les engins de surveillance israéliens épient les mouvements dans le Sud.
Deux missiles sont tirés par un drone, selon l’agence de presse officielle libanaise. L’un tue Mohamed Mroué, un parent de Chadi Charara, qui circule à moto, croisé par hasard. L’autre est responsable d’un carnage dans le véhicule familial. Amani, restée consciente, voit ses jumeaux et son mari mutilés. Celine semble dormir ; elle aussi a été tuée sur le coup. Acil et Amani sont évacuées.
« Quelle était notre faute ? Nous n’avons aucun lien avec aucun parti politique. Avec Chadi, nous aimions passer notre temps en famille. Qu’avaient fait mon mari et mes enfants pour être tués, qu’avaient fait mes bébés pour que leur tête soit arrachée ? », demande Amani, depuis l’hôpital américain de Beyrouth. Son visage et ses mains portent encore des marques de ses blessures. Voile blanc enserrant ses cheveux, elle a accroché sur ses vêtements noirs un badge à l’effigie des défunts.
Morris Tidball-Binz, rapporteur spécial des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, qui était en visite au Liban en octobre, précise, dans une réponse écrite au Monde, que cette attaque sanglante constitue « un meurtre ciblé de civils non armés ». « Le droit international exige que les responsables rendent des comptes et que les victimes et leurs familles reçoivent réparation pour les crimes subis », ajoute-t-il.
« Violation du cessez-le-feu »
L’armée israélienne a affirmé, le jour du carnage, avoir tué un « terroriste du Hezbollah », sans le nommer. Elle a reconnu que « plusieurs civils non impliqués [avaie]nt été tués », annonçant l’ouverture d’une enquête. Son évocation provoque un rictus douloureux chez Sami Bazzi, le père d’Amani, qui ne s’attend à aucun résultat.
Depuis l’annonce, à la fin novembre 2024, d’un cessez-le-feu, au moins 111 civils libanais ont été tués par des frappes israéliennes, selon les Nations unies. D’après une source humanitaire, il s’agit de passants, de voisins ou de proches de personnes ciblées par l’armée israélienne, qui dit viser des membres du Hezbollah. M. Tidball-Binz indique qu’un « cessez-le-feu est un cessez-le-feu et [que] le ciblage de combattantsconstitue une violation de l’accord ».
L’attention des grandes capitales occidentales et arabes est focalisée non pas sur ces bombardements continus, mais sur le désarmement du Hezbollah, également prévu par l’accord de cessez-le-feu. Depuis des mois, l’armée libanaise, appuyée par la force des Nations unies au Liban, détruit les caches d’armes du mouvement armé chiite dans le Sud. Beyrouth s’est fixé comme objectif que la région méridionale soit entièrement nettoyée de cet arsenal d’ici à la fin de l’année.
Sami Bazzi confie son attachement au Sud, un territoire meurtri de longue date, et dont l’armée israélienne occupe aujourd’hui une bande frontalière : « Nous sommes les enfants de cette terre. » En même temps qu’elle passe ses journées auprès de sa fille Acil, Amani se plonge dans les images des jours heureux conservées sur son téléphone. Avec son époux, vendeur de voitures, ils ambitionnaient de s’installer aux Etats-Unis, où vivent des proches. La maison familiale avait été lourdement endommagée dans une frappe israélienne ayant visé un immeuble voisin pendant la guerre de l’automne 2024.
Amani masque sa douleur derrière son courage. « Je ne sais rien de notre futur, s’il sera à Beyrouth ou dans le Sud. En un instant, nos vies ont volé en éclats. » Le Liban redoute une nouvelle guerre d’ampleur, alors qu’Israël accuse le Hezbollah de se « réarmer ».
