L’étiquetage spécifique des produits des colonies israéliennes de Cisjordanie validée par la CJUE

– Les denrées alimentaires originaires d’un territoire occupé par l’État d’Israël doivent porter non seulement la mention de ce territoire, mais également, dans le cas où de telles denrées alimentaires proviennent d’une localité ou d’un ensemble de localités constituant une colonie israélienne à l’intérieur dudit territoire, la mention de cette provenance.

– La Cour valide ainsi la Communication interprétative adoptée en 2015 par la Commission européenne invitant les États membres, sur la base du règlement (UE) n° 1169/2011 du 25 octobre 2011, concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires, à prévoir un étiquetage spécifique des produits des colonies israéliennes.

– La Cour – tout comme la Commission européenne – se fonde sur le droit international qui consacre l’illégalité des colonies israéliennes, sans en tirer toutes les conséquences, puisque l’étiquetage prévu par la Communication interprétative constitue une mesure a minima au regard des exigences du droit international, qui aura une portée économique limitée.

Commentaire par Éric PICHET professeur à Kedge Business School et Ghislain POISSONNIER magistrat

CJUE, 12 nov. 2019, aff. C-363/18, Vignoble Psagot Ltd . : JurisData n° 2019-022054

Note :

Le 12 novembre 2019, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), saisie à titre préjudiciel par le Conseil d’État (CE, 5e et 6e ch., 30 mai 2018, n° 407147 : JurisData n° 2018-009585 ; RD rur. 2018, comm. 174, F. Dubuisson et G. Poissonnier), a validé la législation européenne imposant un étiquetage spécifique des produits des colonies israéliennes implantées dans les territoires occupés par Israël (CJUE, gr. ch., 12 nov. 2019, aff. C-363/18).

Dans le cadre de la politique dite de « différenciation » entre l’État d’Israël et les colonies israéliennes, la Commission européenne a adopté le 12 novembre 2015 une « Communication interprétative » invitant les États membres de l’UE à prévoir dans leur législation un étiquetage spécifique pour les produits issus des colonies israéliennes vendus sur le marché européen. Cet étiquetage spécifique s’inscrit d’ailleurs dans la droite ligne de l’Accord d’association entre l’UE et Israël de 1995 qui refuse les bénéfices d’un régime douanier préférentiel aux produits des colonies, comme l’a confirmé le juge européen (V. CJUE, 25 févr. 2010, aff. C-386/08, Firma Brita GmbH/Hauptzollamt Hamburg-Hafen : JurisData n° 2010-003842 ; Europe 2010, comm. 130, obs. D. Simon).

Le 24 novembre 2016, cette Communication interprétative a été transposée en droit français par un « Avis aux opérateurs économiques relatif à l’indication de l’origine des marchandises issues des territoires occupés par Israël depuis juin 1967 » pris par le ministère de l’Économie et des finances (V. P. Velilla, Le conflit sur l’étiquetage des produits des colonies israéliennes dans les territoires occupés : RD rur. 2017, étude 9).

Dès sa publication, l’avis ministériel a fait débat en France, le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) l’accusant, pêle-mêle, d’être discriminatoire et de renforcer la compagne Boycott Désinvestissement Sanctions (BDS) qui réclame des sanctions contre Israël. C’est dans ce contexte qu’une association (l’organisation juive européenne) et une entreprise israélienne (la société vignoble Psagot Ltd qui exploite des vignes dans une colonie israélienne près de Ramallah en Cisjordanie) ont saisi en 2017 le Conseil d’État en vue de faire annuler pour excès de pouvoir l’avis du 24 novembre 2016.

Si la validation par la CJUE de l’étiquetage des produits des colonies a déclenché les protestations du gouvernement israélien regrettant un jugement « politique et discriminatoire », tout comme celles du département d’État américain dénonçant « un parti pris anti-israélien », l’arrêt rendu le 12 novembre 2019 se fonde sur le droit international(1) mais la législation qu’il valide n’aura probablement qu’une portée économique limitée(2).

1. L’étiquetage obligatoire des denrées issues des colonies israéliennes conforme au droit international

La CJUE ne fait que rappeler le droit international en indiquant que la Cisjordanie, Jérusalem-Est, et la bande de Gaza sont toujours des territoires palestiniens et le plateau du Golan un territoire syrien (pt 35), même s’ils sont occupés par Israël depuis 1967 (pt 34) ; et surtout que les colonies qu’Israël y a implantées sont illégales (pt 48). Sur ce dernier point, la CJUE reprend la jurisprudence de la Cour internationale de Justice (CIJ) dans son avis sur les conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé du 9 juillet 2004.

