Lettre de l’AURDIP au Président-Directeur Général de l’ONERA (centre français de recherche aérospatiale)

Monsieur le Président-Directeur Général de l’ONERA 8 Octobre 2013 Monsieur le Directeur, L’Association des Universitaires pour le Respect du Droit International en Palestine (AURDIP) a appris que, dans le cadre….

Monsieur le Président-Directeur Général de l’ONERA

8 Octobre 2013

Monsieur le Directeur,

L’Association des Universitaires pour le Respect du Droit International en Palestine (AURDIP) a appris que, dans le cadre des programmes-cadres de recherche européens (PCRD), une étude a été menée par l’ONERA, le centre de recherche aérospatial français, sur un possible avion personnel automatisé sans pilote pour 2 ou 4 passagers (« Personal Plane »). Le budget de ce projet a atteint 4,4 millions d’euros, dont 3,3 millions sur fonds européens. Cette étude a été réalisée en association avec 13 partenaires européens, ainsi qu’avec l’IAI (Israel Aerospace Industries), une société israélienne d’armement. De même, notre association a appris que dans un cadre identique, une étude a été réalisée par l’ONERA, en vu d’élaborer une stratégie commune d’exploitation des drones pour la surveillance des frontières terrestres et maritimes, dénommé Oparus (Open architecture for UAV – based Surveillance System). Ce projet rassemble 13 partenaires européens, ainsi que l’IAI. Il est également financé à hauteur de 1,19 million par des fonds européens. L’existence d’autres projets communs avec l’IAI sur fonds européens peuvent être relevés : Crescendo, 4DCo-GC, Clean Sky.

L’Association des Universitaires pour le Respect du Droit International en Palestine n’a pas à ce stade de commentaire à faire sur le fond de ces projets innovants. Toutefois, la participation à ces projets de la société israélienne IAI nous inquiète fortement. Nous n’ignorons pas que l’Etat d’Israël dispose d’un statut de membre associé à l‘Union européenne lui permettant de bénéficier de fonds européens, notamment dans le domaine de la recherche. Notre association regrette cependant que ce statut soit toujours accordé à l’Etat d’Israël. En effet, l’article 2 de l’accord euro-méditerranéen signé en 1995 établissant une association entre la Communauté européenne et l’État d’Israël stipule que « les relations entre les parties, de même que toutes les dispositions du présent accord, se fondent sur le respect des droits de l’homme et des principes démocratiques, qui inspire leurs politiques internes et internationales et qui constitue un élément essentiel du présent accord ». Or, manifestement, l’Etat d’Israël, en conduisant des politiques en contradiction avec le droit international humanitaire et le droit international des droits de l’homme, ne respecte pas plus lesdites normes que son engagement pris en 1995 vis-à-vis de l’Union européenne.

Rappelons que le 9 juillet 2004, la Cour internationale de Justice de La Haye a rendu, à la demande de l’Assemblée générale des Nations Unies, un avis sur les conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé. Cet Avis déclare illégaux au regard du droit international tant le mur de séparation que les colonies de peuplement israélien construits en territoire palestinien occupé. La Cour indique, en outre, qu’il appartient à l’État d’Israël de démanteler le mur de séparation et les colonies de peuplement.

Cet Avis indique également (§154 à §160) qu’il est de la responsabilité de chaque Etat membre de la communauté internationale mais également des organisations internationales – en ce compris les organisations régionales – de faire respecter le droit international par l’Etat d’Israël. La Cour précise bien qu’il s’agit d’un devoir qui pèse sur chaque Etat membre de la communauté internationale et non seulement une faculté. Cette obligation implique d’exercer toutes les formes nécessaires de pression et de sanctions, dans le respect du droit international et de la Charte des Nations Unies, contre l’Etat d’Israël pour qu’il se conforme à l’Avis de la Cour. Nous regrettons que l’Union européenne ne respecte pas cette obligation, notamment dans sa politique de financement de la recherche.

