Comprendre le boycott d’Israël : un entretien avec Cynthia Franklin (USACBI)

Un entretien instructif sur ThinkTech Hawaii avec la professeure Cynthia Franklin, membre du collectif organisateur de l’USACBI.

[Note de l’AURDIP : le responsable de programme de ThinkTech Hawaï s’est mis très en colère à cet entretien et il a inséré une violente diatribe avant et après sa publication sur ThinkTech Hawaï (du jamais vu pour ce programme)

Quelques heures après avoir posté la vidéo sur Youtube, il l’a censuré. Puis, après une explosion de protestations sur Facebook incriminant ThinkTech, et après avoir reçu une rafale de courriels, il la réinstallée avec un nouveau titre et à une nouvelle adresse. ]

Voici la transcription du clip vidéo de l’entretien tel que posté sur YouTube par ThinkTech le 26 août 2017 (initialement posté avec le titre « Comprendre le boycott d’Israël »). La bande vidéo commence par un écran noir et un démenti de la direction et du personnel ThinkTech. Après 1 minute 25, Will Caron présente un arrière-plan et un contexte pour la discussion sur le mouvement de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS), il débute par le récit sioniste de la création d’Israël, puis il passe à l’étape suivante pour souligner les « complications » concomitantes à cette « grande avancée vers la justice », évoquant la Nakba de 1948 et l’occupation militaire de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, et enfin, il mentionne la Loi anti-boycott d’Israël (IABA) : « Le lobby pro-Israël, l’un des plus puissants à Washington, a parrainé un projet de loi qui rendrait illégal pour les organisations et les citoyens des États-Unis un boycott de conscience des produits de fabrication israélienne, une forme de liberté d’expression protégée par le Premier amendement ». L’entretien avec la professeurre Franklin commence après 2 minutes 45.

Transcription (légèrement corrigée)

Le démenti de ThinkTech : Certains estiment que l’USACBI est une organisation manifestement antisémite. En ces temps de controverse nationale sur le schisme racial et le fanatisme religieux, cet entretien entraîne pour nous un certain niveau de préoccupation, surtout qu’il se déroule ici, à Hawaï. Ainsi, même si nous laissons ces personnages apparaître sur ThinkTech, nous voulons vous aviser que les opinions qu’ils expriment ne sont, en aucune manière, celles de ThinkTech, de sa direction, de son personnel. De plus, pour assurer un équilibre, nous allons diffuser une émission sur les questions communautaires, immédiatement après cette vidéo, qui traitera de l’antisémitisme sur les campus en 2017. Merci de rester connecté pour accéder à ce côté de l’histoire.

Will Caron : Il y a près de 70 ans que les Nations-Unies ont créé l’État moderne d’Israël à la suite de l’Holocauste dans le but de fournir aux réfugiés juifs une nation qui leur appartiendrait en propre avec une carte historique. Si toutes les Administrations US ont, depuis, pris fait et cause pour cet évènement, qui est donc une grande avancée pour la justice, la réalité est beaucoup plus complexe. La création d’Israël en 1948 est connue par les Arabes comme une Nakba, ou catastrophe, car elle a abouti à l’expulsion forcée de 750 000 Palestiniens, à l’occupation militaire de la terre palestinienne, et à la création d’un système de lois d’apartheid pour gouverner les Palestiniens restés à l’intérieur des territoires palestiniens et d’Israël proprement dit. Néanmoins, le soutien des États-Unis à Israël est resté inébranlable et sans critique. Le lobby pro-Israël, l’un des plus puissants à Washington, a parrainé un projet de loi qui rendrait illégal pour les organisations et les citoyens des États-Unis un boycott de conscience des produits de fabrication israélienne, une forme de liberté d’expression protégée par le Premier amendement. Collen Hanabusa, parlementaire d’Hawaï au Congrès, a coparrainé le projet de loi dit Loi anti-boycott d’Israël (Israel Anti-Boycott Act).

Mon invité aujourd’hui est une universitaire juive-américaine et cofondatrice de la Coalition Hawaï pour la Justice en Palestine, Cynthia Franklin, qui s’est rendue en Israël en 2013, dans les territoires palestiniens occupés, et qui a énormément travaillé sur la Campagne américaine de boycott académique et culturel d’Israël. Cynthia, merci d’être des nôtres.

