Lettre de l’AURDIP à Madame Christiane Taubira Garde des Sceaux Ministre de la Justice

AURDIP | 15 novembre 2012 | Madame Christiane Taubira Garde des Sceaux Ministre de la Justice Madame le ministre, Comme vous le savez, Mme Michèle Alliot-Marie, alors ministre de la….

AURDIP | 15 novembre 2012 |

Madame Christiane Taubira

Garde des Sceaux

Ministre de la Justice

Madame le ministre,

Comme vous le savez, Mme Michèle Alliot-Marie, alors ministre de la Justice, avait cru bon en 2010 d’adopter une circulaire (CRIM-AP, 12 février 2010, n°09-900-A4) enjoignant aux procureurs de la République d’engager des poursuites pénales contre les personnes appelant au boycott des produits israéliens. Cette circulaire a été vivement critiquée tant par de nombreux responsables politiques (dont l’ancien ministre de la Justice, Élisabeth Guigou), par des magistrats, des avocats et des responsable d’ONG et plus généralement par tous ceux attachés à la liberté d’expression et au rôle des acteurs de la société civile sur des sujets d’intérêt général. Elle a pourtant été maintenue et des poursuites pénales ont été engagées sur tout le territoire contre plus d’une centaine de personnes, y compris contre des militants associatifs pacifiques appelant à ne pas acheter des produits israéliens afin que l’Etat d’Israël respecte le droit international en Palestine.

L’Association des Universitaires pour le Respect du Droit International avait espoir que l’alternance politique intervenue en mai 2012 allait permettre une abrogation de cette circulaire liberticide. Or, notre étonnement fut grand de constater que la circulaire du 15 mai 2012 (CRIM-AP n°2012-0034-A 4), prise sous votre autorité, confirme celle du 12 février 2010.

Nous sommes particulièrement inquiets par l’amalgame que cette circulaire effectue entre l’article 24 alinéa 8 de la loi du 29 Juillet 1881 et l’article 225-2 du Code Pénal, et qui aboutirait, suivant ladite circulaire, à “sanctionner le fait, non pas d’entraver une activité économique, mais d’inciter, par des discours ou des écrits, à le faire”. Cet amalgame nous paraît mal fondé en droit, et contraire à l’esprit, tant de la loi de 1881 que de l’article 225-2 du Code Pénal.

Par ailleurs, l’Association des Universitaires pour le Respect du Droit International en Palestine craint que cette interprétation des textes ne conduise en définitive à rendre impossible la diffusion de certaines informations et le débat d’idées sur le conflit israélo-palestinien et in fine de faire avancer le droit international dans cette région du monde.

Nous avons donc l’honneur de vous demander de revoir ou d’abroger cette circulaire ainsi que celle de 2010. A cette fin, je me permets de solliciter un entretien auprès de vous, afin de vous exposer notre position et de jeter les bases de ce qui serait, à notre sens, une interprétation des textes plus respectueuse de la liberté d’expression.

Ivar Ekeland

Président de l’AURDIP et Ancien Président de l’Université Paris-Dauphine


A lire aussi :

L’appel au boycott de produits en provenance d’Israël ne constitue pas une infraction, par le magistrat Ghislain POISSONNIER (Gazette du Palais, 6 septembre 2012) : Commentaire de l’arrêt de la Cour d’appel de Paris publié à la Gazette du Palais (25-26 juillet 2012, p. 20).

LIBERTÉS PUBLIQUES : L’appel au boycott des produits d’un État par un citoyen n’est pas interdit par le droit français, par le magistrat Ghislain Poissonnier (Gazette du Palais, septembre 2011 n° 244, P. 15).

Une pénalisation abusive de l’appel citoyen au boycott, par le Magistrat Ghislain Poissonnier (Recueil Dalloz – 7 octobre 2010 – n° 34, p. 931).