En effet, la politique systématique de transfert de la population civile israélienne vers les territoires occupés par Israël – plus de 650 000 colons maintenant – ayant abouti à la création et à l’extension de colonies constitue une violation flagrante du droit international humanitaire (IVe Conv. Genève, art. 49, § 6) comme du droit international public (en portant atteinte au droit à l’autodétermination du peuple palestinien et en sapant la possibilité de la création d’un État palestinien). Elle répond en outre à la qualification de crime de guerre au regard du protocole additionnel I aux Conventions de Genève et du Statut de Rome (V. E. David et G. Poissonnier, La colonisation israélienne en Cisjordanie : un crime de guerre ? : Rev. dr homme, n° 16, 2019).

Le constat de l’illégalité des colonies exige donc des États qu’ils s’abstiennent de reconnaître les colonies, qu’ils ne portent pas aide et assistance à leur existence et à leur extension mais aussi qu’ils fassent pression sur Israël pour qu’il les démantèle (V. CIJ, avis de 2004). C’est pourquoi, le Conseil de sécurité de l’ONU a demandé aux États membres qu’ils pratiquent « une distinction dans leurs échanges, entre le territoire de l’État d’Israël et les territoires occupés depuis 1967 » (V. Cons. sécurité, Rés. 2334, 23 déc. 2016).

De manière plus globale, la CJUE place également le débat sur le terrain de l’éthique en énonçant dans ses motifs que « les consommateurs sont susceptibles de prendre leurs décisions d’achat en tenant compte de considérations liées au fait que les denrées alimentaires en cause au principal proviennent de colonies de peuplement établies en violation des règles du droit international humanitaire » (pt 55). Selon le juge européen, « la circonstance qu’une denrée alimentaire provient d’une colonie de peuplement établie en méconnaissance des règles du droit international humanitaire est susceptible de faire l’objet d’appréciations d’ordre éthique pouvant influencer les décisions d’achat des consommateurs, et ce d’autant plus que certaines de ces règles constituent des règles essentielles du droit international » (pt 56).

C’est donc pour assurer un niveau élevé de protection des consommateurs en matière d’information sur les denrées alimentaires, dans le respect des différences de perception desdits consommateurs et de leur besoin en information (art. 1er) que le droit de l’UE, et en particulier le règlement (UE) n° 1169/2011 du 25 octobre 2011 concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires, impose aux produits alimentaires la mention de leur origine géographique. Le règlement prévoit en outre que les choix des consommateurs peuvent être influencés, entre autres, par des considérations d’ordre sanitaire, économique, environnemental, social ou éthique (art. 3). Cette information passe logiquement par un étiquetage des denrées alimentaires (art. 1er), comportant obligatoirement une mention relative au lieu de provenance ou au pays d’origine de ces denrées, afin d’éviter que le consommateur puisse être induit en erreur (art. 2 et 26).

En conséquence, puisqu’en vertu du droit international, le plateau du Golan et la Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est) ne font pas partie du territoire israélien, l’indication « produit en Israël » est considérée comme fausse et susceptible d’induire en erreur au sens de la législation. Il convient donc d’adopter d’autres indications indiquant clairement que lesdits produits sont issus d’une colonie israélienne (de Cisjordanie ou du Golan). L’avis de 2016 du ministre de l’Économie et des Finances ne fait ainsi que décliner en droit français cette Communication interprétative et ne se place pas en disharmonie avec le règlement (UE) n° 1169/2011.

Dans ces conditions, la CJUE s’est limitée à prendre acte de l’illégalité des colonies israéliennes, car une étiquette ne distinguant pas un produit des colonies d’un produit israélien induirait nécessairement les consommateurs européens en erreur (pt 36 et 49). Les produits concernés doivent à la fois indiquer le territoire géographique d’origine (Cisjordanie ou Golan) et le lieu de provenance (colonie israélienne). La Cour souligne que le terme « colonie » comporte, « au-delà de son acceptation géographique, une dimension démographique, dans la mesure où il renvoie à un peuplement d’origine étrangère » (pt 43), ce qui est précisément le cas en l’espèce (pt 48 et 51).

Comme on le voit, la communication interprétative de 2015 n’instaure donc pas per se de nouvelles prescriptions législatives et ne fait que traduire la lecture, par la Commission européenne, de la législation pertinente de l’UE, l’application des règles en vigueur relevant de la responsabilité première des États membres.

2. Des conséquences économiques probablement limitées

Cette réglementation a minima, validée par le juge européen le 12 novembre 2019, tout en revêtant une dimension symbolique importante, n’aura probablement qu’une portée pratique réduite pour au moins quatre raisons.