WC : La première chose dont je voudrais qu’on parle un peu est le BDS. Il y a beaucoup de désinformations aujourd’hui sur ce qu’il est, ou pourquoi il a été créé, à une extrême, et certains le qualifient d’organisation terroriste – moins extrémistes mais tout aussi désobligeants. Certaines personnes le disent anti-juifs. Pouvez-vous nous en parler en peu ? Qu’en-est-il du BDS et comment vous y êtes-vous trouvée engagée la première fois ?

CF : D’abord, qu’en est-il du BDS ? Le BDS a été fondé en 2005 ; c’était un appel de la société civile palestinienne, par 170 organisations et groupes, demandant aux peuples du monde entier d’observer une campagne de boycott, désinvestissement et sanctions contre Israël jusqu’à ce que trois conditions soient remplies. Les trois conditions demandées sont un moyen pour exercer une pression non violente sur Israël afin qu’il se conforme au droit international. Donc, il y a trois points au BDS, et quand ils seront atteints, il n’y aura plus de boycott. Les trois conditions sont, d’abord et avant tout, de mettre fin à la colonisation de toutes les terres arabes et de démanteler le mur illégal d’apartheid ou de séparation. La deuxième condition, c’est de donner des droits égaux aux citoyens palestiniens arabes d’Israël qui, actuellement, vivent sous un ensemble de lois iniques – 50 lois de discrimination faciale à l’encontre des citoyens palestiniens d’Israël. La troisième condition est le respect et la promotion du droit au retour des Palestiniens qui ont été déplacés hors de la Palestine historique, et ces réfugiés sont plus de sept millions. Ce droit au retour est protégé par les Nations-Unies.

WC : Et quand vous dites illégal, vous vous basez par rapport aux Nations-Unies ?

CF : Sur la Résolution 194 des Nations-Unies, qui stipule que les Palestiniens ont un droit au retour.

WC : Et que les colonies et le mur sont eux aussi illégaux.

CF : Oui, ils sont illégaux.

WC : Et comment vous êtes-vous engagée dans le BDS ?

CF : Je me suis engagée dans le BDS suite à un voyage en Palestine, en 2013. Pendant que j’étais là-bas, j’ai observé et vu de mes yeux les conditions que j’avais lues et entendues à propos de la Palestine, et j’ai pu rencontrer de nombreux Palestiniens. Et il y a une chose que tous m’ont dite : merci de repartir et de dire aux gens ce que vous avez vu ici, et aussi, de soutenir le boycott. De sorte que, quand je suis rentrée, j’ai été invitée au collectif organisateur de la Campagne US pour le boycott académique et culturel d’Israël, connu sous l’acronyme USACBI. J’ai rejoint ce collectif organisateur et j’y participe depuis quatre ans environ.

WC : Donc, avec ce voyage – en 2013, c’est cela ? – vous recherchiez des auteurs pour contribuer à une publication spéciale de biographie. C’est exact ?

CF : Oui, oui.

WC : Et de quelles choses avez-vous été la témoin là-bas, et comment ont-elles modifié ou consolidé votre compréhension de l’État israélien et de ce qu’il se passe là-bas ?

