Le film palestinien de Farah Nabulsi The Present (le Cadeau) prix du public au Festival international du court métrage de Clermont-Ferrand

Le film palestinien de Farah Nabulsi, The Present (Le cadeau) a remporté le prix du public au Festival international du court métrage de Clermont-Ferrand. La réalisatrice Farah Nabulsi nous a indiqué qu’elle ne demande pas de droits pour la diffusion militante de ses films lors de séances où l’entrée est non payante.

Entretien de Abla Kandalaft avec Farah Nabulsi, réalisatrice de The Present (Le cadeau)

Pouvez-vous nous parler de votre parcours de cinéaste ?

À vrai dire, je n’ai pas de parcours de cinéaste ! Après un voyage dans les territoires palestiniens occupés, il y a environ cinq ans, j’ai commencé à coucher sur le papier, dans un but thérapeutique, ce que j’avais vu, ressenti et entrevu, car tout naturellement, je me mettais dans la peau de ces gens qui subissent ces horribles injustices. Deux ans plus tard, j’ai « décidé » de devenir réalisatrice, à l’âge de 38 ans, en adaptant ces écrits à l’écran sous forme de courts métrages. Je n’avais jamais fait de cinéma, jamais réalisé le moindre film ni fait d’études ou de formation dans ce domaine, mais j’ai toujours adoré le cinéma et cela a suffi. Ajoutez à cela mon imagination débordante, que ce soit visuellement ou verbalement, et mon plaisir à raconter des histoires – tout concordait. Le grand Stanley Kubrick a déclaré : « La meilleure formation en cinéma est de faire un film » et je suis carrément d’accord avec ça. Voilà le point de départ du film Le cadeau. C’est le quatrième court métrage que j’ai écrit, mais le premier que j’ai aussi réalisé, donc il y avait beaucoup à apprendre. C’était à la fois intimidant et passionnant !

Où a été tourné le film ? Le tournage a-t-il été difficile ? Quels obstacles avez-vous rencontrés ?

Le film a été entièrement tourné dans les territoires occupés, aux alentours de Bethléem. Tourner en Palestine n’est jamais facile. Les membres de l’équipe n’ont pas tous les mêmes papiers d’identité, ne jouissent pas tous de la même liberté de circulation, ce qui engendre des retards et des restrictions. On se trouvait dans une zone sous occupation militaire, donc à tout moment du tournage, on pouvait nous empêcher de filmer, mais heureusement, cela ne s’est pas produit. En phase de prospection, nous avons trouvé des lieux magnifiques, mais souvent situés dans la zone C, qui est entièrement sous contrôle de l’armée israélienne : obtenir des autorisations de filmer aurait été quasi impossible, tandis que filmer sans autorisation était trop risqué. Il a donc fallu abandonner l’idée de tourner dans ces lieux et en choisir d’autres, dont beaucoup étaient moins bien, dans des coins moins reculés, avec beaucoup de circulation et de bruit qu’il fallait gérer, alors que nous aurions préféré des lieux plus tranquilles et moins fréquentés, etc. Une des plus grandes gageures du film a été de filmer sur le tristement célèbre Checkpoint 300 de Bethléem (scène 2 du film), par lequel transitent chaque jour, comme du bétail, des centaines de Palestiniens. La seule partie fictive de cette scène est notre protagoniste, Yusef (Saleh Bakri). Cette matinée de tournage a été très intense, car nous n’avions pas la moindre autorisation de qui que ce soit, et nous étions entourés de vrais gens en train de se faire humilier pour de bon par des soldats qui étaient juste devant nous. Mais la vraie question à se poser, c’est qui peut bien être habilité à donner ou à refuser le droit de filmer une situation aussi monstrueuse, et comment une telle situation peut-elle exister ? C’était très dur, et à tout moment, on risquait de se faire prendre par les soldats, mais c’était très gratifiant une fois terminé.

Avez-vous travaillé aussi avec des acteurs israéliens ? Comment s’est passée la collaboration ?

Tous les membres de l’équipe étaient palestiniens, sauf le chef opérateur, Benoît Chamaillard, qui est français. J’ai travaillé avec des Palestiniens citoyens israéliens – que le gouvernement israélien appelle les Arabes israéliens – par exemple Saleh Bakri, mon acteur principal, un Palestinien qui habite à Haïfa et détient un passeport israélien, ou encore Nael Kanj, mon chef décorateur, qui vient de Nazareth, et quelques autres. Il y avait une partie de l’équipe qui venait de Cisjordanie.

Pourquoi avoir choisi Saleh Bakri pour le rôle principal ?

Saleh est un acteur formidable. Je l’avais vu dans plusieurs films et quand j’ai écrit l’histoire du film Le cadeau, c’est lui que j’avais en tête pour le rôle de Yusef. C’est drôle, je ne le connaissais pas personnellement, mais j’ai eu de la chance. Quand j’ai commencé à coécrire le véritable scénario avec Hind Shoufani, je lui ai confié que je pensais à lui pour le rôle principal, et il s’est trouvé qu’elle le connaissait. Elle nous a donc présentés. Saleh est un être sensible au talent incroyable, il a tout de suite compris le personnage (il pouvait s’identifier à lui, bien sûr, étant lui-même palestinien), et la simplicité du récit lui a plu. Pour moi, il était parfait pour jouer Yusef, il me fallait quelqu’un qui puisse aller au fond de ce que vit un personnage comme Yusef, avec ces frustrations, ces humiliations quotidiennes.

Que va en retirer le spectateur, à votre avis ?

Bien sûr, je voudrais que, comme tous les bons films, celui-ci permette au spectateur de ressentir quelque chose. Quand on a une émotion, on se sent vivant. Mais je voudrais aussi que le spectateur repense au film une fois rentré chez lui. Qu’il réfléchisse à ce que c’est pour des gens comme Yusef de vivre comme ça. Il s’agit d’une fiction, mais cette situation absurde est malheureusement bien réelle et courante en Palestine, je voudrais donc que le film suive le précepte de Alejandro Inarritu : « Le cinéma doit tenter de sensibiliser le monde aux questions sociales. »

Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées ?

Dans un premier temps, oui, car on peut faire plus de films, plus vite et à moindre coût par rapport au long métrage, et comme je l’ai déjà dit, je n’ai pas de formation en cinéma, il y avait donc moins d’enjeux que si je m’étais jetée trop tôt dans un long métrage. Cela dit, presque tous les réalisateurs commencent par le court métrage pour les mêmes raisons. Ce format m’a également donné la liberté et la souplesse de chercher mon identité en tant que cinéaste et en tant que Palestinienne – dans un article que j’ai lu récemment, un critique d’art déclarait : « On ne peut pas faire de l’art sans identité, et pourtant, c’est son identité qu’on cherche en faisant de l’art. » Mais ces derniers temps, je me suis mise à l’écriture et je réfléchis au format long métrage, voire à la série, ce que je n’avais pas du tout envisagé au départ. J’irai où ma créativité me mènera.