L’immeuble abritant les locaux d’Associated Press et Al-Jazira à Gaza pulvérisé par un missile israélien

L’armée israélienne a affirmé que des équipements militaires du Hamas, le mouvement islamiste au pouvoir dans l’enclave, se trouvaient dans la tour. Les rédactions ont été averties de la frappe une heure avant mais n’ont pas pu emporter leur équipement.

Le symbole ciblé est lourd de sens. Une tour de la ville de Gaza qui abritait les locaux de médias internationaux a été anéantie, samedi 15 mai, par une frappe annoncée quelques minutes avant par l’armée israélienne, tandis que les tirs de roquette vers la région de Tel-Aviv ont repris, tuant un Israélien.

L’immeuble de treize étages visé par l’aviation israélienne, qui venait d’être évacué, notamment par les équipes de la chaîne d’information qatarie Al-Jazira et de l’agence de presse américaine Associated Press (AP), s’est effondré.

« Nous avons couru dans les escaliers depuis le 11e étage et regardons maintenant le bâtiment de loin, priant pour que l’armée finisse par se rétracter », avait tweeté, peu de temps avant le raid, Fares Akram, correspondant pour AP à Gaza. Peu après, il montrait l’énorme nuage de fumée qui continuait de s’élever dans le ciel.

« La destruction des bureaux d’Al-Jazira et de ceux d’autres médias dans la tour Al-Jalaa à Gaza est une violation flagrante des droits humains et est considérée internationalement comme un crime de guerre », a dénoncé Mustapha Souag, le directeur général par intérim du groupe qatari, ajoutant : « Le but de ce crime odieux est de faire taire les médias et de cacher le carnage et la souffrance indicibles de la population de Gaza. »

Le directeur de l’information d’Al-Jazira, Asef Hamidi, a fait savoir que la chaîne prendra « toutes les mesures pour poursuivre Israël », ajoutant que « la réponse la plus importante [était] de continuer à couvrir les événements ».

Israël veut « réduire au silence les médias qui voient, documentent et disent la vérité sur ce qui se passe », a aussi fustigé le directeur du bureau d’Al-Jazira dans les territoires palestiniens et en Israël, Walid Al-Omari, déclarant que ce « crime » s’ajoutait à la « série de crimes perpétrés par l’armée israélienne » à Gaza. Israël ne veut pas « seulement répandre la destruction et la mort à Gaza, mais aussi réduire au silence les médias qui voient, documentent et disent la vérité sur ce qui se passe », a fustigé le journaliste basé à Jérusalem.

« Je travaille ici depuis onze ans. J’ai couvert plusieurs événements depuis cet immeuble. Et là, en deux secondes, tout s’est évaporé », avait aussi déploré le correspondant anglophone de la chaîne qatarie à Gaza, Safwat Al-Kahlout, cité sur le compte Twitter d’Al-Jazira.

Plus importante chaîne d’information du monde arabe, Al-Jazira est régulièrement prise pour cible par des régimes autoritaires au Moyen-Orient, où ses correspondants couvrent guerres et soulèvements populaires. Le puissant groupe médiatique financé par le Qatar est accusé par ses détracteurs de sympathie envers des mouvements islamistes dont Doha est proche.
« Choqués et horrifiés »

« Nous sommes choqués et horrifiés par le fait que l’armée israélienne vise et détruise l’immeuble abritant le bureau d’AP et d’autres médias à Gaza », a quant à lui réagi le patron de l’agence de presse AP, Gary Pruitt, dans un communiqué. « Ils connaissent depuis longtemps l’emplacement de notre bureau et savaient que des journalistes s’y trouvaient. Nous avons été avertis que l’immeuble serait frappé », a-t-il ajouté, précisant :

« C’est un développement incroyablement inquiétant. Nous avons évité de justesse de terribles pertes humaines. Une dizaine de journalistes et de pigistes d’AP se trouvaient dans l’immeuble et, heureusement, nous avons pu les évacuer à temps »

Se disant également « profondément choqué », le directeur de l’information de l’Agence France-Presse, Phil Chetwynd, a exprimé la « solidarité » de l’agence envers ses collègues.