CF : Eh bien, l’une des choses que j’ai réellement apprises, je l’ai apprise dès le début, avant que je parte pour ce voyage. Avant de partir pour ce voyage, il m’a été dit, assure-toi que ton ordinateur ne contient rien qui indique que tu vas en Cisjordanie. Assure-toi qu’il n’y a aucun message dans ton téléphone qui indique que tu vas en Cisjordanie, parce tu te mettrais en difficultés à l’aéroport et tu rencontrerais des obstacles une fois là-bas. Donc, tout de suite, j’ai eu à faire face à un sentiment de ce genre de répression une fois partie. Sur la façon dont je me suis rendue en Cisjordanie, eh bien il y a un panneau là-bas qui vous dit que, si vous n’êtes palestinien – je ne me souviens plus des mots exacts, mais sur le fond c’est cela – n’entrez pas, parce que c’est dangereux, votre vie est en danger si vous passez en Cisjordanie. Ensuite je suis passée en Cisjordanie et j’y ai rencontré une hospitalité incroyable, mais dès le début, en conduisant en Cisjordanie, je me suis retrouvée sur des routes avec des nids de poule, mal entretenues, et je savais qu’il y avait des routes séparées pour les Israéliens et les colons qui vivent illégalement en Cisjordanie. J’ai découvert immédiatement les deux sortes de routes. Je suis très vite arrivée à comprendre comment reconnaître qui était israélien ou colon juif, et qui était palestinien, grâce aux citernes d’eau sur leurs terrasses parce que l’une des choses que fait Israël, c’est de prendre l’eau de la Cisjordanie et il en détient environ 80 % – je ne suis pas absolument sûre du pourcentage exact – puis, il vend l’eau qui reste aux Palestiniens et il en déverse une ou deux fois par semaine dans les citernes, de sorte qu’il y a une pénurie d’eau perpétuelle. J’ai fait aussi l’expérience des retards aux check-points, et j’ai assisté à des scènes de violence aux check-points. Une expérience particulièrement épouvantable et mémorable a été de voir un petit enfant renversé par un colon israélien à un check-point, et j’ai vu et entendu quelles difficultés les gens rencontraient pour se rendre à l’école ou à l’hôpital, à cause des check-points et à cause du mur qui rendent la mobilité très difficile. J’ai parlé avec des étudiants qui avaient eux-mêmes été arrêtés ou qui avaient des fiancés ou des amis arrêtés pour des motifs comme avoir installé des chaises pour une manifestation afin de protester contre le mur. Donc, j’ai fait l’expérience de tout un large éventail de façons par lesquelles l’occupation affecte la vie des gens, notamment des moyens bureaucratiques qui les mettent en danger physiquement ou qui sont simplement exaspérants. Je pense que l’expérience la plus dramatique que j’ai faite, ce fut à Hébron, le lieu d’une répression véritablement intense. C’est l’un des rares endroits où les colons vivent en ce moment fondamentalement par-dessus les Palestiniens. Ils s’installent dans les maisons palestiniennes, et cela nous a été montré tout autour d’Hébron par la mission de la Présence internationale temporaire à Hébron (la TIPH), qui veille à ce que nous restions à l’abri de tous ces soldats israéliens qui pointent leurs armes sur nous dans la rue. Les Palestiniens ne peuvent pas marcher librement – il y a même des rues où ils ne peuvent pas marcher du tout – ils ne peuvent pas entrer par la porte d’entrée de leurs maisons, il y a des filets…

WC : Nous avons une photo de cela, une des photos que vous avez ramenées d’Hébron avec le filet couvrant cela.

CF : Ces filets les protègent contre tout ce qui est jeté d’en haut, mais la personne qui fait partie des observateurs internationaux a dit que ces gens (les Israéliens) jettent même de l’acide sur la rue ou qu’il leur arrive de déverser des eaux usées au-dessus des filets, et nous avons eu la preuve de tout cela pendant que que nous marchions dans les rues. Oui, c’est la chose la plus dramatique que nous avons vue, mais en plus de cela, il y a une sorte d’érosion quotidienne des droits d’un peuple et de sa capacité à fonctionner, et une sorte de normalisation de l’occupation qui fait que la vie, même celle des meilleurs Palestiniens, est vraiment difficile. Donc, Hébron est un cas extrême, mais nous étions dans des maisons de gens vraiment aisés qui nous ont fait de merveilleux repas, mais les récits qu’ils nous ont racontés, c’étaient qu’ils avaient perdu de la famille et perdu des amis à cause de la violence des Israéliens. Ce que vous voyez là, c’est la domination militaire, de sorte que même les meilleurs Palestiniens vivent toujours sous une occupation absolument brutale, et qui les laisse dans une grande incertitude quant aux choses les plus fondamentales.

WC : Vous être juive-américaine, alors, parlez-nous un peu de la difficulté, je suppose, d’assumer le fait que l’on peut être antisioniste et juif à la fois. Très vite, pourriez-vous nous faire part de votre expérience ?

