Un déchirement

Sara Hussein, correspondante de l’AFP au Moyen-Orient vient de terminer une affectation à Gaza, où plus de 1280 Palestiniens ont été tués, dont plus de 240 enfants.

Mise en garde : l’article original sur le blog de l’AFP contient des images pénibles de l’intérieur d’une morgue.

Gaza, 30 juillet 2014 – Cette guerre à Gaza n’est pas la première que je couvre, ce n’est même pas la première guerre que je couvre à Gaza. Je me suis rendue dans des endroits comme la Syrie et la Libye, et j’y ai vu des choses épouvantables mais qui sont normales dans un conflit armé, et j’ai déjà vu des enfants morts, mais jamais comme durant cette guerre à Gaza. Jamais autant, jamais si souvent.

Tout le monde aime leurs enfants, et Gaza n’est pas différente. Mais il y a une affection publique particulière ici, une fierté non tempérée par des sentiments d’intimité ou de pudeur. Tout le monde veut vous montrer des photos de ses enfants. Les hommes sortent très vite leurs portables, encore plus facilement que les femmes. J’ai vu des photos de la plupart des enfants du personnel de mon hôtel. Mon réceptionniste préféré, Ayman, a deux filles, dont l’une a la peau et les yeux clairs ; le garde et responsable du personnel, Mahmud, a trois fils, dont le plus jeune, me dit-il, qui montre un mélange de fierté et de légère timidité, est « mignon comme une fille ».

Les enfants sont partout dans la bande de Gaza. Ils se regroupent autour de vous, dans les camps de réfugiés et dans les écoles gérées par l’agence des Nations-Unies pour les réfugiés palestiniens, l’UNRWA, où plus de 160 000 personnes ont cherché refuge après avoir fui leurs maisons. Parmi ces enfants, certains sont intrépides et inquisiteurs, tendant une main pour serrer les vôtres, vous demandant votre nom, vous interrogeant sur votre famille, votre pays d’origine. Deux petites sœurs à l’école de Gaza ville ont fouillé mon sac à main, cherchant quelque chose pour jouer, et nous avons joué ensemble à nous frapper les mains.

D’autres enfants sont différents et sont calmes d’une façon qui fait penser à quelque chose qui va au-delà d’un simple trait de caractère. Dans la même école, une petite fille avec de grands yeux et des cheveux roux, a posé sa main sur la mienne, mais au lieu de la secouer, elle s’est juste accrochée à moi. Elle m’a dit qu’elle s’appelait Yasmin, mais elle n’a rien voulu dire de plus. Elle m’a suivie tout autour de l’école alors que je faisais des interviews, et puis elle est venue s’asseoir près de moi alors que j’attendais à l’ombre pour une conférence de presse. Elle ne voulait pas discuter, simplement rester assise tranquillement à mon côté.

À l’intérieur de la morgue

À la morgue de l’hôpital Shifa à Gaza ville, les employés ont vu des dizaines d’enfants morts. Ils restaient stoïques dans la façon dont ils enduisaient et nettoyaient les corps de trois de ces enfants : Afnan, Jihad et Wissam Shuheiber. Ils avaient vu avant les petits corps brisés, et ils les revoyaient, sans doute plus tard dans la même journée. Leur comportement clinique était d’autant plus saisissant qu’il contrastait avec la douleur sans retenue qui marquait les visages des parents des enfants.

Ces trois enfants – deux frères, Jihad et Wissam, et leur cousin, Afnan – étaient en train de jouer sur un toit dans Gaza ville quand une roquette est tombée sur leur immeuble. On les a emportés, blessés, mais ils sont morts peu après. Chacun était criblé d’éclats de roquette, l’acier brûlant leur avait arraché des lambeaux de chair. Les dents de l’un des garçons semblaient avoir été brisées dans l’attaque. Le plus jeune des trois, Wissam, portait un sous-vêtement Super-héros.

« Je pleurais en prenant des notes »

Il était difficile de rester calme à la morgue alors que le personnel allait et venait autour des trois enfants, et d’un quatrième qui venait d’être transféré après son décès dans un autre hôpital. Je m’y suis glissée avant que n’y entre la mêlée des journalistes, et je me suis tenue tranquillement dans un coin alors que l’équipe travaillait, que les trois membres de la famille oscillaient entre colère et douleur extrême. J’ai continué à prendre des notes et à observer, mais je pleurais. Et quand, plus tard, j’ai écrit là-dessus, j’ai pleuré encore.

Les enfants Shuhaiber n’ont pas été les seuls enfants en bas âge tués alors qu’ils s’amusaient à Gaza. Le 16 juillet, j’étais en train d’envoyer un article dans mon hôtel quand le bruit d’une explosion m’a fait me précipiter dehors. Je suis arrivée sur la terrasse de l’hôtel pour voir un groupe d’enfants, paniqués, qui se sauvaient le long de la plage, venant vers nous. Alors qu’ils courraient, un autre obus est tombé sur eux. Plusieurs ont réussi à se réfugier dans l’hôtel, où le personnel et les journalistes ont tenté de les réconforter alors qu’ils étaient terrorisés et de soigner les blessés. Au moins trois étaient blessés. Avec deux autres journalistes, j’ai essayé d’aider un garçon qui avait reçu un éclat dans la poitrine. Des ambulances sont arrivées et ont évacué les blessés. Elles sont allées sur la plage pour enlever quatre enfants qui étaient morts. Une fois la panique terminée, le plancher du restaurant sur la terrasse de l’hôtel était barbouillé de sang et parsemé de morceaux de coton.

Il n’y a pas de dernier paragraphe qui puisse conclure parfaitement ce genre d’incidents, sans fin heureuse. Mais il y a eu un moment pour moi qui est venu faire contraste, dans la maison de l’un de nos merveilleux journalistes à Gaza, Adel Zaanoun. Nous étions assis le soir pour le dîner iftar, et il a insisté pour que je prenne sur moi ses deux jumeaux, Adam et Alma.

Ils étaient si minuscules et si roses, et ils poussaient des cris aigus, ils donnaient des coups avec leurs petits poings. Ils étaient si pleins de vie, que tout le monde dans la pièce a pratiquement été forcé de sourire.