Le témoignage de Paul Alliès au procès de Perpignan

Paul Alliès | Médiapart | 24 juin 2013 | Le 20 juin avait lieu à Per­pignan le procès de trois militant(e)s du « Col­lectif Paix et justice en Palestine », pour­suivis pour….

Paul Alliès | Médiapart | 24 juin 2013 |

Le 20 juin avait lieu à Per­pignan le procès de trois militant(e)s du « Col­lectif Paix et justice en Palestine », pour­suivis pour avoir mené une action d’information des consom­ma­teurs du magasin Car­refour de cette ville, les appelant au boycott des pro­duits exportés par Israël… Avec Michel War­chawski, pré­sident du Centre d’Information alter­native de Jéru­salem et André Rose­vègue, pré­sident de l’UJFP, j’étais cité comme témoin de moralité.

« Pourquoi je témoigne en faveur des inculpés à ce procès ?

1) En vertu de mon engagement personnel le plus ancien :

– Res­pon­sable des Jeu­nesses Etu­diantes Chré­tiennes (JEC) dans le diocèse de Mont­pellier quand j’étais étudiant à la Faculté de Droit de Mont­pellier (1964) j’engage ce mou­vement contre l’apartheid en Afrique du Sud après la condam­nation à la prison à per­pé­tuité de Nelson Mandela en 1964. Le boycott des Oranges Outspan (mais aussi de Total) sera un terrain pri­vi­légié et popu­laire jusqu’en 1978. Mont­pellier, ville par­ti­cu­liè­rement impliquée dans ce mou­vement, en a gardé la mémoire : c’est ce qu’a voulu la muni­ci­palité en donnant en 1978 à une de ses rues le nom d’Albert LUTHULLI, pré­sident de l’ANC et prix Nobel de la Paix en 1960 pour son action contre l’Apartheid.

– Chargé des cours de Droit Consti­tu­tionnel en 1980 puis d’Histoire poli­tique de la France contem­po­raine à la Faculté de Droit de Mont­pellier, j’y ai abordé régu­liè­rement la question du régime de Vichy (très peu traitée à l’époque dans ces ensei­gne­ments dans les Facultés de Droit) en par­ti­culier sur la question de ses res­pon­sa­bi­lités dans le crime de bureau et de masse ; mais aussi de celles des élites poli­tiques et admi­nis­tra­tives de la France d’alors dans l’extermination des Juifs. Il faudra attendre la décla­ration de Jacques Chirac pour l’anniversaire de la rafle du Vel d’hiv le 16 juillet 1995 pour que cette question soit offi­ciel­lement tranchée. Dans ces cours, je mettais en évidence le fait que les Juifs de France aient été depuis 1789 à l’avant-garde dans la lutte pour les droits civiques, l’égalité devant la loi, la démo­cratie et la sépa­ration de l’Eglise et de l’Etat ; l’antisémitisme dont la France a été le berceau dès les années 1880 s’est en grande partie nourri de ce fait. Il est donc à mes yeux par­ti­cu­liè­rement scan­daleux de confondre aujourd’hui l’antisémitisme avec l’opposition à la poli­tique de l’Etat d’Israël.

– Conseiller régional du Languedoc-​​Roussillon, je refuse de voter le 25 juin 2009, un avenant à un amé­na­gement du port de Sète pour la société AGREXCO au motif qu’elle est contrôlée à 50% par l’Etat d’Israël et que son activité repose sur l’exportation de colonies implantées dans les ter­ri­toires pales­ti­niens les­quels sont interdits d’importation au sein de l’Union Euro­péenne. Le 7 mars 2010 je repré­sente à Sète Hélène Man­droux, maire de Mont­pellier, par ailleurs à la tête de la liste socia­liste pour les élec­tions régio­nales à une marche pour le boycott d’Agrexco.

2) En vertu de mon action constante pour le respect du droit :

– En tant que citoyen, j’ai par­ticipé à plu­sieurs actions de boycott à l’occasion de l’invasion sovié­tique de l’Afghanistan en 1979 jusqu’à la signature d’une pétition en ce sens contre l’Euro 2012 de Football en Ukraine (contre l’emprisonnement de l’opposante Timo­chenko). Les cam­pagnes paci­fiques de déso­béis­sance civile s’adressant à la conscience des usagers, uti­li­sa­teurs et consom­ma­teurs font partie de la tra­dition mili­tante fran­çaise. Celle-​​ci est forte d’un enga­gement des asso­cia­tions et mou­ve­ments démo­cra­tiques dans le débat d’idées et la mobi­li­sation inter­na­tionale. Confor­mément à cette tra­dition, j’ai soutenu l’appel émanant de la société civile pales­ti­nienne en 2005. Et je prends soin, en tant que titu­laire d’une carte de fidélité des magasins Car­refour à ne pas y acheter des pro­duits ali­men­taires en pro­ve­nance des colonies israé­liennes en Palestine.