CF : Bien, c’est une chose si importante qu’il faut la souligner vraiment, être juif et être sioniste sont deux choses différentes, et pour moi le sionisme est une idéologie politique ; c’est une forme de nationalisme, c’est une forme de colonialisme de peuplement, et je ne veux avoir rien à voir, même partiellement, avec ça. Je travaille avec le groupe Une Voix juive pour la paix, très activement, et je pense qu’ils ont été très perspicaces en développant une position qui expose clairement le fait qu’être antisioniste, ce n’est pas être anti-juif. Israël compte que l’on substitue ces deux positions l’une à l’autre, et le Département d’État US les rends substituables. On ne nous permet pas de critiquer le moyen le plus puissant d’Israël pour surveiller de près ses violations des droits de l’homme. Et c’est, je pense, ce que les juifs de conscience ont particulièrement la responsabilité de refuser, et de dire – en tant que juifs, nous ne devons pas soutenir le sionisme, et cela ne reflète en rien ce qu’est être juif. Nous ne sommes pas des juifs qui avons la haine de nous-mêmes. Nous ne sommes pas nous-mêmes antisémites. Nous sommes simplement contre le colonialisme de peuplement. Nous sommes contre l’apartheid. Nous sommes contre l’occupation, et pas en notre nom.

WC : Donc, la situation sur le terrain étant ce qu’elle est, et le mur de séparation faisant ce qu’il fait à la terre palestinienne – et en plus de ce que vous dites des 50 lois différentes qui traitent d’une façon différente les citoyens palestiniens – quelle sorte d’égalité trouve-t-on dans tout cela du point de vue d’Israël ? Vous dites qu’il serait un État d’apartheid ?

CF : Je pense qu’Israël est un État d’apartheid. Desmund Tutu est quelqu’un qui soutient le mouvement BDS et qui a déclaré que l’apartheid en Israël est pire que ce qu’il était en Afrique du Sud, quand l’Afrique du Sud était un État d’apartheid. Je pense que l’une des choses qui fait souvent confusion, c’est que l’apartheid, dans sa définition, implique la séparation et la discrimination. Il n’a pas à ressembler à ce qu’il semblait être en Afrique du Sud pour être un apartheid. Donc, l’apartheid se montre différend en Israël et en Palestine de ce qu’il était en Afrique du Sud, certains Sud-Africains ont dit qu’il semblait pire.

WC : Avant la pause, nous parlions de la situation sur le terrain en Palestine qui a conduit au mouvement BDS, une protestation internationale non violente contre la politique israélienne telle qu’elle s’applique aux Palestiniens. Maintenant, nous allons changer un peut de sujet pour parler de la réaction au BDS ici, aux États-Unis, où le gouvernement est toujours aussi peu critique à l’égard d’Israël. Il a récemment été question d’un projet de loi devant le Congrès, la Loi anti-boycott israélien, qui criminaliserait les organisations et les personnes qui souhaitent participer au mouvement BDS, que ce soit en boycottant les produits israéliens ou en se désinvestissant des entreprises ou des produits israéliens. 253 représentants à la Chambre, dont notre propre congressiste, Colleen Hanabusa, ont coparrainé cette version. 48 sénateurs ont coparrainé la version du Sénat. L’ACLU (Union américaine pour les libertés civiles) cependant, s’oppose fortement à ce projet de loi. Alors, pouvez-vous nous expliquer un peu ce que le projet doit vraiment faire, et pourquoi il est spécialement dangereux pour la liberté d’expression ?

