A Gaza, la tête dans les étoiles pour échapper au blocus

par KARIM LEBHOUR | La Croix | 17/08/2010 | KHAN YOUNÈS Suleiman Baraka, astrophysicien de 45 ans formé à Paris, veut élargir l’horizon des enfants de Gaza L’œil vissé au….

par KARIM LEBHOUR | La Croix | 17/08/2010 |

KHAN YOUNÈS

Suleiman Baraka, astrophysicien de 45 ans formé à Paris, veut élargir l’horizon des enfants de Gaza

L’œil vissé au télescope, Suleiman Baraka fouille le ciel de Gaza. Un point rougeâtre apparaît dans l’oculaire. « C’est Mars ! » s’exclame-t-il, tandis qu’une foule de gamins impatients trépignent bruyamment derrière lui. La nuit vient de tomber, et la cour de cette école de Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, accueille une séance d’initiation à l’astronomie.

« Gaza est une cage. Donner l’occasion à ces enfants d’observer le ciel, c’est leur montrer que le monde ne se limite pas aux 40 kilomètres entre Rafah et Beit Hanoun. Dans l’espace, au moins, il n’y a ni barrières, ni frontières » , s’enthousiasme cet astrophysicien de 45 ans, le seul des territoires palestiniens. C’est aussi dans cette école aux murs fatigués qu’il a trouvé sa vocation pour l’étude des étoiles. « C’était juste là, au deuxième étage , dit-il en montrant son ancienne salle de classe. L’instituteur a dessiné au tableau deux cercles concentriques pour figurer un atome. J’avais 16 ans. Ça a éveillé mon imagination et j’ai décidé de me consacrer à la physique, puis à l’astrophysique. »

Le parcours de Suleiman Baraka, fils d’un père boucher et aîné d’une fratrie de 14 enfants, se mesure en années-lumière. Pendant la première Intifada, son appartenance au Fatah lui coûte deux ans dans les prisons israéliennes. Puis ses études le mènent à l’Institut d’astrophysique de Paris. En 2008, la Nasa lui propose un poste de chercheur associé à l’université Virginia Tech sur l’étude des champs électromagnétiques dans le système solaire, sa spécialité, mais le scientifique est pris au piège du blocus.

Impossible de sortir. Israël lui refuse le passage par Erez. Celui de Rafah avec l’Égypte est fermé. Il tente même d’embarquer sur l’un des bateaux du mouvement Free Gaza qui parvient à accoster à Gaza à l’été 2008, sans succès. Quand il finit par rejoindre l’agence spatiale américaine à l’automne, le répit est de courte durée. Deux mois plus tard, Israël lance l’opération « Plomb durci ». Le 29 décembre 2008, Suleiman apprend depuis les États-Unis qu’un missile vient de frapper sa maison de Khan Younès. Son fils Ibrahim, 11 ans, est mortellement touché.

Suleiman songe à faire venir sa famille aux États-Unis, mais décide finalement de rentrer chez lui. « J’ai pensé que je pouvais être plus utile ici. » Il met toute son énergie dans un nouveau projet : bâtir un observatoire qui portera le nom d’Ibrahim et faire découvrir l’univers aux enfants de Gaza. L’Union astronomique internationale lui fait don d’un télescope, qu’il fait rentrer dans Gaza sous blocus grâce à une chaîne logistique digne d’un roman d’espionnage.

Au cours de ses « Star Party », les enfants découvrent les cratères de la lune et apprennent à reconnaître les constellations. La plupart n’ont jamais glissé l’œil derrière un télescope ou même une paire de jumelles. Les instruments optiques sont interdits à Gaza en raison de leur possible usage militaire. « Leur première question est souvent de savoir s’ils vont voir les avions et les drones israéliens de plus près. Je veux leur montrer qu’il y a davantage dans le ciel. »

À ces gamins traumatisés par la guerre, il mentionne le nom d’Assad Nimer, l’ingénieur palestinien qui a participé au programme Apollo, et les savants arabes qui ont cartographié le ciel bien avant les Occidentaux. « Qui sait ? L’un d’entre eux est peut-être le futur Einstein » , lance-t-il. L’ancien astronaute Jeffrey Hoffman et le président de l’Union astronomique internationale, Bob Williams, ont voulu lui rendre visite mais faute de permis pour se rendre à Gaza, ils ont dû se limiter à la Cisjordanie, l’autre territoire palestinien.

« Ce blocus est aussi un blocus contre la science , peste Suleiman. Gaza est l’un des seuls territoires au monde où il n’y a pas d’étrangers. Personne ne peut nous rendre visite. Aucun échange n’est possible, mais cela ne durera pas toujours. Il faut préparer l’avenir » , dit-il en ajustant le télescope vers la planète Saturne. Il voudrait instaurer un diplôme d’astronomie dans les universités de Gaza, et peut-être même un centre de recherche. En attendant, il évite soigneusement de mettre le télescope sur le toit de sa maison. L’armée israélienne, dit-il, pourrait le prendre pour un lanceur de roquettes.