– En tant que pro­fesseur des Facultés de Droit, j’adhère par­fai­tement à l’idée qui est à la base de cet appel à savoir « la seule exi­gence est qu’Israël honore son obli­gation de recon­naître le droit inalié­nable des pales­ti­niens à l’autodétermination et res­pecte entiè­rement les dis­po­si­tions des lois inter­na­tio­nales ». Ce qui n’est tou­jours pas le cas après 32 réso­lu­tions du Conseil de sécurité de l’ONU, l’arrêt de la Cour Inter­na­tionale de Justice sur la construction du mur en Cis­jor­danie de juillet 2004, les condam­na­tions par les Gou­ver­ne­ments des bom­bar­de­ments massifs sur Gaza en 2008 et de la pour­suite sans fin de la colo­ni­sation des ter­ri­toires (à l’origine des exclu­sions com­mer­ciales prises par l’Union Euro­péenne pour les pro­duits importés de ces der­niers). Le pro­blème est que les Etats et la com­mu­nauté inter­na­tionale s’avèrent inca­pables d’exercer les pres­sions suf­fi­santes pour faire res­pecter leurs mesures. Cette impuis­sance appelle donc une mobi­li­sation de la société civile. Et ce n’est pas Israël qui est visé en tant qu’Etat par la cam­pagne de boycott, mais bien sa politique.

– En tant que Doyen hono­raire de la Faculté de Droit, j’ai mis en chantier la signature d’une convention avec l’Université Al Qud de Jéru­salem (la plus ancienne uni­versité arabe de cette ville, crée en 1975 et qui est placée sous la juri­diction de l’Etat d’Israël). Après bien des dif­fi­cultés, cette signature a été acquise en 2007. Elle n’a pu jusqu’ici être activée tant les dif­fi­cultés sont consi­dé­rables en matière d’échanges d’étudiants et d’enseignants. Dans le domaine uni­ver­si­taire aussi les vio­la­tions du droit et des libertés aca­dé­miques sont per­ma­nentes. C’est pourquoi j’ai soutenu l’appel au boycott des uni­ver­sités israé­liennes lancé par l’Association des Pro­fes­seurs d’Université bri­tan­niques en 2005 en s’inspirant du boycott des uni­ver­sités sud-​​africaines à l’époque de l’apartheid. Cet appel a suscité une vive polé­mique dans la com­mu­nauté uni­ver­si­taire. Il reste qu’il me semble jus­tifié par le fait que le boycott est l’une des formes les plus justes mora­lement pour libérer l’oppresseur de son oppression, tout par­ti­cu­liè­rement chez les intellectuels.

Il ressort de tout cela que l’action des per­sonnes que vous êtes appelés à juger aujourd’hui m’apparaît comme par­fai­tement conforme à la défense du droit et des libertés fon­da­men­tales dans notre pays. Elle met en évidence l’incongruité de cette directive du 12 février 2010 de la Ministre de la Justice d’alors (Mme Alliot-​​Marie) qui force les pro­cu­reurs de la Répu­blique à les pour­suivre en dépit de l’état du droit pénal positif. Celui-​​ci ne contient heu­reu­sement aucune dis­po­sition contraire à la liberté d’expression telle que reconnue et pro­tégée par toutes les grandes conven­tions inter­na­tio­nales. Si bien que, pour exister la directive en question exploite trois lois qui n’ont rien à voir avec le sujet : celle du 1° juillet 1972 contre la pro­vo­cation à la dis­cri­mi­nation , la haine ou la vio­lence contre un per­sonne ou un groupe de per­sonnes à raison de leur origine ou appar­te­nance à une ethnie, nation, race ou religion déter­minée ; celle du 30 décembre 2004 pour le même motif mais à raison de leur sexe, han­dicap ou orien­tation sexuelle ; celle enfin du 7 juillet 1977 contre le boycott par cer­tains pays d’entreprises fran­çaises ayant des rela­tions com­mer­ciales avec Israël. Il est invrai­sem­blable que cette directive qui viole le principe d’interprétation stricte en droit pénal soit tou­jours en vigueur un an après l’arrivée de Chris­tiane Taubira à la Chancellerie.

Voilà pourquoi je conti­nuerai à boy­cotter les pro­duits israé­liens dès lors que l’origine de leur pro­ve­nance des colonies n’est pas indiquée : c’est pour moi la conti­nuation de mon combat contre l’antisémitisme par d’autres moyens, par­fai­tement nobles et légi­times, conforme à la meilleure tra­dition fran­çaise de démo­cratie et de civisme.