CF : Bien, le projet est une modification de la loi de 1979 sur l’Administration des exportations, et c’est un peu technique, mais ce que fait fondamentalement ce projet, c’est de sanctionner les entreprises ou les personnes avec une amende de 250 000 dollars, pouvant aller jusqu’à un million de dollars, et une peine de 20 ans de prison, pour avoir soutenu le boycott. Ce projet est souvent appelé projet de loi BDS, et de fait, j’ai été frappée lors de la réunion de Town Hall quand Colleen Hanabusa s’est référée à lui comme au projet de loi BDS. Ce n’est pas techniquement un projet de loi BDS car ce qu’il dit, c’est que les entreprises qui soutiennent les entités ou organisations étrangères qui appellent au boycott d’Israël, eh bien il ne faut pas les écouter, vous ne pouvez pas adhérer à ce boycott. Maintenant, qu’est-ce ce que cela signifie ; par exemple, supposons que Kokua Market dise, nous nous n’allons pas arrêter le boycott de l’hoummos Sabra parce que l’hoummos Sabra viole le boycott, qu’est-ce que ça fait – ça fait que Kokua se trouverait alors exposé à ces amendes et emprisonnement. Maintenant, s’ils disent, nous ne faisons pas de stock de l’hoummos Sabra parce que nous estimons qu’il sent mauvais, alors là, ce serait cool. Il s’agit donc réellement de punir les entreprises – et les propriétaires d’entreprises en tant que personnes parce que, bien sûr, ce ne sont pas les entreprises qui vont en prison, ce sont les personnes – pour leurs convictions politiques. Mais ce projet de loi va encore plus loin. Et ce que dit ce projet, c’est que tout individu qui incite, ou même qui en sait plus ou qui se renseigne à ce sujet, est lui aussi sanctionnable. Donc si j’appelle Kokua Market et que je lui demande, quels sont dans vos produits ceux qui sont des produits israéliens, parce que je ne vous les achèterai pas et je pense que vous ne devriez pas vendre ces produits-là, alors avec ce projet de loi, je remplis les conditions pour une pénalisation. La raison pour laquelle les citoyens sont si fortement opposés au projet de loi, c’est qu’il constitue une violation directe des droits du Premier amendement, et le droit de boycotter est une forme protégée, et depuis longtemps respectée, de la liberté d’expression, et c’est pourquoi l’ACLU a pris position contre le projet, y compris même certaines organisations juives sionistes, notamment J-Steet, de sorte qu’il existe une résistance très large à celui-ci. Mais comme vous le mentionnez, il existe aussi un soutien bipartite au Congrès à ce projet, et c’est pourquoi c’est un projet alarmant.

WC : Donc, essentiellement, il cherche à criminaliser, et peut-être à mettre hors la loi, le mouvement BDS parce que, comme vous le dites, vous ne pouvez même vous renseigner à son sujet, vous ne pouvez même pas plaider en faveur du mouvement BDS, ou alors, vous vous exposez à des amendes. C’est bien cela ?

CF : Oui, ce que je veux dire, c’est que ça revient à cela – ainsi, l’Union européenne, par exemple, détient une liste des produits fabriqués dans les territoires palestiniens, et elle n’a pas dit encore qu’il ne fallait pas les acheter, mais c’est bien une sorte de boycott implicite. Donc, si vous, en tant qu’entreprise, vous boycottez l’un de ces produits ou si vous, en tant que personne, vous mettez la pression sur une entreprise liée à cette production, si vous agissez ainsi parce que l’UE en tant qu’entité internationale l’a inscrit sur sa liste, alors, même si vous ne dites pas, c’est l’UE qui a attiré mon attention là-dessus, et que c’est pour cela que je suis intéressé pour le boycotter, si vous dites simplement, c’est quelque chose qui m’intéresse, alors vous tombez sous le coup d’une pénalisation, et ce, d’après des avocats qui ont très attentivement étudié la question, notamment les avocats de l’ACLU. Et c’est l’une des raisons pour lesquelles ils sont très contrariés par ce projet de loi.

WC : Et le lobby pro-Israël, comme je l’ai dit au début, qui est l’un des plus puissants à Washington – que disent-ils à propos du fait qu’ils s’appuient si fort sur le Congrès, qu’ils sont à l’origine de ce projet et qu’ils le parrainent, ils ont contribué à son avant-projet je crois, l’AIPAC en particulier, que disent-ils de la situation alors qu’ils sont si déterminés à rendre difficile, voire, à certains égards, à mettre hors la loi le mouvement BDS aux États-Unis ?

CF : Eh bien, je pense, selon moi, qu’ils parlent du succès et de la puissance du mouvement BDS et du fait que vous ne pouvez pas réellement le bloquer d’une manière légitime, parce que c’est un mouvement non violent, et qu’il vient du peuple, et il se fonde aussi sur des principes. C’est fondamentalement un mouvement libéral. Il est vrai que son résultat serait tout à fait radical, mais nous disons, conformez-vous à une loi internationale – c’est tout ce que nous disons. Ces trois lois internationales devraient être respectées. Voilà, en fait, tout est dit ; il dit, ces trois préceptes du droit international devraient être respectés. Et le fait qu’on ne peut agir dans le respect de principes pour s’y opposer conduit maintenant à une sorte de retour de bâton, et Netanyahu, Premier ministre d’Israël, a déclaré que le BDS représentait la menace stratégique la plus grande pour Israël. Il a injecté 25 millions de dollars pour l’arrêter, et Israël fonctionne beaucoup en tandem avec les groupes sionistes des États-Unis pour promouvoir cette sorte de législation, et la Loi anti-boycott d’Israël dont nous parlons n’est pas l’unique législation récente. Certains des États en ont voté – environ 26 États ont adopté une forme ou une autre de législation – et des villes, aussi bien. Donc tout cela fait partie d’une sorte de réaction de panique, je pense, devant l’efficacité du BDS. Il y a des entreprises qui ont retiré leurs investissements en Israël, et il y en a d’autres qui s’y préparent maintenant, car elles voient clair. Aussi, je pense que c’est à la fois un succès, mais aussi une preuve qu’Israël n’est pas un État démocratique, et que ceux qui le soutiennent ont du mal à trouver des moyens pour soutenir ce qui n’est pas un État démocratique.