Premièrement, la législation européenne, telle qu’elle résulte de la Communication interprétative de 2015 n’impose l’indication d’origine que pour les fruits et légumes frais, le vin, le miel, l’huile d’olive, la volaille et les cosmétiques et reste facultative pour les produits alimentaires préemballés et la majorité des produits industriels. En somme, elle s’applique essentiellement, comme le rappelle d’ailleurs la CJUE, aux denrées alimentaires, soit entre 2 et 3 % des exportations israéliennes vers l’Europe. Le volume total annuel de ces exportations représentant environ 16 milliards d’euros, un maximum de 400 millions d’euros de marchandises serait ainsi concerné.

Deuxièmement, la traçabilité des produits des colonies est volontairement rendue complexe par l’introduction en 2013 d’un nouveau système de code postal à 7 chiffres en Israël. La liste des codes postaux concernés est en effet sans cesse mise à jour au vu de l’expansion constante et délibérée des colonies. En 2015, l’UE a bien proposé un autre système de contrôle basé sur les numéros officiels des localités israéliennes, qu’elles soient en Israël et au-delà de la Ligne verte, mais elle se heurte toujours au refus systématique du gouvernement israélien.

Troisièmement, la traçabilité des produits des colonies est rendue difficile par la fongibilité des produits des colonies dans les produits israéliens : ainsi les raisins vendangés dans une colonie installée sur le plateau de Golan peuvent être mélangés à ceux vendangés dans une exploitation de Galilée. De même, des dattes cueillies sur des palmiers des colonies de la vallée du Jourdain peuvent être mélangées à celles cueillies dans une exploitation du Sud d’Israël. Il est également malaisé de déterminer le seuil au-delà duquel un produit composé en partie d’éléments fabriqués dans les colonies devient un produit des colonies, d’autant que la plupart des entreprises israéliennes possèdent des activités dans les colonies ou entretiennent des liens économiques étroits avec elles. Cette imbrication de l’économie des colonies dans l’économie israélienne donne des arguments aux associations membres de la campagne BDS qui appellent au boycott de tous les produits israéliens tant qu’Israël ne respectera pas le droit international. Une campagne qui s’inscrit dans une tendance générale pour une consommation éthique et responsable qui s’inspire directement du boycott de l’Afrique du Sud du temps de l’Apartheid (V. concl. av. gén. G. Hogan, 13 juin 2019, pt 51).

Quatrièmement, la traçabilité des produits des colonies est contrariée par la faiblesse des contrôles effectués par les Douanes françaises et la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes qui se fient aux déclarations des exportateurs israéliens et des distributeurs et importateurs nationaux.

Or, les autorités israéliennes, considérant les produits des colonies comme issus du territoire israélien, usent de tous leurs moyens pour éviter l’identification demandée par l’UE. Faire respecter cette législation par de fréquents contrôles nécessiterait une forte volonté politique tant des États que de l’UE, volonté qui fait le plus souvent défaut s’agissant d’Israël, l’État non-membre de l’UE qui bénéficie du statut le plus privilégié possible et ce dans tous les domaines : commercial, économique, financier, scientifique, universitaire, militaire etc. Un exemple de ce statut à part a d’ailleurs été donné par la décision de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de suspendre ses contrôles des marchandises issues des colonies après que le Conseil d’État eut, le 30 mai 2018, décidé de saisir la CJUE, décision surprenante dans la mesure où une question préjudicielle pendante n’a normalement aucun effet sur l’application d’une législation nationale.

Dans ces conditions et au vu de l’intensification systématique de la colonisation israélienne en Cisjordanie, à Jérusalem-Est et sur le plateau du Golan, l’inefficacité des mesures économiques prises par l’UE revient de facto à cautionner la colonisation illégale.

L’étiquetage reste, en réalité, très en deçà d’une proscription générale de l’importation de ces produits qui devrait logiquement découler de l’illégalité reconnue par le droit international des colonies israéliennes (V. sur ce point, F. Dubuisson et G. Poissonnier, La politique de différenciation de l’Union européenne à l’égard des produits originaires des colonies israéliennes : quel fondement en droit européen et international ? : RBDI 2018/1, p. 11-42). En effet, importer et vendre des produits des colonies sur le marché européen renforce les activités économiques situées dans les colonies et donc leur viabilité. L’interdiction pure et simple de l’importation de ces produits est désormais réclamée par de nombreuses voix à l’ONU (V. A/74/48057, 21 oct. 2019, rapp. de S.-M. Lynk, rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967), dans la société civile (Amnesty International) mais aussi en Israël (Médiapart, 14 nov. 2019, L’Union européenne doit interdire l’importation des produits des colonies israéliennes, § 13 personnalités israéliennes). En attendant une éventuelle décision en ce sens, le Conseil d’État a validé l’Avis ministériel du 24 novembre 2016 (CE, 31 déc. 2019, n° 407147 : JurisData n° 2019-024329);