S’agissant spécifiquement de la société IAI, l’Association des Universitaires pour le Respect du Droit International en Palestine relève que ladite société a conçu et fabriqué toute une série d’armes (avions, hélicoptères, drones, navires, missiles) et de systèmes d’armes, mais les a également vendus à l’armée israélienne et a facilité leur mise en œuvre par cette armée. Or, il ne vous aura pas échappé que l’ensemble de ces matériels ont été et sont toujours utilisés par l’armée israélienne dans la bande de Gaza, soumis à un blocus illégal au regard du droit international et à d’intenses bombardements et incursions de l’armée israélienne, dont l’opération Plomb durci en décembre 2008 et janvier 2009 qui a provoqué la mort de 1.400 personnes dont près des deux tiers sont des civils – hommes, femmes et enfants. Ces armes ont été et sont encore mises en œuvre par l’armée israélienne en Cisjordanie, dans laquelle est conduite une politique active de colonisation, illégale au regard du droit international, tout comme le sont de nombreuses mesures répressives prises contre la population palestinienne, et ont été utilisées au Sud-Liban en 2006, notamment lors du bombardement du village de Cana, qui a causé la mort de 28 civils, dont des femmes et des enfants.

L’utilisation des armes et systèmes d’armes de la société IAI par l’armée israélienne pour mettre en œuvre le blocus de Gaza, protéger les colonies illégales de Cisjordanie, surveiller le mur de séparation illégal, commettre des assassinats extrajudiciaires (appelés aussi « assassinats ciblés » : ils sont assurément des assassinats mais certainement pas ciblés compte tenu du nombre de victimes civiles qu’il provoque) et pour bombarder sans discrimination des zones densément peuplées de civils palestiniens est une réalité connue de tous et assumée par les Israéliens eux-mêmes. De même, l’armée israélienne n’hésite pas, dans les zones qu’elle a pour tâche de surveiller (frontières internationales, mur de séparation illégal en Cisjordanie, barrière de sécurité qui enserre la bande de Gaza, colonies illégales de Cisjordanie), à effectuer des tirs de neutralisation, tuant ou blessant gravement des civils et qui ont, en outre, pour effet de terroriser les populations civiles qui vivent à proximité. Ainsi, les armes et systèmes d’armes de la société IAI ont été et sont encore actuellement le vecteur de la commission de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité relevés par de nombreux rapports des Nations Unies, dont le rapport de la Mission internationale indépendante d’établissement des faits sur le conflit à Gaza daté du 15 septembre 2009 (rapport Goldstone).

Or, le droit international considère que la fourniture d’armes et de matériels à l’auteur d’un crime de guerre ou d’un crime contre l’humanité revient à aider et encourager la perpétration du crime et donc à engager la responsabilité pénale du fournisseur en tant que complice (art. 25§ 3 et 30 du Statut de la Cour pénale internationale ratifié par la France ; Tribunal spécial pour la Sierra Leone, Jugements des 16 mars 2006, §40 et 26 avril 2011, §149). Il s’ensuit que de fortes présomptions de complicité de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité pèsent sur l’entreprise IAI.

L’Association des Universitaires pour le Respect du Droit International en Palestine souhaitait vous le rappeler. Ces éléments devraient naturellement conduire les pouvoirs publics français et européens à ne pas collaborer avec un client, dont on peut raisonnablement penser qu’il viole le droit international humanitaire en sa qualité de complice des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité commis par l’armée israélienne. Nous en appelons donc à votre obligation de respecter le droit international et vous invitons à cesser toute collaboration avec cette entreprise. Nous vous remercions par avance de bien vouloir nous indiquer les mesures concrètes qui seront prises en ce sens.

Ivar Ekeland

Président de l’AURDIP

Ancien Président de l’Université Paris-Dauphine

Ancien Président du Conseil Scientifique de l’École Normale Supérieure