WC : Bien, parlons donc du soutien à Israël. L’an dernier, sous l’admiration d’Obama en réalité, les États-Unis et le gouvernement israélien ont signé un contrat d’aide militaire de 38 milliards de dollars, répartis sur une dizaine d’années. Je veux vous demander, comment l’argent de l’armée américaine impacte-t-il, ou concerne-t-il, la situation sur le terrain en Palestine, et qu’est-ce qui doit changer dans la politique américaine, ou en termes simplement de mouvements sociaux, pour changer cette situation sur le terrain.

CF : Il est très clair pour moi que cela doit être au niveau des peuples, donc cela implique une mobilisation, et de dire non. Je pense que nous voyons un soutien à Israël dans chaque Administration et maintenant, nous avons Kushner qui conduit les pourparlers de paix, et je crois qu’on peut affirmer sans risque, ça ne conduit nulle part. Donc, c’est vraiment à chacune et à chacun d’entre nous de dire aux représentants que c’est vraiment une erreur, qu’on n’est pas d’accord, que nous ne voulons pas de cela. Car je pense qu’à défaut de cette sorte de pression, eh bien cela va continuer. Le paquet d’aides de 38 milliards passe de 3 milliards par an à 3,8 milliards par an. Que fait cet argent ? Cet argent crée beaucoup de misère. Gaza est bombardée à peu près tous les deux ans. 2014 est la plus récente attaque en règle contre Gaza. Gaza qui, selon l’Organisation mondiale de la santé, ne sera plus habitable d’ici 2020. L’eau y est non potable ; ils n’ont pu pratiquement rien reconstruire de l’infrastructure qui a été ravagée, parce qu’il y a un blocus ; les matériaux de construction ne peuvent y entrer, les gens ne peuvent ni entrer ni sortir de la plus grande prison à ciel ouvert. C’est cela que fait l’argent américain ; il soutient cela, mais c’est aussi compliqué parce qu’Israël utilise Gaza et la Cisjordanie aussi comme des sites tests pour développer ses armes et tester ses technologies. Il y a un film, « The Lab » (« Le labo ») qui en parle, réalisé par un cinéaste juif israélien. Et il y a beaucoup d’argent impliqué dans ce domaine et ce n’est pas juste que nous les aidions.

Notre police est formée par Israël, c’est en partie pour cela que Ferguson et Gaza ont eu beaucoup d’échanges durant l’été 2014, quand les gens de Gaza étaient, oh… nous savons ce que vos gars font avec les gaz lacrymogènes, comment vous faites face à cela. Donc, il y a beaucoup de violence. Fondamentalement, avec cet argent, nous soutenons une occupation violente, telle est ma courte réponse.

WC : Donc, pour les gens qui nous regardent et qui sont intéressés pour pousser plus loin ces questions, qui veulent en savoir plus sur l’action de soutien ou d’opposition à la législation – que peuvent-ils faire ?

CF : Eh bien, concernant cette Loi anti-boycott Israël (Loi IABA), écrivez à vos parlementaires – si vous êtes à Hawaï, écrivez à Colleen Hanabusa, peut-être qu’elle ne vous répondra pas ; elle ne m’a pas encore répondu ni à la vingtaine de personnes que je sais qui lui ont écrit, mais il est important qu’elle entende ses électeurs, et au moins savoir se elle nous répond. Plus important, vous pouvez soutenir la Campagne US pour le boycott académique et culturel d’Israël (USACBI). Apprenez-en plus sur le BDS. Le site BDS contient plus d’informations pour comment le faire.

WC : Merci beaucoup Cynthia.

CF : Merci de m’avoir invitée.