La façon dont le collège fondé à Ariel a accédé au statu d’université incarne les modes pervertis de pensée et d’action du gouvernement.
Zeev Sternhell | Haaretz | 22 août 2012 |
Ariel, la nouvelle ville universitaire, est le symbole d’Israël et sa véritable vitrine. La colonie, située à environ 20 km à l’est de la Ligne verte, était dès le départ destinée à créer une enclave au cœur de la Cisjordanie afin d’empêcher l’établissement d’un Etat palestinien viable. Un collège y a été fondé et la manière dont il vient d’être transformé en université s’inscrit en droite ligne dans la poursuite de cet objectif tout en incarnant les modes pervertis de pensée et d’action du gouvernement.
Le collège témoigne aussi de l’ordre réel des priorités d’Israël. Son statut a été changé de manière arrogante en appliquant un processus qui a totalement fait fi des règles académiques et ignoré de façon flagrante les critères communément acceptés dans le cas des autres universités israéliennes.
Mais le fait d’armes du ministre des Finances, Youval Steinitz, et du ministre de l’Éducation, Gideon Sa’ar, ne relève pas de la corruption politique ordinaire. Les deux ministres ne se sont pas limités à tenter d’acheter les votes des militants du Likoud installés dans les Territoires palestiniens occupés. Leur intention était d’apporter leur pierre à l’entreprise d’annexion de la Cisjordanie.
Pour arriver à leurs fins, aucun prix n’a été jugé trop élevé. Tout le monde sait que la construction d’une université à partir de zéro nécessite des ressources considérables, tant sur le plan financier qu’humain. Tout le monde sait aussi que la transformation du Collège d’Ariel en université tirera l’ensemble du système vers le bas et entachera la réputation de la science et de la recherche israéliennes.
La décision prise par le Conseil de l’enseignement de Judée et Samarie – une institution des colons, dont l’existence même témoigne du mépris pour le milieu universitaire israélien – de créer un établissement universitaire fournira tout à la fois une occasion et un prétexte pour un boycott généralisé international. Jusqu’à présent, toutes les tentatives de boycott des institutions universitaires israéliennes ont échoué en raison de la stature personnelle d’universitaires israéliens. En vérité, c’est la gauche qui a réussi jusqu’à présent à bloquer et repousser de telles mesures. Mais le temps est maintenant venu de confier cette mission à la nouvelle université ainsi qu’à ses protecteurs et mécènes.
Il serait intéressant d’interpeller l’ancien juge de la Cour suprême, Edmond Levy, lequel a dirigé le comité qui a récemment conclu que la Cisjordanie n’était pas un territoire occupé. On pourrait lui demander de répondre à deux questions qu’il a jusqu’à présent négligées. Quel poids devrait-on accorder aux désirs de la population occupée dans la détermination du statut des Territoires palestiniens occupés ? De quelle source l’occupant tire-t-il son pouvoir d’ignorer complètement le droit à l’autodétermination de cette population ?
Le gouvernement n’a pas assez d’argent pour loger – actuellement et dans le futur – les sans-abri car les partis nationalistes les considèrent comme des individus inutiles. Cependant, le contribuable devra débourser 750 000 shekels pour reloger chacune des familles résidant dans l’avant-poste de Migron parce que le Likoud considère que cette dépense respecte l’esprit véritable du sionisme.
Steinitz et Sa’ar n’ont pas fait leur entrée à la Knesset et n’ont pas rejoint l’équipe gouvernementale afin de faire la paix, de préserver le système de l’enseignement supérieur créé grâce aux efforts des générations précédentes ou encore pour établir un Etat qui se préoccupe véritablement du bien être de tous. Ils l’ont fait pour prendre le contrôle de l’ensemble du territoire d’Israël. Ils n’ont pas simplement peur des colons ; ils sont eux-mêmes des colons.
On ne peut dire la même chose de l’opposition. Mais c’est précisément là que réside le vrai problème de la politique israélienne : les dirigeants de l’opposition n’ont pas le courage de se détacher du passé. Tous ceux qui s’opposent au gouvernement sont conscients du fait que la politique de la droite favorise l’avènement d’un Etat binational qui détruira la raison d’être d’Israël. Mais ils ne peuvent rompre avec la malheureuse idée fixe qui veut qu’il existe un consensus au sujet des Territoires palestiniens occupés et qu’en conséquence quiconque souhaite survivre politiquement ne peut rejeter les colonies.
C’est Shimon Peres, ministre de la Défense dans les années 1970, qui a établi ce concept. C’est à cette époque que remonte la création de la colonie d’Elon Moreh près de Naplouse, laquelle a ouvert la voie à la colonisation dans cette partie de la Cisjordanie. Le ministre de la Défense Ehud Barak – qui a succédé à Peres à la tête du Parti travailliste et à qui nous devons la deuxième Intifada – a suivi ses traces. Et aujourd’hui le flambeau a été transmis à l’actuelle dirigeante du Parti travailliste, Shelly Yacimovich. Pourquoi cette femme de talent doit-elle endosser toutes les énormes erreurs et les échecs subis par son parti au cours du passé ? Pourquoi a t-elle décidé de suivre le chemin tracé par ces deux déserteurs du parti travailliste à un moment où la logique politique et le devoir moral exigent de pouvoir contrer la droite grâce à une position claire, globale et déterminée ? La lâcheté, même quand elle est masquée par le voile de la sophistication et d’un prétendu pragmatisme, n’a jamais été considérée comme une recette pour la victoire.