Jawad Mehdi, propriétaire de la tour Jala, a déclaré qu’un officier israélien du renseignement l’avait prévenu, avant la frappe, qu’il disposait d’une heure pour faire évacuer le bâtiment. Il a demandé dix minutes supplémentaires pour que les journalistes puissent emporter leur équipement, mais a essuyé un refus.

Dans un communiqué, les forces israéliennes ont confirmé la frappe sur cet immeuble qui abritait, selon elles, « des entités appartenant au renseignement militaire de l’organisation terroriste Hamas » et accusé l’organisation islamiste de « délibérément installer des cibles militaires dans des zones ultrapeuplées », se servant, toujours selon l’armée israélienne, des civils comme « boucliers humains ». L’aviation israélienne avait déjà réduit à néant, jeudi, une tour de plus de dix étages abritant des bureaux de la chaîne palestinienne Al-Aqsa, créée il y a quelques années par le Hamas.

La Maison Blanche a de son côté assuré avoir « dit directement aux Israéliens que garantir la sécurité des journalistes et des médias indépendants était une responsabilité d’une importance capitale », selon un tweet de sa porte-parole Jen Psaki.

Le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, s’est entretenu au téléphone avec le président américain, Joe Biden, au sujet de cette frappe, a fait savoir la Maison Blanche dans un communiqué. M. Nétanyahou aurait fait valoir qu’il avait « tout [fait] pour éviter de s’en prendre à des personnes non impliquées », et insisté sur le fait que l’évacuation des personnes de l’immeuble « où se trouvaient des cibles terroristes » avait été organisée en amont du raid.

Une famille palestinienne décimée

En dépit de l’intensification des efforts diplomatiques visant à mettre fin à six jours de combats entre Israël et les militants palestiniens à Gaza, près de 300 roquettes ont à nouveau été lancées dans la nuit de vendredi à samedi depuis Gaza en direction d’Israël, selon l’armée israélienne, qui a poursuivi ses raids, certains meurtriers, sur plusieurs sites dans l’enclave côtière sous blocus.

Dix Palestiniens, parmi lesquels deux femmes et huit enfants, membres d’une même famille, ont été tués à l’aube dans l’une de ces frappes sur le camp de réfugiés d’Al-Shati, situé dans la capitale de l’enclave, où vivent sous blocus israélien deux millions de Palestiniens.

Le Hamas, qui avait déjà tiré environ 300 roquettes dans la nuit, selon l’armée israélienne, a répliqué à ce raid dans la matinée en tirant une salve de roquettes sur le centre d’Israël, pour venger la frappe « contre des femmes et des enfants ». Un Israélien de 50 ans, au volant de sa voiture, a été tué par l’un de ces tirs dans la banlieue de Tel-Aviv, ont rapporté la police et les secours israéliens.

Alors que la flambée de violence entre Israël et les militants du Hamas à Gaza ne montre aucun signe d’accalmie après six jours de conflit, le dernier bilan des autorités palestiniennes fait état de 139 morts, parmi lesquels 39 enfants, et 1 000 blessés dans les bombardements israéliens sur l’enclave palestinienne.

Cette opération militaire israélienne, la plus importante depuis la guerre de 2014 avec le mouvement islamiste à Gaza, a commencé lundi, en réponse à un barrage de roquettes du Hamas sur Israël, tirées en « solidarité » avec le soulèvement palestinien sur l’esplanade des Mosquées, à Jérusalem-Est.

Depuis, plus de 2 300 roquettes ont été lancées sur le territoire israélien, tuant dix personnes, parmi lesquelles un enfant et un soldat, et faisant plus de 560 blessés. Selon l’armée, le bouclier antimissiles Dôme de fer en a intercepté plus de la moitié.

Le Monde avec AFP